J'entends
le Loup, le Renard et le Renaud
Il
est des bonheurs rares, si rares qu'on redoute qu'ils ne reviennent jamais.
Un peu comme un amour d'été que l'on doit quitter, toujours trop
tôt, le regard bas, sous un soleil indiscret. On fait mine de se rendre
à la raison et l'on fixe des rendez-vous. On se rassure
en massacrant
le ciel bleu. Se rendre à la raison ! Alors qu'on ne va nulle part, puisque
seul compte le retour.
Et puis ce bonheur revient parfois après quelques années, toujours
au printemps, en cette saison des promesses, des résurgences.
Le renard - animal crépusculaire et nocturne ; solitaire en dehors de
la période de reproduction - est sorti de son terrier. Nous avait bien
rendu quelques visites et livré deux cadeaux avant l'heure : 'Elle a
vu le loup', 'Boucan d'enfer' . Tournée où(de ?) 250 000 spectateurs,
son public fidèle qui lui a apporté son indéfectible amour.
Mais le voici, le pelage encore plus vif à l'orée du bois, faisant
entendre son 'Boucan d'enfer', bouleversant son mode de vie pour venir à
notre rencontre : nous ses minots. Pas que d'la ruse dans sa musette - a-t-il
besoin de ça pour gober un bon from'ton ? - mais des cadeaux, des galettes,
des boulets pour l'hiver.
Renaud a repris sa plume, Renard sortit sa griffe. Tous deux au même encrier
ont mis la main à la patte
" On reconnaît le bonheur paraît-il / Au bruit qu'il fait quand
il s'en va " et le talent au gouffre immense qu'il comble quand il revient
Les quatorze nouvelles chansons de cet album ont poussé - n'en doutez
pas - dans le terreau de l'âme humaine, humus étrange où
se sont engouffrées quelques racines profondes qui nous plongent au cur
de cet homme, qui boit l'eau des orages mais parfois aussi les larmes amères
des cieux trop lourds. Quatorze nouveaux trésors de plus, dans sa caverne
d'Ali baba qu'il partage avec nous. Et si comme le dit René Fallet :
" les heures passées au bord de l'eau sont à déduire
de celles passées au paradis... " celles consacrées à
écouter Renaud le sont aussi. Car le temps ne fait rien à l'affaire,
Renaud une fois encore trouve les mots, les formules, les scènes à
dépeindre, les clefs qui ouvrent les bonnes portes, celles réservées
comme dans son 'bistrot préféré' aux poètes. Une
plume toujours aussi littéraire qui frotte les moustaches de Georges
Brassens et laisse Sarclo admiratif, fait de lui un orfèvre de la langue
française et de nous, des enfants avec son soleil en bandoulière.
Pas trop envie de passer en revue les quatorze chansons de l'album comme une
troupe avant un défilé. Pas envie non plus de déblatérer
sur chacun de ces trésors, de forcer le coffre, de les décortiquer
comme du poulet. Respect
D'autres et non des moindres, des professionnels,
s'en chargeront. Mais le moment est trop rare et trop fort pour rester silencieux.
Quelques impressions, le doigt sur la touche <STOP> du lecteur, la gorge
nouée et les yeux bien troubles. Ne pas tout écouter aujourd'hui,
en garder un peu... Et puis merde ! <PLAY> J'en reprends ça fait
tellement de bien. Alors allons y ! Attendez ! Juste quelques noms pour ne pas
oublier : Dominique, Lolita, Jean-Pierre Bucolo, Alain Lanty.
'Petit pédé' comme un catalyseur, issu d'un pari de pochtron et
qui donne à l'arrivée, en quelques minutes, un petit chef d'uvre.
Croqué avec des mots made in Renaud : " Il fait pas bon être
pédé / Quand t'es entouré d'enculés ". Facture
inimitable pour dépeindre l'univers de cette minorité souvent
méprisée et ridiculisée. On comprend alors qu'il n'ait
pas eu envie de s'arrêter là. Et puis garder autant de chansons
au fond de soi ça donne parfois des aigreurs d'estomac. Par pudeur sans
doute il a hésité à se raconter plus qu'il ne la jamais
fait.
A l'arrivée un album confession où le 'cur perdu' témoigne
du désespoir, d'une traversée lente, discrète autant que
douloureuse, bruyante de l'intérieur comme un volcan d'enfer. Ecrire
le silence n'est pas chose évidente... 'Tout arrêter
' alors
? Ce serait oublier son regard profond, son acuité féroce et sa
farouche tendance à toujours être où on ne l'attend plus.
" Renaud est mort, il est récupéré ! " gueulaient
certains pendant les années noires. Mais Renaud est vivant et debout
ou plus exactement assis dans un bar où il vit caché. Chansons
qui sortent de terre comme des fleurs. De l'ombre à la lumière.
" Un album plus nombriliste qu'altruiste " affirme Renaud. Joli bouquet
en tous cas ! Et qui s'ouvre comme malgré lui de nouveau sur le monde.
De 'Manhattan-Kaboul' ( mélange subtile de deux voix si différentes
et qui pourtant s'unissent à merveille ) à 'Corsic'armes' le jeune
homme de la porte d'O témoigne d'un monde malade, barbare et cruel. Fatigué
aussi sans doute par son manque de guérison, par ses spasmes à
répétition qui polluent chaque jour un peu plus l'histoire de
notre civilisation.
Au milieu de cette gravité 'Mon nain de jardin' apparaît comme
une petite facétie, pied de nez qu'on retrouve dans presque tous ses
albums.
Ce dernier album nous fait partager les affres de la vie, les désillusions.
Mais le fusain peut bien encore noircir le trait, il y a au delà des
larmes qui nous viennent cet écho d'espoir. La création et la
poésie sont des refuges où l'on peut y passer la nuit ou la vie.
Renaud, chante encore, écris-nous de belles histoires et fais de ta prose
une nouvelle arme qui nous rende moins orphelin et nous aide aussi à
exister
malgré tout.
Sébastien
Inion
Carcassonne le 31 mai 2002