INTRODUCTION

L'univers de la chanson et celui du politique peuvent a priori paraître quelque peu distants. Pourtant ils entretiennent des liens bien réels parfois particulièrement visibles : comme c'est le cas pour les hymnes nationaux : indispensables attributs symboliques d'un pays, d'un état.

Mais c'est également le cas pour une multitude de chansons telles que les chants révolutionnaires : véritables exhortations à l'action, à la mobilisation. On connaît la valeur symbolique de certaines d'entre elles. (l'Internationale par exemple)

Les auteurs de ces œuvres y ont placé leurs idéaux, y ont exprimé leur vision du monde ou leurs espoirs. Mais certaines chansons : véritables peintures sociales, celles qui racontent la vie du peuple, (ces chansons qu'on a rapidement qualifiées de populistes), sont toutes aussi expressives : elles ont d'abord un intérêt historique et sociologique : constituant de formidables témoignages du mode de vie ou de la culture populaire du moment.

C'est ainsi toute la démarche de Serge Berstein que de retracer 100 ans d'histoire de France en chansons (Serge Berstein avec la collaboration de Philippe Tétart ; 100 ans d'histoire de France en chansons ; éditions du Chêne, Hachette-livre, 2000) c'est à dire de rechercher ce qui, dans la chanson française, illustre directement ou indirectement les grands mouvements politiques et sociaux.

Incontestablement il est possible de faire tout cela avec les chansons de Renaud : d'y voir une sorte de photographie sociale, d'y trouver des éléments révolutionnaires : on peut aussi à la manière de Serge Berstein y lire a posteriori les grands événements dont son œuvre porte les stigmates : Mai 68 ; l'alternance de 1981, la crise économique, le chômage…

Mais Renaud est un chanteur à part, dans le paysage de la chanson contemporaine :

- à part d'abord parce qu'à l'heure de l'ascétisme commercial, lui, continue, à la manière des chansonniers du XIX ème siècle, à produire des textes farouchement engagés, avec une verve radicale et volontiers excessive

- à part aussi en raison de la nature de ce qu'il « raconte ». Ses chansons parlent de voyous, de petits truands, des rues de Paris : un univers qui n'est pas sans rappeler celui de Bruant et de la chanson réaliste.

Ce goût de l'histoire un peu sombre, de l'atmosphère un peu glauque, on retrouve bien cela chez les deux hommes (malgré les générations qui les séparent). Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Bruant fait partie des « grands» : de ces artistes dont Renaud s'est véritablement imprégné. Renaud avoue même en chanson qu'il apprécie de :

« Fumer une bonne vieille Goldo / en écoutant chanter Bruant! »

(Pourquoi d'abord ?)

Renaud se fait donc en partie l'héritier de cette tradition de la chanson réaliste. Pour raconter ces histoires qui, sous une fausse apparence de futilité ou d'anecdote, cachent une profonde critique sociale, Renaud dispose d'un certain talent qui lui permet de laisser transparaître les émotions qu'il souhaite susciter : colère, mélancolie, tristesse...

           Les qualités de conteur qu'on retrouve chez Bruant, Renaud les possède incontestablement c'est la raison pour laquelle Baptiste Vignol, auteur d'un livre sur la chanson française qualifie Renaud de « fabuliste majuscule ». (Baptiste Vignol ; Cette chanson que la télé assassine ; Christian Pirot éditeur, 2001)

Mais Renaud s'inscrit également dans la lignée des chansonniers plus anciens : d'un Jean-Baptiste Clément et de son célèbre «Temps des cerises » : qui inspirera Renaud, le titre de l'un de ses recueils de chansons : « Le temps des noyaux ».

Mais Renaud avoue, lui, plus volontiers que son univers musicalo-politique doit beaucoup à Georges Brassens : celui qu'il appelle son «maître» et qui a bercé son enfance. L'admiration de Renaud pour Brassens doit autant à ses qualités chansonnières qu'à une certaine proximité intellectuelle.

Mais l'intérêt de Renaud ne vient pas uniquement de ce qu'il est l'héritier d'une tradition : celle de la chanson engagée, de la chanson dite « à texte ».

Car Renaud n'est pas que cela : c'est un « créateur », un créateur de langue, un artiste pluridisciplinaire : auteur compositeur interprète, rédacteur de chroniques de textes (accessoirement sculpteur amateur...) : c'est un artiste complet dans tous les sens du terme : complet aussi dans son engagement politique et toute son œuvre est, en réalité, une fenêtre sur son univers politique agité, original, riche et coloré.

L'intérêt de cet univers politique là, c'est aussi qu'il est celui d'un autodidacte, d'un non professionnel de la politique, de quelqu'un qui se présente totalement dégagé de toute  « éthique de responsabilité » et qui laisse exprimer avec force toute celle de sa conviction.

Toutefois pour appréhender comme il se doit son univers, il convient de savoir regarder, chercher, creuser derrière les apparences. Car la difficulté est là : Renaud n'a pas des attributs apparents du « sérieux », de la crédibilité de l'intellectuel, du politicien ou du « théoricien politique » : ce n'est clairement pas un acteur traditionnel du jeu politique :

-Il use d'une langue qui est celle de la rue

-Il utilise notamment, comme vecteur, de ce que Gainsbourg appelait un ­«Art Mineur » : la chanson.

-Il développe une pensée critique, radicale qui lui donne l'image soit d’un révolutionnaire dangereux soit d'un idéaliste soixante-huitard


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