Comme un miroir

qui s'regarde

dans la glace

 

 

"Ils se reconnaissent en toi comme

 dans un miroir, Renaud, mon fils."

 

    Jusqu'à maintenant nous avons parlé de la fonction sensible des yeux. En bien justement, ils ne sont pas sans cible, ils visent, ils voient. Révélation surprenante n'est-ce pas ?

    Alors comme ça les yeux parlent, pleurent et pleuvent ! Ils peuvent même 'vomir' si l'on en croit la déclaration qu'a fait Renaud à Jean-Edern Hallier à propos de son livre Force d'âme dans l'émission Bouillon de culture du 26 avril 1992 ( Voir à ce sujet le livre de Thierry Séchan, Nos amis les chanteurs p 96-97 ). Mais leur fonction principale reste celle de regarder.

    Au dos du livre Dès que le chant soufflera... ( Livre de Poche N° 9622 ), on peut lire " Renaud est à la chanson ce que Robert Doisneau est à la photographie : un poète de la rue, l'observateur implacable des laideurs du monde et de sa beauté". C'est un oeil mais pas n'importe lequel : un oeil poétique et critique. Ce n'est pas une contemplation béate du monde, c'est un regard qui marche. Mais nous reviendrons plus tard sur ce point car c'est là l'un des moteurs de son écriture, et il fera l'objet d'un chapitre.

 

    L'oeil voit, mais peut aussi se regarder. Pour cela il lui faut un miroir, une surface réfléchissante. Logiquement nous devrions trouver cet objet dans l'oeuvre de notre photographe. Cherchons un peu... Ca y est , " Pendant c'temps ma gonzesse batsise le plumard / Et regarde ses fesses dans la glace de l'armoire" ('P'tit dej' blues ').

    Les fesses semblent être la cible favorite, puisqu'on les retrouve toujours en pleines formes dans le dernier album A la belle de Mai :

 

 " Elles se retournent dans le miroir

Par dessus leur épaule

Pas très rassurées pour voir

Si par malheur ou par hasard

Leur joli cul n'aurait pas disparu"

( ' Devant les lavabos ' )

 

    Cette répétition est pertinente et significative, trouvons son sens. Comme dirait Tzevan Todorov : " Lire c'est trouver des sens et trouver des sens c'est les nommer". Nous nous avons trouvé de jolis yeux et une paire de fesses, c'est plus agréable. A propos de fesses et puisque nous sommes dans les citations, René Fallet à écrit quelque chose comme ça : " Les fesses c'est pas parce qu'elles vont par deux que cela empêche la solitude..."

    Bien sûr qu'il y a une motivation, même inconsciente derrière tout ça. Pour vous en convaincre, dans ' Ma gonzesse' on ne trouve que trois parties du corps nommées : les guibolles, le cul, les yeux. Dans un article de Charlie Hebdo du 1 février 1993, il écrit " Anne Sinclair a les lus beaux yeux du PAF. C'est entendu. Peut-être le plus beau paf aussi mais on le voit jamais, elle est toujours assise.".

    Il parle rarement des seins même si ce passage me fait mentir :

 

" Reluque la tronche à la pouffiasse,

vise la culasse

et les nibards !"

(' Marche à l'ombre ')

 

    Tout ça pour dire que le regard que la femme porte sur elle, c'est celui de Renaud. Pourtant me direz-vous, il n'est jamais présent, dans 'P'tit dej' blues' il est au boulot, puis au bistrot, dans ' la pêche à la ligne' il est à la pêche, dans ' Devant les lavabos' il est à table.

    Pas présent ? Pas sûr, ne les voit-il pas ?

    Par quel oeil dites-vous ?

    Par celui du miroir, il les observe, ou si vous préférez les imagine. Et lorsqu'elles ne sont plus devant une glace ou un miroir, c'ets l'incertitude.

    Ce don d'ubiquité que plus d'un envierait, lui permet de regarder les femmes qui se contemplent et explique cette orientation de regard que nous avions souligné au début du chapitre.

Dans tous les exemples que j'ai cité il y a un point commun : il la voit mais ne l'entend pas. Pourquoi ne pourrait-il pas aussi imaginer ce qu'elles disent ? Par ce qu'un miroir c'est sourd et ça, tout le monde vous le dira. Comment ????

 

    Cette surdité est gênante, " [Il ] aimerait bien entendre / ce qu'elle dit de [lui]". On retrouve ce désir en permanence et notamment dans 'Devant les lavabos' où il s'interroge à nouveau : que disent-elles sur moi, sur nous, disent-elles des gros mots ?

 

" Nos gonzesses

Devant les lavabos

Est-c'qu'elles parlent de moi, de nous ?

Est-c'qu'elles disent des gros mots ?"

 

    Mais la véritable question n'est-elle pas : m'aime-t-elle ? On retrouve de façon récurrente cette crainte.

    Cet indiscrétion consiste également à fouiller dans le sac, n'est ce pas une curiosité malsaine, malgré les apparences. C'est avant tout un désir de mieux connaître, de se rapprocher un peu plus de l'être aimé. Volonté que l'on retrouve chez Francis Cabrel, ami de Renaud.

    Hugues Royer dans son livre sur Cabrel dit :

 

    " Dans le regard profond du chevalier se lit l'espoir de traverser un jour la ligne de démarcation qui sépare l'homme de la femme. Ce pari impossible ne cesse de le tenter. Il s'est juré que bientôt l'âme délicate de l'aimée n'aurait plus de secret pour lui"

 

    Comment ne pas voir la ressemblance avec cette quête, où le chevalier Renaud, plus intrépide que Gérard Lambert, proclame à sa bien aimée : "J'voulais connaître tes secrets" et n'a même pas peur de fouiller dans son sac au risque de se "manger/quelques claques"   

  

    Même pas mal!

    Le but n'est-il pas atteint lorsqu'il dit, toujours dans la même chanson : "J'ai découvert des trésors / Qui m'ont fait t'aimer encore / Un peu plus ».

    Son aspect physique ne lui est pas indifférent sans aller jusqu'au narcissisme. Et c'est bien normal, quand tu as des milliers d'yeux qui te regardent le soir chanter, ou quand tu passes à la télévision, tu ne te promènes plus «La boule à zéro/Et la morve au nez »' Le sirop de la rue ' )

    L'habit fait le moine, il est porteur de sens, comme les costumes de théâtre. Dis-moi comment tu te fringues, je te dirai Si tu m'plais ! Les commentaires qu'il a mis en marge des photos de Claude Gassian comme celui-ci : « Une chance que je n 'ai pas vraiment cette tête-la dans la vraie vie. Si j'avais été aussi joli garçon, aurais-je eu besoin d'écrire des chansons pour séduire les qui/les à la vanille et les gars en chocolat ?», ces deux verres du sirop d'la rue « On n 'était pas beaux /Mais on s'en foutait» montrent bien justement qu'il ne s'en fout plus. D'où ses changements de 'Look'.

    Il adopte en Novembre 82 les moustaches, le pull marin et les cheveux châtains, en 84 le cuir et le bandanas, en 85 ses cheveux se mettent à pousser àl'envers en capturant un peu de soleil : « Yparaîtrait qu'un mec qui s'décolore les cheveux, / il a l'air d'un travelo et c'est ridicule. » ( ' Sans dec ' ), sur ses doigts poussent des bagues, sur le corps un tee-shirt avec des mots en Anglais : « Reagan Hates Me.». Paraîtrait qu'maint'nant il a des putains d'cheveux blancs, mais il parle plus d'ses yeux cernés, d'ses « rendez-vous, vous êtes cernés. » ( ' Sans dec' )

    Prenons l'exemple du dernièr album: A la belle de mai, dont j'ai déjà cité un extrait du ' Sirop de la rue ' et également un de ' Cheveu blanc ' que j'aimerais étendre avec ceci :

 

" On a beau s'croire toujours adolescent

Pass'que nos gonzesses sont un peu miro

Pass'que les miroirs sont très indulgents

...

Le jour où t'hérites des ch'veux d'tes parents

T'as du mal à croire qu'à partir d'maintenant

Les filles vont craquer sur tes tempes argent

Surtout si déjà elles craquaient pas avant"

 

 

    La première partie avant les '...' montre bien que le miroir se regarde dans la glace. Oui je sais ici c'est le miroir qui se regarde dans le miroir, mais c'est pareil. Cette surface réfléchissante est qualifiée d'indulgente, qualité humaine. Renaud serait-il indulgent avec lui même ? Le reste est évident, c'est la peur de chacun, voir son corps vieillir. Mais n'est-ce pas le sort réservé à tous ceux dont le visage fume le temps'?

    Allez souris t'es pas vieux, y'a pas trace de rouille. Pense Fallet. Vide chopines en lisant Les vieux de la vieille. On a l'âge de ses yeux. Et les yeux ne prennent pas de ride, y changent de couleur. C'est un arc-en-ciel qu'on a dans l'iris. Toi en plus t'as un peu du ciel bleu de nos marelles. Et j'te jure, j'y balancerai pas un caillou, un galet, même pour monter au ciel à cloche pied. Trop peur de t'faire du mal. J'y promènerai juste mon cerf volant. Y pollue pas. Lorsqu'il claque au vent, la seule trace qu'il laisse derrière lui, c'est celle de la liberté. Et il en aura tellement soif, de cette liberté chérie, que je lui retirerais sa laisse et son collier, lâcherais la ficelle...

     Je continue avec ' Mon amoureux ' où l'idée est la même « C'est pas un premier de la classe / il est 'achement plus beau / On dirait toi sur tes vielles photos. ». Les exemples ne manquent pas, mais je le rappelle il n'est pour autant narcissique. Il parle dans ces chansons de ce qui le préoccupe, l'aspect physique, le vieillissement est l'un de ces thèmes.

     Si la surface réfléchissante est un rétro : «Enfin dans le rétro poussiéreux / D'un camion des poubelles à l'aurore / Se remaquillent un peu », comme Renaud ne tient pas dedans, la fonction n'est plus la même. Il sert uniquement aux pétasses ( Dans le sac de sa femme, il n'y a pas de glace  ) pour se remaquiller. Ceci pour vous dire qu'il faut relativiser, que Renaud ne s'est pas investi du rôle de miroir, que ce que je viens d'écrire est sans doute pour lui tout aussi nouveau que pour vous, qu'il n'a jamais eu conscience de ça. Je trace uniquement les grandes lignes d'une vision, d'une sensibilité, d'un être avec tout ce que cela comporte comme écarts, exceptions et illogismes. Je sais que vous n'avez encore rien dit, mais je préviens, j'aime autant On n'sait jamais !

 

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