Renaud - les albums, analyse personnelle

Marche à l'ombre (1980)

Wow ! Il nous avait caché ça le bougre ! C'est sûr maintenant, "Ma gonzesse" est sorti trop vite, sans doutes pour des raisons commerciales, et on y a fourgué les restes pour garder le meilleur pour ce nouvel album ! Si je vous dit "Marche à l'ombre", "Les aventures des Gérard Lambert", "Dans mon HLM", "La teigne", "Où c'est qu'j'ai mis mon flingue ?", "It is not because you are", "Baston!", "Mimi l'ennui", "L'auto-stoppeuse", vous me répondez "ben, ce sont des tubes de Renaud, wah hé l'aut' hé !" Et si je vous répond "Toutes ces chansons sont sur un et un seul album !". Vous me dévisagez alors ! Pas possible, on ne sort pas un album dont chaque chanson ou presque devient un classique, un best-of avant la lettre ! Hé bien si ! "Marche à l'ombre" en est le meilleur exemple. C'est un album fabuleux, une véritable flèche de Cupidon pour fan en manque de références. L'artiste prend une nouvelle dimension, bien plus grande que l'ancienne. Le personnage s'affirme définitivement. Et si le parolier hésite encore à s'engager, le musicien gagne en expérience, en inventivité, en qualité de composition. Bref, un premier grand tournant dans la carrière de Renaud, un album à ne manquer sous aucun prétexte !

1. Marche à l'ombre

Ah, toujours cette image de loubard qui suit Renaud, au point de monopoliser la couverture de l'album (au fait, avez-vous remarqué l'apparition du bandana ?)... Cependant, il a bien changé le loubard. Il n'hante plus la banlieue sauvage sur sa mob chouravée mais semble passer sa vie au bistrot, inoffensivement. Il délègue ses aventures à d'autres personnages. D'acteur, le personnage est devenu spectateur et narrateur, comme dans toutes ces bonnes séries où le vrai héros est celui qui en fait le moins mais sert de liant à une multitude de personnages satellites (que Tintin est plat si on le compare au capitaine Haddock !). Le style aussi a évolué. Dès les premiers accords, on sent que quelque chose a changé, ce n'est plus la même sonorité, la même époque, la même ambition. De même, le langage a changé et "Marche à l'ombre" est un véritable chef d'oeuvre de l'argot chanté. Je mets au défi un non francophone (et même certains francophones) de comprendre le premier couplet. Mais la magie opère et la musicalité est là ! Cette chanson a rencontré un énorme succès et a fait l'objet de nombreuses reprises en concert. Pour ma part, ma version 'live' préférée est celle du pot-pourri de la vidéo "La chetron sauvage". A découvrir absolument donc !

2. Les aventures de Gérard Lambert

Chanson importante à plus d'un titre. Les "aventures de Gérard Lambert" est un pur délire du non-sens renaudien digne d'un univers de bande dessinée, un peu comme le reste de l'album d'ailleurs. Gérard Lambert, un invraisemblable anti-héros (?) vient ici rejoindre "Germaine" dans la gallerie des portraits dont Renaud nous gratifiera tout au long de son oeuvre. Toutes les références 'basiques' de Renaud se retrouvent dans la chanson mais ce n'est plus le chanteur qui subit ici ce qu'il dénonce, c'est un personnage 'ordinaire'. Et quel personnage ! Nous ne somme plus en présence de la simple narration d'une histoire "réaliste" mais bien d'un véritable film, ou plutôt dessin animé, dont chaque scène est présentée de manière à favoriser notre interprétation caricaturiste, notre imagniation la plus délirante. Quelques références inattendues viennent encore renforcer cette sensation d'impossible réalité (la rencontre avec un loubard aux cheveux blonds qui se prend pour le "Petit Prince", par exemple). Musicalement, la mélodie est malheureusement un peu faible. C'est peu être ce qui a empêché cette chanson de devenir un véritable incontournable. Néanmoins, c'est une oeuvre à découvrir absolument car elle est à mon sens à peu près seule sur sa branche dans l'arbre de la chanson française.

3. Dans mon HLM

Attention, chanson culte, reprise sur pratiquement tous les 'lives' ! Le principe de base est pourtant simple. Prendre 4-5 accords, une mélodie simple et répétitive et décrire l'HLM qu'habite le loubard Renaud du rez-de-chaussée jusqu'au huitième, étage par étage. Et bien ça marche ! La gallerie de la faune que nous décrit le chanteur est vraiment savoureuse. Toutes les tendances y passent, du raciste au baba-cool en passant par le communiste et le yuppie pour finir par Germaine ! Encore une fois, nous sommes en présence d'une description, encore une fois, les mêmes thèmes sont déclinés sous une forme légèrement différente. Pourtant, la structuration de la chanson, la qualité du texte et la mise en phase de l'oeuvre avec son époque en ont fait un incontournable de l'artiste, une référence que l'on étudiera dans les écoles sans doutes dans cinquante ans et plus. Quand je vous disais que l'album était extraordinaire !

4. La teigne

Si j'étais bêtement méchant et impulsif, je dirais "ah, une chanson qui a trois albums de retard !". Cependant, une audition révèle très vite que l'artiste a réalisé d'énormes progrès depuis ses premiers textes et qu'il est maintenant capable de faire passer n'importe quelle émotion avec un maximum de vraisemblance. Le pari était pourtant difficile car cette chanson vient s'intercaler entre deux feux d'artifice ! Mais le pari est réussi et nous avons ici droit à une pause tendresse bienvenue. Certains reprocheront à cette chanson d'être un peu en retrait par-rapport au reste de l'album, de faire tâche, là, en plein milieu. Qu'ils imaginent l'album sans et ils verront alors que la cohérence en aurait étrangement souffert. Dès lors, il n'est pas étonnant pour moi que cette chanson ait été reprise sur le live 'Paris Province' en 1995, soit 15 ans après sa création !

5. Où c'est qu'j'ai mis mon flingue ?

J'espère pour lui que Renaud portait des gants de protection lorsqu'il a écrit cette chanson tant l'encre de son stylo semblait acide. Pour reprendre une de ses expressions favorites, il semblait véritablement "énervé par la colère". Quelle drôle de chanson, vraiment, quelle drôle de chanson ! Le début de l'oeuvre, lancé par un accord saturé de guitare électrique permettant à la forme de rejoindre le fond, semble être une lettre ouverte à la critique bien pensante de l'époque. Très vite cependant, on retombe sur un ersatz d'"Hexagone" mais la chanson n'est jamais lassante, sans doutes grâce au style décapant, direct, à la musique équilibrée et pleine, à l'ambiance qui nous pousse à en redemander encore et encore. Cependant, à part sur la tournée de promotion de l'album, cette chanson ne sera jamais reprise en public (sauf un court extrait sur "Paris Province"). Un "one-shot" ?

6. It is not because you are

Qui d'autre que Renaud pourrait oser composer ce genre de chanson franglaise ? Personne ! Quoi ? Que me dites-vous ? Aznavour avec son "for me formidaaable, very véritaable" ? Non, il n'oserait pas y mettre la dérision et pousser le vice jusqu'à faire de l'humour avec un slow. Seul Renaud je vous dis ! Je me rappelle d'un cours d'immersion totale donné par une pure anglaise installée depuis peu à Bruxelles et ne parlant pratiquement pas un mot de français. Je cherchais en vain à m'expliquer et j'ai fini par prononcer "The...heuu... the trottoir". "Are-you Renaud" m'a-t-elle alors répondu ? Sinon, que dire d'autre de la chanson ? Une jolie petite mélodie, coulée dans le moule classique du slow, une pseudo histoire d'amour qui sert exclusivement de prétexte à des paroles inimaginables qui ne se décrivent pas mais s'écoutent et se découvrent ! Renaud prétend qu'il s'agit d'une satyre des slows habituels, je pencherais plutôt pour le pure délire ! Passons à la next chanson.

7. Baston !

Bon, tout n'est pas si rose que cela dans ce bas monde et ce n'est pas le pauvre Angelo de la chanson qui nous contredira ! Chanson contre l'exclusion, mais aussi contre le système, baston aurait pu devenir une référence. Mais il lui manque peut-être un peu d'homogénéité, de constance. On passe brusquement de couplets lents, interminablement calmes, sans reflet de la colère qui est censée monter à des refrains violents et appelant à la violence. Dans le même genre, "Deuxième génération" sera inconstestablement plus réussie, plus homogène et effacera "Baston!" de la majorité des concerts. Laissons toutefois à "Baston" la circonstante atténuante d'être un premier jet, une première ébauche du sujet et nous constaterons alors que c'est une chanson propre, bien loin d'être râtée.

8. Mimi l'ennui

La fin de l'album s'essouffle un peu et "Mimi l'ennui" en est la principale victime. A la base, le portrait d'une fille sans but ni envie est un sujet audacieux mais la forme pêche malheureusement un peu. En effet, si les paroles et la diction rendent parfaitement le côté las et désespéré de la chanson, la musique ne parvient pas à convaincre. En grattant un peu, on sent que le problème est plus à rechercher du côté de l'orchestration que du côté de la composition. Les enregistrements de studio cherchent parfois plus à ne pas déplaire qu'à plaire et cette chanson semble être un exemple râté d'asseptisation. Dommage, mille fois dommage. Reste des paroles qui valent la peine d'être lues. Une chose frappe néanmoins, l'ambiance 'bande dessinée moderne' de la narration.

9. L'auto-stoppeuse

Cette chanson est un bon résumé de l'album: on y retrouve la description d'une personne un peu 'zone' qui croise le chemin de Renaud et que celui-ci nous décrit sans rien prendre au sérieux tout en décochant au passage quelques flêches enflammées sur certaines personnes et réalités. Mais le résumé tend parfois vers la caricature et cette chanson confirme une fois de plus le côté un peu 'vite bouclé' de la fin de l'album. Il n'en reste pas moins une chanson bien sympathique que les rythmes 'rock' rendent entraînante et peu lassante. Remarquons au passage la critique d'une génération post soixante-huitarde molle, tendance hippies ("des vieux chnoques de vingt-cinq berges") et surtout l'attaque personnelle contre l'entreprise de restauration d'un homme, Jacques Borel, déjà caricaturé par Tricatel dans le film "L'aile ou la cuisse".

10. Pourquoi d'abord ?

"C'est vrai qu'elle est un peu bâclée, c'est parc'que sur mon disque, des chansons j'en avais qu'neuf et y m'en fallait dix". Telles sont les dernières paroles en forme d'excuse de cette chanson. Cependant, Renaud aurait pu se contenter d'une nouvelle "Petite fille des sombres rues" mais ce n'est pas connaître l'artiste que de croire cela. Ainsi donc, sur un air "Louis XIV", parfois exagéré à l'extrême, Renaud passe de manière incessante de la voix de gorge à la voix normale pour interprêter le dialogue délirant entre un jeune otage et son ravisseur. Les rimes sont facultatives, l'histoire un prétexte, les critiques ciblées. Et si le côté désinvolte et bâclé de l'oeuvre n'était qu'un filtre chargé d'adoucir le fond parfois un peu trop acide de la chanson ? Peut-être, peut-être pas. Chacun se fera son opinion.

L'album se termine déjà, bien trop vite. Après les trois premiers albums, nous venons de prendre un virage à 90 degrés et trois nouveaux albums nous attendent désormais dans la ligne droite qui se présente à nous. L'artiste va prendre sa vitesse de croisière pour ce que certains, dont je fais partie, estiment être sa plus belle époque. Bonne route !