Paris, 29/01/2003 par Eric
Pour de mauvaises raisons, je n’avais jamais vu Renaud
en concert jusqu’à cette nouvelle tournée. J’ai eu
la chance de rencontrer le bonhomme plusieurs fois, toujours gentil, simple,
timide. Puis dans les dernières années, chaque nouvelle rencontre
était pour moi un déchirement. Toujours bourré (moi-même
je n’étais pas en reste), vieilli, aigri, presque méchant.
Ce n’était plus le jeune homme révolté mais tendre
que ses chansons nous avaient fait aimer mais une loque malade et désabusée,
en état de semi-clochardisation !
Puis le come-back si bien documenté, une vraie belle histoire de décadence
et de rédemption comme dans les films, le phénix ! Un superbe
album (mais vieillira-t-il aussi bien que ses prédécesseurs ?)
et une tournée d’enfer, des ventes explosives, des prix partout,
une médiatisation à la mesure de l’événement.
Cette fois, je comptais bien me le faire, ce concert. J’en ai rêvé
depuis quinze ans, après tout !
Direction le Zénith, donc. Une public jeune, une foule dense, des joints,
de la bière, des étudiantes, une soirée sympathique en
perspective. 20h00, les lumières s’éteignent. Le riff de
Docteur Renaud retentit dans la salle. La silhouette du chanteur se dessine
dans le bistrot sur la droite de la scène. Perfecto, cheveux mi-longs,
le voilà qui sort, il porte le micro à sa bouche. L’excitation
est à son comble, et là…
Une catastrophe. Pire, une honte. Sa voix, poussive, n’est plus qu’un
râle étouffé et faiblard. La mélodie est inaudible,
son filet rauque est mixé tellement fort qu’il écrase les
musiciens. Et physiquement, le chanteur n’est plus que l’ombre de
ce qu’il était. Le jeune homme sautillant, primesautier (même
si désespéré) et rigolard a laissé place à
un vieillard voûté, la tronche en biais. Pervers Pépère
!
Docteur Renard et Si t’es mon pote (que je n’aime déjà
pas, mais là…) sont ainsi massacrés par ce personnage titubant
aux yeux mi-clos et au visage soufflé. Le plantage est tel que le regarder
devient carrément obscène, le public ne sait pas trop quoi en
penser… certains sont estomaqués, choqués. C’est comme
si on s’était tous réuni pour observer un accident de la
route, indécent !
A ce moment, je décide que j’en ai assez , que je n’ai pas
payé euh… rien du tout, en fait c’était une invit’,
bref… je suis prêt à me barrer. Je lui lance un ultimatum
dans ma tête : si la prochaine chanson ne relève pas le niveau,
je vais direct au bistrot, et j’écris une lettre de réclamation
à tout le monde ! Parce que détruire mes rêves d’adolescent,
ça se paye !
Et là, changement. Pochetron résonne dans le Zénith qui
s’allume de mille briquets, les gens se prennent par la main pour chanter
en cœur. Renaud se met à bien chanter, il arrête de trembler,
les musiciens s’en rendent compte et font sourire leurs instruments…magique
! Petit pédé (chanson plutôt gonflante sur album, ici magnifiquement
interprétée), En Cloque, Déserteur, Baltique, Miss Maggie…
toutes ces chansons s’enchaînent sans un pet de travers, avec même
un soupçon de folie qui fait la différence entre un bon spectacle
et un concert inoubliable.
Cœur perdu, Morts les enfants, puis l’Entarté, qui est, à
mon humble avis, une des plus mauvaises chansons qu’il a écrit.
Pauvre, facile, rien à sauver dans cette chanson. Et B.H.L. m’énerve
aussi ! Mon nain de jardin, avec une atmosphère de fête, bien balloche,
sympa, ambiance irlandaise pour la Ballade Nord-Irlandaise, La pêche à
la ligne, très belle, puis Manhattan-Kaboul, où Axelle Red vient
enchanter le public par son charme et sa voix. Puis, une légère
baisse de régime, Axelle Red chante seule au piano son dernier tube en
date, joli mais un peu hors-sujet. Mais d’où je suis, j’ai
pu voire sa petite culotte pendant les deux-trois minutes que dure cette chanson,
et rien que pour ça…
Bon, je me suis laissé emporter. N’empêche, quelles belles
jambes ! Et cette crinière de feu ! Et des yeux ! Profonds et tendres
comme ceux de Bambi ! Des lèvres sensuelles, et une voix si sexy ! Bref,
une fois la minute promo-copinage-ego terminée, retour du groupe avec
It is not because you are, toujours aussi drôle et triste à la
fois, Laisse Béton, sautillant, repris en cœur par un public conquis
et heureux. Marche à l’ombre, pour continuer dans les classiques,
et puis Manu, une version triste et belle, l’émotion est palpable,
tout le public est bouleversé. Renaud serait-il devenu Manu ? Ma conviction
qu’il met dans l’interprétation tendrait à le laisser
penser…
Ca y’est, c’est fini, les musiciens saluent le public et s’en
vont. Personne n’est dupe, on sait que les rappels sont juste derrière,
ça fait parti du spectacle, ça ne veux plus rien dire, mais bon…
Mon bistrot préféré, chanté par Renaud au bistrot,
très jolie version qui elle aussi prend sur scène une autre dimension.
Marchand de cailloux, Dès que le vent soufflera repris en cœur par
un public au comble de l’excitation, ça saute de haut en bas, ça
vocifère, ça se jette des gradins… le délire ! Puis
Renaud va s’assoire sous l’arbre, à gauche, sur le banc près
de la fontaine. C’est bien sûr Mistral Gagnant. Le public à
les larmes aux yeux et moi la chair de poule. Magique.
Au revoir, merci, révérence etc… Mais oui, ils vont revenir.
Les revoilà d’ailleurs. Pour continuer dans le même registre,
Morgane de toi (que je croyais avoir trop entendu), sublime. Et pour finir sur
une note festive, Dans mon H.L.M., l’hymne ultime, scandé par une
assistance au paroxysme du bonheur.
Le roi de la soirée aura été plébiscité pendant
presque deux heures et demi, malgré un démarrage de mauvaise augure.
L’alcool, les médicaments et la dépression ont quand même
fait leur effet, certains dégâts sont irréparables et Renaud
ne sera plus jamais ce rebelle beau et énergique. Mais sa maturité,
son hypocondrie, sa résignation et sa pudeur peuvent ajouter une nouvelle
dimension à son répertoire à venir, et tant qu’il
nous dira des messes comme celle à laquelle j’ai eu le plaisir
d’assister, il lui reste quelques beaux jours devant lui. Malgré
un départ en forme de plantage, et le choc de voir ce qu’est devenu
ce Gavroche de mon enfance. Ce qui est le plus déprimant, c’est
que ça nous pend tous au nez. Vraiment, faudrait pas vieillir.