«Ménestrel
ou voyou ?
Graine
D’anar ou titi de Paname ?
Ange
à la figure sale ou démon au regard limpide ?
Qui es
- tu Renaud mon fils ?
Tu ne
veux pas le leur dire ?
Tu as
raison : ils ne sont pas dignes d’une telle confidence.
Laisse
- les perplexer à ton sujet et continue ta route comme un grand que tu es.
Renaud,
mon fils réjouis-toi : tu as pour ennemis les vieux, les vrais, ceux qui
n’ont jamais été jeunes.
Ils
ont peur de toi parce qu’ils
sentent confusément que tu es pourri de talent.
Tu
viens d’une autre planète que la leur : la planète Amour.
Eux
sont à jamais enlisés dans la boue pestilentielle de la planète Terre à
terre.
Ils
t’en veulent abominablement d’oser parler une langue qu’ils ne
comprendront jamais.
Ils
ignorent, ils ignoreront toujours ce qu’est un pote, une bibine et des
santiags, ces pauvres analphacons.
Ta
poésie est trop évidente pour ne pas leur échapper. Ils te nient ; ce qui te
fait exister un peu plus.
Je
leur parle de mon admiration pour toi, de ma tendresse pour toi, afin de les
voir se décomposer. Je les admire dans leur écœurement car là est leur vraie
nature.
Alors
ils cloportent à outrance et s’étouffent dans des maudissures inaudibles.
J’écoute clapoter leur voix : l’affreux bruit rend tes chansons plus mélodieuses
encore!».
Renaud,
mon fils, réjouis - toi : tu as pour amis tous les jeunes de la terre, les
vrais, ceux qui ne deviendront jamais vieux.
Ils
t’aiment avec enthousiasme parce que tu es rayonnant de talent et auréolé de
tendresse infinie.
Tu
viens de la même planète qu’eux : la planète Fraternité.
Ils
te sont, et te seront toujours éperdument
reconnaissants de faire le boulot de Verlaine avec des mots de bistrot.
Eux,
savent ce qu’est un frangin, une mob’ et une gonzesse.
Ton
talent les aide à exister. Sous tes éclairages de fête foraine, leur banlieue
devient presque jolie et leur destin moins dégueulasse.
Ils
se reconnaissent en toi comme dans un miroir, Renaud, mon fils.
Putain
ce qu’ils sont beaux dans tes yeux ! (25)
San
- Antonio (26)
Dans une interview qu’il accorda à
Fred Hidalgo, San Antonio désigna Renaud comme un «ange
des faubourg» : «parce que
l’on sent bien que son univers n’est pas rose bonbon…». Son
admiration pour ce chanteur se situe à un tel point, que lorsqu’il se rend
dans un dîner bourgeois et qu’il dit qu’il admire Renaud, il suffit que
l’une des personnes invitées dégueule sur Renaud pour qu’il y ait des «empoignades
sanglantes» ! La façon la plus courtoise qu’ait Frédéric Dard de
montrer aux gens qui méprisent le chanteur à quel point il les méprise à son
tour, c’est de se lever et de partir ! On dirait un père protecteur, il
trouve Renaud beau, intelligent, sensible, poète…bref, l’admire comme
s’il s’agissait de son propre fils. C’est curieux de voir qu’un loubard
puisse à ce point toucher une personne de cet âge mais c’est également cela
la force de Renaud : lorsque l’on se rend à ses concerts, on peut y
croiser aussi bien des adolescents de 15 ans ; que les fidèles depuis 25
ans et les plus âgés qui lui reconnaissent aussi un talent hors du commun.(27)
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(25): Renaud, le chanteur énervant- Mistral gagnant- Ed point virgule,
1986
(26): San Antonio: est l ‘un des nombreux pseudonymes qui fut accordé
à Frédéric Dard, romancier et journaliste fondateur avec Armand de Caro des
éditions « Fleuve Noir « qui donneront naissance au «commissaire
San Antonio» .
Dard s’est servi de l’argot, du langage populiste, de la langue
polissonne, du parler canaille...dans ses nombreux romans. Comparé à Georges
Simenon, il prend d’autres signatures (San Antonio, Kaputtou, Frédéric
Charles...) et utilise dans ses œuvres des hommes et des femmes que l’on
rencontre tous les jours, seulement ils vivent l’épouvante, la douleur de
trop aimer ou d’aimer mal, la folie.
Il sera également romancier de livres pour enfants et certaines de ses
œuvres furent adaptées au cinéma, à la télévision ou encore au théâtre.
(Signé Frédéric DARD- Le magazine littéraire n°255, juin 1988 ;
Alexandre LOUS)
(27) : « San Antonio :un ange des faubourgs…comme un nouveau Villon » - Paroles et musique n°58 –mars 86 – P.34