L'auto-stoppeuse

Paroles & musique Renaud Séchan, 1979.

Dans la chanson L'auto-stoppeuse, Renaud s'amuse à décrire le physique, les attitudes, la mentalité d'une jeune femme qu'il a la gentillesse de prendre en stop dans sa Ford Mustang à la porte de Vanves "un soir de juin". Le tout sur une musique très rock'n roll. Ce texte humoristique et satirique basé sur un fait quotidien est tout de même loin d'être une grande réussite ; par contre, le langage argotique abonde au fil des vers. Grâce aux mots d'argot presque omniprésents, il réussit à exceller dans les rimes drôles : "chnoques" avec "cradoques", "vingt-cinq berges" avec "s'gobergent", "barge" avec "bave", "tu m'emmerdes" avec "ton herbe", "gerber" avec "moufter", "la botte" avec "mon pote", "punk" avec "Blaupunkt", "rock'n'roll" avec "bagnole", "l'éclate" avec "coup d'lattes", "macadam" avec "doberman", "bagnoles" avec "picole" etc.

Dès le premier couplet, Renaud commence fort en attaquant les hippies, les baba-cool. Il faut dire que sur l'album teigneux "Marche à l'ombre", le chanteur est dans sa grande période "loubard", le mec qui rigole pas avec un blouson de cuir et qui fiche la trouille aux bourgeois. Et cette image-là, la photographie de la pochette de l'album la reflète à la perfection.

"Elle s'emmerdait place Saint-Michel / avec des cons, /

Elle descendait place de l'Horloge, / En Avignon, /

S'emmerder avec des vieux schnoques / De vingt-cinq berges /

Qui r'viennent des Indes ou du Maroc / Et qui s'gobergent, /

Assis sur des sacs de couchage / plutôt cradoques.

Sous leurs pavés, c'est p't'être la plage, / Mais elle est moche !"

Déjà, dès la chanson d'ouverture de l'album, "Marche à l'ombre", Renaud s'en prenait aux baba-cools
(on remarque la présence du mot "cradoque" dans ces deux chansons) :

Quand l'baba-cool cradoque / Est sorti d'son bus Volkswagen

Qu'il avait garé comme une loque / Devant mon rade, /

J'ai dit à Bob qu'était au flipp : / Viens voir le mariole qui s'ramène /

Vise la dégaine, / Quelle rigolade ! /

Patchouli-Pataugas, le Guide du Routard dans la poche, / Aré-Frishna à mort, ch'veux henné, oreille percée, /

Tu vas voir qu'à tous les coups / Y va nous taper cent balles /

Pour s'barrer à Katmandou, / Ou au Népal."

Au bout de quelque temps de route, Renaud - car c'est une autobiographie un peu exagérée - avec pour compagnie, l'auto-stoppeuse et son doberman "complètement barge", décide de s'arrêter après la ville de Moulins pour déguster un des fameux délicieux plat de Jacques Borel, le restaurateur très contesté des autoroutes. Ce Jacques Borel est une belle allusion à Jacques Brel, Le Plat Pays qui est le mien. Renaud détourne en un "plat pourri qui est le sien".

"Et Jacques Borel nous a chanté / Son p'tit refrain : / Le plat pourri qui est le sien / J'y ai pas touché, / Tiens, c'est pas dur, même le clébard / a tout gerbé !"

En fait, cette trouvaille amusante n'est pas de l'interprète. Coluche l'avait inventée au printemps 1978 lors de ses émissions sur Europe 1 entre 15 h 30 et 17 h. L'humoriste avait sorti : "Pour manger, c'est pas terrible, mais pour vomir, formidable !". Un blanc de cinq secondes de réflexion et il détourne la chanson de Jacques Brel : "Le plat pourri qui est le mien". Renaud ne touchera pas au plat. Le chien, lui, réussira à vomir, comme le dit Coluche. Et comme par hasard, elle n'a pas de quoi payer, alors Renaud paie : "J'ai tout casqué !"

L'auto-stoppeuse a un ami journaliste écrivant dans VSD et parfois dans Rock & Folk (allusions de plus à des magazines dans le répertoire du chanteur). Elle lui apprend "qui s'rait pédé comme un phoque, mais loin d'être con". "Pédé comme un phoque", une autre expression appartenant au lexique renaudien vu qu'elle est également citée dans "En cloque". Que signifie-t-elle ? En fait, les phoques n'ont pas particulièrement de comportements homosexuels. Cette légende serait peut-être dû à cause d'une mauvaise orthographe. Philippe Vaendel l'explique très bien dans son "Livre des pourquoi" : "L'expression "pédé comme un phoque" tire son origine de l'argot des marins. Grands connaisseurs en argot. Et, paraît-il, en pratiques inverties (et averties). Or, le mot "phoque" peut également s'entendre en trois lettres : "foc". Il provient du néerlandais "focke", et s'écrivait en 1702 "foque". Le foc, sur un navire, est la voile triangulaire qui se place à l'avant. Et qui par conséquent prend tout par l'arrière..."

Le refrain en dit long : "J'l'aurais préférée vicieuse, voire allumeuse !". Il dira la même chose dans Près des autos tamponneuse : "moi, j'avais des idées vicieuses, sous mes ch'veux jaunes". D'ailleurs, Renaud lui "propose la botte", sans succès : "Cause toujours, mon pote, t'es qu'un ringard !" Bon. Pour détendre l'atmosphère, il met un cassette de Starshooter dans son autoradio : elle préfère le rock'n roll ! Il finit par éjecter l'auto-stoppeuse "à grands coups de lattes" de sa voiture et conclut l'histoire avec élégance:

"J'veux plus personne dans ma bagnole, / J'suis mieux tout seul, /

J'conduis d'une main, d' l'autre je picole, / J'me fends la gueule !"

Mais si Renaud illustre assez bien l'ambiance amusante "très glauque, très punk" de l'auto-stop après six couplets déchaînés, d'une méchanceté à toute épreuve, c'est qu'il l'a pratiquée dans sa jeunesse... et en tant que passager. "Me parlez plus d'auto-stoppeuses ça m'rend morose !" On remarquera que l'auto-stop est un sujet qui intéresse Renaud puisqu'il en reparlera notamment dans sa chronique tenue dans Charlie Hebdo du 13 décembre 1995, "Jour de grève, Renaud prend Jeanne Calment en stop". Et sur la dernière mesure, il conseille à l'auditeur "de ne pas déclencher l'auto-stoppeur", phrase qu'il supprimera lors de ses concerts à l'Olympia en janvier 1982.