INTRODUCTION

 

C’était en été 1987, je venais d’avoir 9 ans, ma sœur aînée en avait 13. A cette époque, nous étions chaque soir près d’une vingtaine à nous rassembler devant l’une ou l’autre maison, sur un terrain vague aujourd’hui envahi de constructions. Je me souviens des parties de football, de tennis, des courses à bicyclettes et des constructions «maisons » de sarbacanes.

Je me souviens également d’un vieux transistor pourri qui diffusait les musiques du moment écoutées par les gamins de la rue ; The Cure, Depeche Mode, Téléphone...toutes ces musiques qui résonnent encore en moi. Il y avait aussi Cabrel, les premiers mouvements de la Beat generation et...Renaud ! Ce chanteur que m’a fait découvrir un adolescent plutôt rebelle, Gaetano, un gars en blouson de cuir noir, bandana rouge ou keffieh autour du cou, jean délavé assorti au perfecto et aux bottes de simili bon marché. Un petit anarchiste au grand cœur qui me prêta sa première cassette de Renaud, «Ma compil n°2» . Près de dix ans avant la sortie de l’album    «A la belle de mai» , nous goûtions déjà au «Sirop de la rue» ...

«  La boule à zéro et la morve au nez

On n’était pas beau et on s’en foutait

Le mercurochrome sur nos genoux pointus

C’était nos diplômes d’l’école de la rue... « (1)

 

C’est mon enfance également que Renaud illustra au travers ce titre nostalgique, rêveur et si loin aujourd’hui.

Depuis cette époque, j’ai grandi en écoutant Renaud et Renaud m’aida à bien grandir ; à oser dire les réalités, à regarder avec méfiance les promesses données par les grands, par les gens qui se disent avoir comme but de nous guider à travers les âges afin de devenir des «gens bien» ...mais qui sont ces gens bien ? Sont-ils uniquement bien parce qu’ils portent la gabardine ou le chapeau allongé par la fumée des gros cigares ? Jamais Renaud n’y a cru et, par lui, moi non plus. Et lorsque Renaud dira dans une interview  que «même un disque d’or ou un Olympia pour moi tout seul ne me feront ni virer de bord et encore moins fermer ma gueule» , j’applaudis de tout cœur et hurle de la même manière « ne t’arrête que pour mourir et même mort, tes chansons vivront à travers nous, tes fans de toujours» .

______________________________________________

(1)  : «Le sirop de la rue» -1994-Paroles et musiques de Renaud Séchan- «A la belle de Mai» 

Renaud, c’est le grand frère dont nous rêvons, le pote qu’on aimerait réveiller à quatre heures du matin parce que l’on ne se sent pas bien ou que l’on a pas sommeil et envie de fermer les derniers rades encore ouverts.

Renaud, c’est le loubard au grand cœur, le Robin des Bois du vingtième siècle, celui qui vole les mobylettes des riches pour donner les freins neufs aux pauvres.

Renaud, c’est la graine de voyou emplie de tendresse, qui a quitté sa bande pour Dominique, la femme qui  sera pour beaucoup dans la conception de ses plus beaux textes puisqu’elle en sera la source d’inspiration.

Renaud, c’est ce grand gars tout frêle passionné de «Pierrot»  mais qui n’en deviendra pas moins papa - gâteau lorsque Lolita viendra embellir sa vie et donnera encore plus de tendresse aux textes du chanteur.

Sans oublier que c’est en regardant «Germinal» , lors d’une projection dans le cadre de mes études secondaires, que j’ai rencontré mon premier amour ; nous nous sommes embrassés pour la première fois devant Renaud...Plus tard, lorsque nous nous écrivions, on utilisait des paroles de Renaud...à la fin de ces lettres il y avait bien souvent : «J’suis Morgane de toi...» .

Mais Renaud est également l’un des chanteurs (avec Johnny Hallyday) le plus en symbiose avec son public : lorsque Renaud est heureux, son public l’est également. A l’inverse, lorsqu’il souffre (comme c’est le cas depuis quelques temps), ses fans le ressentent et sont aussi malheureux que lui.

Renaud, vous allez le découvrir dans ces pages ; pas comme père de famille  ni uniquement comme chanteur énervant, mais comme humaniste qui se mouille pour l’Ethiopie ou les Restos du cœur tout en se faisant descendre par les médias d’une part, glorifié par ces mêmes «journaleux»  d’autre part. Cet homme qui n’a jamais compté sur ces opportunistes qui le poussèrent dans le puits alors qu’il y cherchait de l’eau ou qui le déclareront «triplement médiocre car il est auteur - compositeur – chanteur»  (Libération)...

Renaud, qu’on l’aime ou pas, procure de la joie aux personnes envers qui il se découvre une attache, un point commun ou encore une âme ne demandant qu’à mûrir.

Certains penseront qu’un travail de fin d’études basé sur un chanteur ne semble pas adéquat. Laissez - moi vous prouver le contraire, vous faire découvrir (ou redécouvrir) la manière dont cet homme jongle avec les mots.

      Mi - Bruant, mi - Brassens, mi - homme, mi - enfant, Renaud est à la chanson française ce que les Beatles sont aux sixties : indispensables.

Ce poète suscita  et suscite encore bien des ouvrages, mais le plus important à ses yeux n’est - il pas celui qui fut rédigé par son frère aîné, Thierry ? Et cette préface de la même œuvre signée Jean Vautrin ne résume t’elle pas l’importance des paroles de cet homme face à une société en plein chavirement ? Lisez plutôt...

«Vers 70, années Paname, tours de béton et macadam, t’en souvient - il, petit frère des anges ? Comme un Gavroche à poils à ressorts, tu nous disais : révolution

Vers 80, années Tonton, t’es militant au parti des oiseaux. Tu tires des bords du côté des baleines. Morgane de Lola. J’acclame !

Renaud l’ami, moitié de marin, petit frère des hommes, comme t’as grandi ! Comme t’as forci ! Tes habits craquent, c’est bien normal. C’est la colère, c’est la fatigue. L’amour des autres. Ce putain de monde. Quelle vastitude ! Ca crève salement d’être attentif. Je connais bien ça, je subis pareil. Quand je te regarde, je suis chaviré. Mais je sais pourquoi. Facile à dire. C’est tes yeux bleus en arbalète, posés si flèches sur la vacherie.

Moi, je suis comme toi. Je me réveille en sursaut. Je crie : «Au fou, les assassins !» 

Même les enfants prennent les armes.

De ce côté là, tu m’avoueras, c’est litanie dans la violence. C’est grand bréviaire. Au lourd chapelet de la barbarie, on est gâtés, tout le monde égrène.

D’un continent l’autre, morts les adolescents. Otages les innocents. Affamés les pauvres. Humiliées les femmes.

Ici, là, loin, à notre porte, on garrotte, on fusille, on assassine. Nous tous témoins, pas de faux - fuyards !Et pas qu’un feu de paille. Partout des allumettes souffrance. Mince de haine de gâteau à partager ! Tant de bras tendus qui ne se termineront plus jamais par des mains ! Et légions de rats, tous ces laquais, ces tortionnaires. Tous ces soldats, racaille, milices, macoutes!

Y’a tellement de pain sur la planche de l’horizon lamentable !

Tellement besoin, poète, du jus de ton soleil pur.

Je te regarde. Je retrouve un homme.

Adieu minot, si tu veux bien ! Jolie frimousse à trois plumes blondes ! Elle est partie ta gueule d’amour, de traîne - boulevard, de graine à grinche ! Comme il est loin le temps des brumes !

Temps des escarpes, des p’tits Mozart de Rochechouart et des rockers à ceinturons, qui levaient baston sur les bourgeois. Faut se faire raison, moitié de marin, espèce d’ablette, le temps s’en va. Tu n’y peux mèche. Te retourne pas. Va pas regretter.

Tu sais, Renaud, les enfants, c’est comme les années : on les revoit jamais. Il est percé ton vieux blue - jean. Du train où vont les cons majuscules, t’entendra plus guère parler de James Dean. Et puis tout casse, tout va, tout lasse. Nos gigolettes en collants dim - love, les mobes de l’autonomiste de la porte d’Orléans, nos vieilles croyances et même les mythes musclés. A reculons de nos mémoires, Che Guevara, c’est un poster, une ombre grise. Un vieux regret. Parti Lennon, rayés les disques, la cire déraille, c’est la folie Berlusconi ! A ce train là, quelquefois je m’inquiète, tu pourras pas éternellement jouer de la gratte, juché précaire sur tes santiagues à bascule. Si tu veux que personne puisse te planter un drapeau sur la tête, va falloir entonner le clairon de la rebiffe. Monter à flibuste. Hisser le drapeau noir.

Je te bonnis des trucs, t’es pas forcé de me croire. Mais je sens qu’on a les chacals au cul. Vois - tu, 88, c’est déjà le bout du siècle. A hue, à dia, les frimards tirent déjà sur la bobèche. La société est purin. Ca schlingue pas net. Y’a de la violence derrière les strass, ce culé de pognon qui fait dérailler les santés. Et partout la récupe. Je me méfie des sourires au blantifrice.

Reste plus qu’un truc, à mon avis : pousser des cris. Aller à la goualante. Pas laisser faire les fiottes. Sinon, ils vont nous boire le sang dans des bocks en cristal audimat ; Iront à dame sur nos mentalités. Suis pas mon regard, la décharge est pleine. C’est déjà plein de cadavres parfumés qui sont cramés à l’argent.

Parbleu ! Je suis d’accord ! L’absoute sert à rien. De profondis ! Ils l’ont cherché ! Autant en emporte la Herse et la Bouyguerie ! On n’est pas non plus préposés à l’entretien du grand collecteur des Buttes Chaumont ! Mais c’est certain que ceux qu’ont batousé dans le show - bise peuvent plus défendre leur camelote. Le crédit est usé. Et justement, l’honnêteté, j’y reviens, c’est là que t’interviens. Toi t’es propre, garçon. T’as gardé tes couleurs arc - en - ciel. Jaspiné juste dans le micro. Les jeunes le savent. Sève infaillible, ils te plébiscitent. Du coup, t’es un arbre, Renaud. Une grande tige avec des feuilles de vignes qui dépasse les statues. T’es le plus grand, frérot ? Pas par hasard si ton talent cocagne. T’es tout en haut du mât, mon beau. Tu tiens la bouteille de mousseux. Sers - nous à boire et sois pas chti. On est en manque de couplets. Fais - nous de l’impertinent. Mesure pas tes plaintes. Aboie ! Mords - les ! Ramdam à tous les étages !

Y faut pas se taire ! Surtout dire aux gens d’aujourd’hui qu’ils sont encore vivants. Pas les laisser raplatis comme des vieux linges devant leurs télés. Leurs vacances Caraïbes. Leur prêt - à - porter à gadgets. Et bonne santé, petit frère. Fais - nous des braillades sur les amour. C’est lui qu’est toujours devant nous. Oublie pas d’aimer. Et aussi bonne bite vilains. Des roucoules sur les mignonnettes.

Aie bon cœur en à haine.

Sois couillu sur le culot. Soigne ta fièvre. Elle est précieuse. Hue sur les cafouilleux ! Les politicards ! Les épiciers ! Les collabos du gros système. Fustige ! Distribue ! Astique ! Défouraille ! T’as les mots pour ça ! Une place unique !

Et pas question d’avoir le vertige. Laisse pas s’éteindre le bleu de tes yeux, Renaud. C’est le fond du ciel qu’est important. Bon orage».    (2)  

                                      Jean VAUTRIN  

______________________________________________________

(2) : «Le roman de Renaud» -1988-T. Séchan-Le club des Stars- Ed.Seghers

  Présentation de "Renaud, ami de Charlie, ennemi de Libé" par Cédric Adam