Introduction

‘Une bouffée d’air frais et de subversion post soixante-huitarde dans la chanson française.’

En Mai 1968, à l’âge de 16 ans, Renaud Séchan, qui allait abandonner l’école l’année suivante, se barricadait lui-même derrière les portes de la Sorbonne. Au milieu des protestations étudiantes, il écrivit spontanément sa première chanson, ‘Crève Salope’, qui était reprise par tout étudiant présent en possession d’une guitare. Six ans plus tard, après avoir voyagé dans différentes régions de France, travaillé dans une librairie et avoir joué aux cotés de Miou-Miou et Coluche, Renaud repris une fois encore sa guitare et chanta dans les rues de Paris en compagnie de son ami accordéoniste Michel Pons. En 1975, son premier album Amoureux de Paname était lancé.

Cette thèse fournira une analyse critique sur le travail de Renaud depuis 1975. Cela n’a pas la prétention d’être une étude exhaustive, mais tentera d’établir de manière critique l’importance de son œuvre et suggérer quelles qualités originales qu’il a apporté à la sphère de la chanson française. De plus, elle identifiera les parties d’un intérêt particulier dans son travail et examinera ses chansons en relation avec un contexte culturel et social plus large.

Le critique et écrivain, Michael Gray, décrit l’œuvre de Bob Dylan de la manière suivante « ce que Dylan ne fait pas c’est d’offrir consciemment une philosophie de vie soutenue et cohésive, considérée de manière intellectuelle et vérifiée contre des contradictions. Ce qu’il offre est la recréation artistique de la lutte individuelle à notre époque. » Une description similaire pourrait facilement être appliquée à Renaud. Bien que dans le travail de Renaud certains thèmes politiques très clairs sont prévalent : anarchie, anti-militarisme, le tiers-monde, la lutte primordiale de « son » époque me semble être par-dessus tout, sa tentative de comprendre des mythes culturels populaires évoluants d’une société globalisée.

Mon but dans cette thèse est de tracer les manières dont Renaud réagit et s’arrange avec ces mythes changeants. Il y a trois parties principales dans ce travail qui illustrent cela et qui correspondent aux trois chapitres principaux de la thèse.

Le premier chapitre s’intéressera à la description de la jeunesse et de la culture jeune dans ses chansons et suggérera de quelle façon Renaud devient un miroir pour les jeunes, faisant un portrait de leur univers face aux structures sociales changeants et aux récits culturels

Le second chapitre explorera son portrait des mythes culturels populaires dans le contexte de la ville de Paris et une partie de ses habitants.

Le dernier chapitre se concentrera sur son intérêt avec l’esprit commercial, l’authenticité et l’image au sein de l’industrie de la musique et comme partie de sa carrière en tant qu’artiste.

La chanson française est un genre spécifique et comme tel possède sa propre histoire. Comme cette thèse l’illustrera, Renaud se voit lui-même comme un auteur-compositeur-interprète dans la tradition de la chanson française, et ainsi devient une part de l’histoire de la chanson. Il est donc important pour une complète compréhension de son travail de le contextualiser et d’examiner brièvement ses prédécesseurs et ses influences.

Le récit suivant fournira une histoire brève de la chanson française, suivie par une biographie concise de la carrière de Renaud, traçant ses préoccupations évoluant et un résumé de ses albums jusqu’ici.

Pierre Saka soutient que l’histoire officielle de la chanson française commence au début du 18ème siècle avec la création des « dîners au caveau » : rencontres de chansonniers qui attiraient souvent des membres cultivés de la société.

Le premier chansonnier célèbre fut Desangiers (1772-1827), auteur de Paris à 5h du matin, mais Béranger (1780-1857) devint le chansonnier le plus connu de l’époque, et la première vraie « star » de la chanson française. Au cours des 18ème et 19ème siècles la chanson devint « un instrument d’agitation populaire. » Louis Festau était convaincu de l’engagement et du commentaire social qu’un chansonnier devait faire. Il écrivit : « le chansonnier est l’écho, le pétitionnaire du peuple. Il rit de sa joie, pleur de sa souffrance, et menace de sa colère. » La fin du 19ème et le début du 20ème siècle sont plus connus pour la chanson réaliste, dont les récits, pour la plupart se concentrent sur la classe ouvrière de la banlieue de Paris : Belleville, Montmartre et la Zone au-delà. Un des premiers artistes à être associé à ce type de chanson fut Aristide Bruant (1851-1925), bien que Fréhel et Piaf soient également très connues pour leur style réaliste. Bruant est né dans une famille bourgeoise et mena une vie confortable. Cependant, le contenu de ses chansons se focalisait sur la classe ouvrière et les quartiers de Paris qu’ils habitaient – Montmartre et la « Zone »- et étaient des récits réalistes souvent écrits en argot. Les chansons au sujet du demi-monde, ‘la pègre’ et ‘les apaches’ entrèrent dans le répertoire de son spectacle de music-hall en 1909 quand Max Dearly et Mistinguett présentèrent une danse sensationnelle au Moulin Rouge : la valse chaloupée. Bien que la popularité des apaches soit passée de mode dans les années 20, le demi-monde parisien sous différentes formes est toujours resté un sujet fascinant pour le spectacle populaire. Pareillement ; le Montmartre des chansons de Bruant, et « la zone » - maison des petites gens des faubourgs de Paris – changea dramatiquement après la guerre.

Cependant le « folklore des faubourgs », le mythe de ces petites gens et les quartiers qu’ils habitaient continua. Renaud, comme il sera discuté dans le chapitre trois, évoque cette période de Paris à travers les noms de ses personnages, les endroits qu’ils fréquentent et le style réaliste du récit.

Les années 50 virent l’émergence du phénomène « rive-gauche » et de la chanson intellectuelle ou littéraire. Basé principalement dans les cabarets de St Germain des Prés, ce type de chanson, également connu en tant que chanson poétique, amena à la montée de l’auteur-compositeur-interprète en France. Charles Trenet et plus tard, Ferré, Brassens et Brel sont les interprètes les plus connus de ce type de chansons où le texte est l’élément le plus important. L’arrivée de la pop aux alentours des années 60, et la vague de la chanson pop française connue telle que le yéyé (dû à l’imitation de l’anglais « yeh ,yeh ») termina l’influence de la chanson poétique et des chansons où le texte était de première importance.

Le rock et la pop importés accentuèrent à la fois la musique et les paroles, et en France après mai 1968, une nouvelle dégénération de ACIs combinait pop et chanson poétique, Jacques Higelin fut l’un des premiers et plus influents interprètes de ce nouveau style. Renaud appartient également à cette génération post soixante-huitarde, cependant, son originalité fut issue du fait qu’il combine des éléments de la chanson réaliste avec du rock moderne et des sons et des thèmes pop. D’un niveau superficiel, cette combinaison d’influences peut être expliquée par ses origines. Enfant, il grandit écoutant les « chouchous » de sa mère : Maurice Chevalier, Edith Piaf et l’accordéon en général, tout en découvrant dans sa jeunesse, Les Beatles, Hugues Auffray et Johnny Hallyday.

Les origines de Renaud expliquent également certaines de ses préoccupations dans son travail. Il est né le 11 mai 1952 dans le sud de Paris près de la Porte d’Orléans, un quartier qu’il défend ardemment dans sa chanson ‘Le Blues de la Porte d’Orléans’. Son père était écrivain, traducteur et professeur d’allemand, et sa mère femme au foyer, éleva 6 enfants. Son grand-père paternel enseigna à la Sorbonne, et son arrière-grand-père était pasteur protestant. Cependant, son homologue maternel, Oscar, le protagoniste éponyme d’une des chansons était mineur dans le Nord de la France. Les origines immédiates de Renaud, donc, comme celles de Bruant, étaient de classe moyenne, mais à travers ses chansons on peut pressentir un fort attachement à la classe des ouvriers, racines de sa famille maternelle. Tout au long de sa carrière ses influences musicales et ses intérêts sociaux et politiques peuvent se voir non seulement à travers ses chansons mais aussi à travers la façon dont il projète différentes images de lui-même à travers ses couvertures d’album et ses vêtements de scène.

Son premier album, Amoureux de Paname, par exemple, qui fut réalisé quand il était encore relativement inconnu dans le monde de la musique, projète une image de Renaud comme « une espèce de Gavroche rigolard, clope au bec et foulard rouge, regard faussement candide et sourire insolent, coiffé d’une gâpette d’apache » (figure1). De la même manière, le thème le plus important de ce premier album et un retravail des mythes parisiens. Par son deuxième album, à la fois son image et son contenu narratif ont changé, et la chanson intitulée ‘Laisse Béton’ amène Renaud à se faire un nom et un succès commercial. La couverture de l’album (figure 2) montre Renaud plus comme un loubard assis sur sa mobylette devant un bâtiment délabré et couvert de graffitis avec la phrase « place de ma mob » écrit sur le mur et une flèche pointant Renaud, l’identifiant clairement avec son milieu.

En 1978, la même année que la sortie de son deuxième album, Renaud participa également au «Printemps de Bourges » pour la première fois et avec succès. « Le printemps » fut mis en place pour la première fois en 1977 et donna leur chance à de nouveaux talents aussi bien qu’il fut un forum pour des débats et des analyses. Les 3 albums suivants de Renaud, Ma gonzesse (1979), Marche à l’ombre (1980), et Le Retour de Gerard Lambert (1981) représentent des scènes plus violentes sur leurs pochettes. L’image de la pochette de Marche à l’ombre (figure 3), par exemple, est en noir et blanc à l’exception de l’écriture rouge et le rouge du foulard de Renaud (le seul objet restant de sa phase ‘réaliste’, qui, avec son blouson de cuir, allait devenir un élément visuel de son personnage). Renaud est vu devant une fenêtre cassée, se tenant directement devant avec des cheveux sales. La couleur rouge fait un vibrant contraste avec le noir et gris du reste de la photographie, et étant donnée la fenêtre cassée, suggère le sang. Renaud lui-même est vu comme un jeune homme résolu, défiant en se tenant debout devant comme pour défier le spectateur. Le succès de Renaud comme un artiste de chanson continua à augmenter au fur et à mesure de ces trois albums. En mars 1980 il fit une représentation à guichets fermés à Bobino pendant un mois, et la presse commença à parler du « phénomène Renaud. » En janvier 1982, il faisait seul l’Olympia, suivant Yves Montand. Une revue de sa performance dans Le Monde conclut comme suit : « en uniforme de loubard aujourd’hui désormais naturalisé banlieusard, comme à ses débuts il était Titi parisien […] un révolté voilà ce qu’il est […] anti-communiste, anti-fasciste, anti-n’importe-quoi […] Coluche et Reiser semblent les parrains de cette terreur à tête de mignon gavroche […] Il draine dans ses chansons tout un bric-à-brac contemporain. Peu importe qu’il soit sincère ou non, ce dont il parle existe, et son répertoire tient debout, même s’il n’est pas très varié. »

 

Cependant, les changements dans la vie privée de Renaud marquèrent également un changement de ton dans ses chansons à partir de 1983. Il est désormais marié avec une fille, Lolita, à laquelle, l’album Morgane de Toi (1983) est dédié. La pochette (figure 4) montre un contraste marqué avec les violentes images précédentes. Elle montre une image de Renaud en entier au centre de la pochette tenant sa fille dans un de ses bras, et une guitare dans sa main libre, marchant le long d’un chemin qui apparaît être un parc. L’image moins violente reflète aussi le contenu textuel des chansons. L’album montre Renaud comme un mari et un père plus qu’un jeune anarchiste et violent. Morgane de toi vendu à 1300000 exemplaires en quelques mois et, comme commente Marc Robine, c’est « un chiffre qui n’avait jamais été atteint par un chanteur s’exprimant en français, depuis le fameux disque testament de Jacques Brel, les Marquises. » Quand son album suivant, Mistral Gagnant, sortit deux ans après en 1985, Renaud « est alors au sommet de sa carrière. C’est à lui que l’on demande d’essuyer les plâtres du Zénith, en janvier 1984, […] lui enfin, qui, en 86, à l’occasion des manifestations estudiantines contre la loi Devaquet, sera désigné par 31 % de jeunes (de seize à vingt-deux ans) comme la personnalité incarnant le mieux leurs aspirations. » Par conséquent, non seulement il est immensément connu à cette période de sa carrière mais il est aussi vu comme une personnalité avec laquelle les jeunes peuvent s’identifier. La pochette de l’album (figure 5) continue avec un ton plus tendre comme pour Morgane de toi. Elle montre Renaud jusqu’à la taille, se tenant de face, comme revenant mais fatigué, suçant son pouce et tenant son foulard rouge comme un enfant aurait son « doudou .» Dans son autre main il tient une canne à pêche. L’arrière plan montre un lac. A nouveau, l’image reflète les chansons de l’album, comme d’un air de regret qui fait penser à ‘La pêche à la ligne’ ou ‘Mistral Gagnant’. Son album suivant Putain de camion, 1988, n’était pas autant un succès commercial que ses deux albums précédents suite au choix de Renaud de ne pas faire de publicité pour la sortie (voir chapitre 4 pour une complète explication de sa décision.) Cependant la « beauté et la qualité de l’album » permis à Renaud de remporter un certain nombre de prix, de la part de « la ville de Paris », le « ministère de la Culture » et la « SACEM. » La pochette de l’album est solennelle, un ton qui reflète les sentiments de perte exprimée dans la chanson titre pour le comédien et proche ami de Renaud, Coluche, qui avait récemment été tué. Un vase de coquelicots rouges est dépeint enfermé dans un large arrière plan noir et le titre de l’album, avec le nom « Renaud », tout est subtilement présenté au centre de la pochette. La pochette de son album suivant, Marchand de cailloux, 1991, (figure 6) est intéressant en cela qu’il reflète sa tendance à travers un ton moins défiant et anarchiste dans ses chansons. Elle montre Renaud jusqu’aux épaules, portant l’habituel blouson en cuir et une cigarette dans la bouche. Il apparaît ajustant ses cheveux avec une main, regardant fixement vers la gauche, soit le titre de son album qui se présente en lettres se défaisant d’une pile en bas a gauche de la couverture, soit dans un miroir imaginaire. Son regard est bien moins menaçant qu’il ne l’était sur l’album Marche a l’ombre, qui montrait aussi un gros plan de Renaud, comme ici il évite le regard du public en regardant ailleurs que l’appareil photo. Cela suggère un tempérament moins défiant et moins subversif, bien que Renaud apparaisse en train de froncer les sourcils, ceux qui pourraient suggérer la contrariété. En 1993, il sort Renaud cante el Nord qui ne sera pas étudie dans cette thèse puisque les chansons sont, pour la plupart, écrites et chantées en « ch’ti’ », le langage traditionnel des gens du Nord de la France. Son dernier album en date de nouvelles chansons est A la Belle de Mai (1994), un hommage a la classe ouvrière de la région marseillaise du même nom. Bien qu’il y ait eu de nombreuses compilations sorties depuis 1994, il n’a pas produit de nouvel album depuis celui-ci.


(traduction par Emilie, avec relecture et validation par Kim Harrison)


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