Biographie
de Renaud
Première
partie : "Ma patrie, c'est l'enfance" (1952-1963)
*
Deux
nouveaux bébés au foyer Séchan
Le 11 mai 1952
- c'est un dimanche - deux nouveaux bébés voient
le jour dans une clinique du quatorzième arrondissement
de Paris : Renaud (Pierre, Manuel) "poussé" par
son frère David. Ce sont de faux jumeaux, issus de la génération
du baby-boom.
Leurs parents
s'étaient installés un an auparavant dans un immeuble
de briques roses le long de l'avenue Paul-Appell destiné
aux fonctionnaires de l'éducation nationale, nombreux dans
la périphérie parisienne. Un immeuble assez bourgeois.
C'était l'époque de l'après-guerre, celle
de la liberté retrouvée. L'ambiance joyeuse "fête
populaire" des cours intérieures avec les montreurs
d'ours, les singes savants, les jongleurs, les musiciens "venant
pousser leur petite plainte" marque profondément le
môme. Et puis ensuite, plus rien : "le désert
culturel pour les H.L.M." Les enfants Séchan fréquenteront
assidûment les fêtes foraines, place du 25-Août-1944.
Vincent Auriol
était alors Président de la République, et
Antoine Pinay venait d'être nommé Président
du Conseil. La guerre d'Indochine allait prendre fin : "Renaud
pouvait dormir en paix et profiter de ses premières années".
Deux
cultures différentes
Le père
des nouveau-nés, Olivier Séchan, âgé
de quarante et un ans, assure seul la subsistance de la famille.
La maman, comme beaucoup de mères de l'époque, est
femme au foyer. Elle élève "seulement"
ses six enfants - trois garçons, trois filles. "Jusqu'à
ce qu'elle ait vingt ans et qu'elle se marie, ma mère était
ouvrière dans une usine de Saint-Etienne" déclare
Renaud. Du côté maternel, toute la famille est originaire
du Nord de la France et même de Belgique. Ils sont mineurs,
viennent du milieu ouvrier. Solange Séchan est née
à Lens, elle ira habiter ensuite à Paris pour "torcher"
(expression chère à Renaud) ses six enfants. L'éducation
de ses enfants terminée, elle se remettra au travail. "Elle
est merveilleuse" confiera plus tard Renaud. D'ailleurs,
un beau jour, toute la famille Séchan est convoquée
à la mairie du quatorzième arrondissement. Monsieur
le Maire remet à Solange, une médaille accompagnée
d'un beau diplôme : elle a bien "travaillé"
pour la France ! Thierry Séchan râle tout de même
: "Nous eussions préféré qu'il lui offrît
le manteau de fourrure dont elle rêvait, - mais il ne faut
pas rêver, précisément".
Sur de nombreuses
photographies, on la voit élégante, bonne mère
à côté de ses enfants. La plus connue : elle
porte ses fils jumeaux dans un panier. Renaud ironisera d'ailleurs
sur celle-ci dans son programme des concerts au Zénith
en 1984, Le Nouveau Dictive : "Sa mère (une
sainte) allant fièrement vendre ses enfants au marché.
Hélas pour elle, personne n'en voulut". Renaud et
David ne se ressemble pas jusqu'à les confondre. Dans Sans
dec', Renaud écrit, probablement inspiré par
une boutade d'Alphonse Allais :
"Avec
mon frère jumeau on s'ressemble vachement, / Mais faut
dire que d'nous deux /
C'est
lui le plus ressemblant."
Alphonse Allais,
lui, s'était arrêté à la hauteur de
deux fillettes jumelles : "Oh ! s'exclame-t-il, comme elles
se ressemblent." Puis il dévisagea longuement les
deux jumelles, posant son regard sur l'une, puis sur l'autre,
pour revenir ensuite à la première. "Pourtant,
c'est celle-là qui est la plus ressemblante", déclara-t-il
gravement en désignant une des fillettes.
Le père
de Solange, Oscar Mérieux, est né en 1899 à
Courrières, Pas-de-Calais. Il a longtemps descendu dans
les mines avant d'être ouvrier chez Renault. Militant communiste
jusqu'au retour d'un voyage en Russie stalinienne... Renaud, son
petit-fils, dédiera une chanson, Oscar, en 1981
à celui qui lui avait donné son foulard rouge et
sa fameuse "gapette". Cet héritage lui donnera
dans son sang toute la révolte maternelle, l'inspiration
de chansons magnifiques (Oscar, Son bleu) ,
un rôle lui collant tant à la peau dans le film Germinal
etc.
Celui qu'elle
va prendre pour époux est originaire du Sud. Il est né
à Montpellier le 14 janvier 1911. "Toute la famille
de mon père c'est Montpellier, Auch, le Gers, l'Hérault
et un peu le Vaucluse." Lui est d'origine protestante. Tous
les membres de cette famille puritaine sont des intellectuels,
des artistes aimant les richesses de l'esprit, s'y mêlent
écrivains, peintres, pasteurs, cinéastes. Cette
famille n'est pas bourgeoise : la richesse est d'ailleurs plus
intellectuelle que financière. Olivier est amusé
lorsque l'on définit son fils et sa famille de "bourgeois"
: "J'aurais peut-être bien aimé..."
Son père,
Louis Séchan, enseigna la poésie grecque à
la Sorbonne après la faculté de Montpellier. Il
a notamment eu pour élève Georges Pompidou et Léopold
Sédhar Senghor. Olivier est un écrivain de renom
signant parfois sous des pseudonymes comme Olivier Beaucaire ou
Olivier de Villar. De 1938 à 1960, il publie neuf romans
pour adultes dont "Les eaux mortes" (Albin Michel, 1939),
"La proie des flammes" (Albin Michel, 1941) et surtout
"Les Corps ont soif" (Ed. de Flore), tout de même
Prix des Deux Magots. Il devient traducteur et professeur d'allemand
pendant une vingtaine d'années, puis directeur de collection
à Hachette-Jeunesse. Il remporte le grand prix du Roman
d'aventures en 1951 pour son roman policier humoristique "Vous
qui n'avez jamais été tués" publié
avec son ami Igor B. Maslowski. Il est également l'auteur
de pièces radiophoniques. Il signera une dizaine de romans
pour enfants, trois d'entre eux mettront en scène Luc et
Martine. Olivier Séchan continue la série des "Six
compagnons" après la mort de Paul-Jacques Bonzon.
Ses romans de jeunesse ont des tirages importants : de 20 000
à 145 000 exemplaires. Renaud dira : "Il s'est fait
bouffer par la maison Hachette." En effet, il fait plus de
deux cents traductions de l'allemand surtout, mais aussi du néerlandais
et de l'anglais ! En fait, au fur et à mesure qu'il fait
des enfants, sa plume ne suffit plus pour nourrir sa famille,
huit membres en tout. Renaud dévoilera dans une interview
que son père essayait d'écrire son autobiographie.
Olivier explique sa passion pour l'écriture : "C'est
un peu par hasard si j'ai écrit pour les enfants. Ou plutôt
pour apaiser mon désir d'écrire et de raconter des
histoires. Je ne fais guère de différence entre
un roman pour adultes et un roman pour enfants. Dans les deux
cas (mis à part les thèmes bien sûr), j'essaie
d'être clair, rapide, et j'attache une grande importance
au comportement des personnages, à leurs gestes et à
la peinture du milieu."
Renaud deviendra
en quelque sorte "la synthèse de deux milieux, de
deux cultures, de deux éducations" : artiste par son
père, amoureux de la rue et proche du prolétariat
par sa mère. "Cette bicéphalité constitue
un maillon essentiel pour comprendre ses attitudes et ses trajectoires".
"Ce
doit être mon plus vieux souvenir"
Le plus lointain
souvenir de Renaud date de 1956, il a trois ans. Le frère
d'Olivier, Edmond Séchan, travaille dans le cinéma.
Il a d'ailleurs été brillant chef-opérateur
dans Crin-Blanc (1952) d'Albert Lamorisse ou encore dans Le
Ballon rouge du même réalisateur. D'après
Jean Tulard, dans le Dictionnaire du Cinéma, Lamorisse
lui doit énormément. Il est responsable de la photographie
d'un bon nombre de prestigieux films français. Son nom
s'inscrit également dans les génériques de
Les Aventures d'Arsène Lupin (Jacques Becker,
1957), Mort en fraude (Marcel Camus, 1957), Les Dragueurs
(Jean-Pierre Mocky, 1959), La Grande frousse (Jean-Pierre
Mocky, 1964), Les Tribulations d'un Chinois en Chine (Philippe
de Broca, 1965), A Cur joie (Serge Bourguignon,
1967), Le Pays bleu (Jean-Charles Tacchella, 1976), Monsieur
Papa (Philippe Monnier, 1977), La Boum (Claude Pinoteau,
1980)
Pour les besoins
d'un moyen métrage (trente-six minutes) d'Albert Lamorisse,
l'oncle engage deux de ses neveux. C'est ainsi que Renaud et David
font leurs premiers pas dans le rôle de comédien.
A la fin, on voit les deux jumeaux pendant trois secondes, une
toute petite approche du métier. Le sujet du métrage,
Claude Bouniq-Mercier l'explique très bien : " Sur
le chemin de l'école, Pascal, un gamin de six ans, libère
un ballon rouge retenu captif sur un réverbère.
Le ballon se prend d'affection pour l'enfant et le suit dans ses
déplacements : à l'école, à la messe,
dans une pâtisserie. Ce qui ne va pas sans quelques menus
drames. Des vauriens en voulant s'en emparer, crèvent le
ballon. Tous les autres ballons de la ville viennent consoler
Pascal qu'ils emmènent très haut dans le ciel."
Pascal n'est autre que le fils du réalisateur. Ce film
réalisé sur la Butte Montmartre illustre à
merveille le vieux Paris si cher à Robert Doisneauà
qui Renaud dédiera sa chanson Rouge-Gorge. Sa
beauté est heureusement récompensée : Palme
d'or du court-métrage au Festival de Cannes 1956 et Oscar
du meilleur scénario original à Hollywood.
"Je n'oublierais
jamais cette matinée de printemps, dit aujourd'hui Renaud,
où nous avons passé trois heures sur le trottoir
avec notre petit ballon accroché à un fil de nylon,
qu'un type avec une perche nous arrachait des mains et qu'après
on ne voulait plus lâcher. Il avait donc fallu refaire la
prise une dizaine de fois. J'avais trois ans et je me revois encore,
ce doit être mon plus vieux souvenir, que j'ai revu vingt-cinq
ans après en vidéo avec un grand bonheur !"
Bien avant les
feuilletons pour la télévision ou le film Germinal,
Renaud doit déjà recommencer une dizaine de fois
les scènes. Non, vraiment, le cinéma n'est pas sa
vocation. Avec son frère, il admire naïvement le ballon
rouge s'envoler dans la rue : "Tu parles d'une blague"
!
Ce conte ne comporte
que très peu de dialogues, la magnificence des images et
la musique suffisent amplement. Une musique que Renaud aurait
tant aimé composer.
"La
boule à zéro et la morve au nez, on était
pas beau mais on s'en foutait"
Olivier veut voir
ses enfants réussir, Christine, Nelly, Thierry, Renaud,
David et la "gamine", Sophie. ("Pi du gros
chagrin surtout / De ma p'tite frangine qui boude / Pour de bon"
Les Dimanches à la con) . Il les force à lire,
encore plus s'ils ne brillent pas dans les résultats scolaires.
Renaud se souvient de l'acharnement de son père : "Mon
père a essayé de nous pousser à apprendre
le solfège. Mais c'était pas facile, parce que j'avais
un frère jumeau, on s'aidait mutuellement à rien
foutre. Je disais : Ouais, le cours de piano, ça me gonfle
Si David y va, j'y vais. Et David disait pareil, si bien qu'on
n'y allait ni l'un ni l'autre." En somme, les petits Séchan
étaient des mioches faciles. Leurs bêtises s'