parcours fluctuant d'un adolescent révolté (1963-1969)

 

L'entrée en sixième



David et Renaud rentrent en sixième à l'automne 1963 au Lycée Gabriel Fauré dans le XIIIème arrondissement ; son père y enseigne l'Allemand. Ils découvrent rapidement que la vie au lycée n'est pas toujours une partie de plaisir. Avant le passage en sixième, les résultats étaient convenables, les mathématiques ne posaient pas encore trop de problèmes, on n'y apprenait toujours les bases. Pas d'algèbre. Au lycée, il ne s'intéresse plus aux mathématiques : "J'ai jamais voulu admettre qu'on mélange les lettres et les chiffres : a + 2ab + b ou (a + b)²… Pour moi ça veut rien dire. On a beau m'expliquer, je ne veux pas le croire. A cause de ça, dès la sixième, j'ai plus voulu m'intéresser aux maths". Un refus stupide de comprendre. C'est au lycée qu'il commence à apprendre le latin, indifférent.

Pourtant, Renaud essaie en vain de respecter ce que la famille appelle "Le Triangle des Bermudes", c'est-à-dire : Ecole, Famille et Travail.
A l'exception du Français et du dessin, peu de matières l'animent. Grâce à l'influence de son père, il parvient à rester jusqu'à sa première troisième en 1967 dans ce triste établissement où les résultats ne brillent guère. Ses professeurs indiquent sur ses bulletins trimestriels : "Peut mieux faire", "Ne fait aucun effort". Eh bien l'effort, Renaud le laisse de côté. Il avoue lui-même ne pas être fait pour les études et se met à sécher les cours. A l'époque, il clame déjà "Etudiant-poil-aux-dents" :

"Maman quand j's'rais grand / J'voudrais pas être étudiant / Alors tu s'ras un moins que rien / Ah oui ça je veux bien."

A la fin de cette période lycéenne, il devient – n'ayons pas peur des mots – un cancre. "Les copains m'appelaient Spartacus, parce que j'étais toujours assis près du "gladiateur". Jeu de mot avec "radiateur". Il écoute le professeur en baillant d'ennui. Les cours se suivent dans des classes mixtes : les filles incontournables l'attirent. "A partir du moment où j'ai découvert les boums, les filles et les mobylettes, j'ai plus rien foutu". Moins chanceux, son frère jumeau David se fait renvoyer en 1966.

"La mob, c'est l'évasion"

Renaud a beaucoup roulé à mobylette, mais en fait n'en a jamais vraiment possédé. S'il en est quelques photographies démontrant le contraire, Renaud avouera : "C'était celles des copains. Ils me la prêtaient. Ou alors, c'était celles qui avaient été "tirées". Une mob se faisait tirer des dizaines de fois. Le gars qui l'avait volée, il roulait trois jours avec et il l'abandonnait de peur de se faire piquer. Alors un autre prenait la relève et il roulait à son tour deux ou trois jours avec, avant de la laisser dans un coin… Mais la mob, c'était l'évasion. Ca permettait d'aller camper et de circuler la nuit, après les boums." Les premiers mobylettes "enfourchées", c'étaient celle des copains plus âgés." Renaud les supplie : "Tu me laisse faire un tour ? Allez, sois sympa…".

"J'irai plus dans vos boums"

Son père autoritaire veut que son fils soit rentré des boums avant minuit le samedi soir à Paris ou dans les banlieues chics, plus tard. La chanson La Boum disponible initialement sur l'album "Laisse Béton" ("Place de ma mob") illustre à la perfection l'univers des boums. Renaud les a tellement fréquentées qu'il les connaît par coeur.

"Lorsque j'suis arrivé sur ma vieille mobylette, / Y'en avait qu'écoutaient l'dernier David Bowie, / Y'flippaient comme des bêtes / Autour d'une chaîne pourrie, / Y'fumaient des P 4 / En buvant du Coca, / Un pauvr' type sur sa gratte / Jouait Jeux interdits, / Y'avait même une nana / Qui trouvait ça joli." "Lorsque j'me suis barré / J'ai croisé les roussins, / Uniforme bleu foncé et képi sur le crâne, / Tout ça à cause d'un voisin / qu'aimait pas Bob Dylan. / M'ont foutu un PV, / Pas d'lumière sur ma meule, / Ont cru bon d'ajouter / Qu'y z'aimaient la jeunesse. / Puis j'suis rentré tout seul / Même pas en état d'ivresse."

Dans les boums, les jeunes écoutent des disques (notamment David Bowie et Bob Dylan dans la chanson), certains jouent même à la guitare les morceaux primaires les plus classiques tel Jeux Interdits. A l'époque, "il n'y avait pas de dope". Les adolescents buvaient très peu : "on était tout de suite saoul si on se mettait à boire" avoue Renaud. C'est à qui draguerait le plus de filles. "Oh, c'était des petits flirts. C'était à qui roulerait le plus de pelles, quoi !". Mais à en croire la chanson, les "gonzesses" ne sont pas toujours au rendez-vous ! : "Des filles y'en avait qu'douze pour quatre-vingts poilus". Les thèmes de La Boum se retrouvent dans tout le répertoire de Renaud, la fameuse époque "mobylettes, clés à molette, fillettes" dans les années 77 : rigolade, histoires belges, drague, sexe, déception, Coca, musique, P 4, loubards, voleurs, meules, flics, jeunesse…

Renaud ne vit pas que pour sa mobylette ou les copines : il s'évade parfois à la lecture d'un bon roman ou d'un recueil de poésie. Arthur Rimbaud l'a fait rêver lors de son adolescence : poète à seize ans, trafiquant d'armes, mort à 37 ans. Il aurait aimé laisser une image comme celle de James Dean ou de Rimbaud qu'il qualifie de "génie qui fut méprisé de son vivant". Pourtant, il ne parvient pas à le lire, son style ne lui plaît pas ; il n'arrive pas apprécier ses écrits.

En août 1967, il passe ses dernières vacances dans la Lozère en compagnie de ses parents. Il y rencontre une marseillaise : un nouveau flirt. Sympathique, elle l'invite à passer quinze jours chez elle vers la fin du mois d'août. Son père est grutier, sa mère vend du poisson sur le Vieux Port. "Plus marseillais, tu meurs !" se souvient Renaud.



Attiré par la politique

Renaud âgé maintenant de 15 ans échoue à son B.E.P.C. Il redouble sa troisième et le lycée Gabriel Fauré refuse de le garder, bref le renvoie. Le lycée Montaigne, l'accepte à la rentrée 1967. Renaud ne s'améliore pas, sa moyenne générale se stabilise dans le rouge. Il sèche de plus en plus les cours. Séchan a d'autres préoccupations, la politique par exemple. Cette activité lui occupe beaucoup de son temps car l'ambiance politique est tendu au lycée Montaigne. Elèves tendance gauchiste. Issu d'une famille gauchiste, Renaud est tout de suite attiré. Avec quelques amis du lycée dans la même idéologie, ils luttent contre les "fachos". Ils se révoltent contre les étudiants de la Faculté d'Assas, toute proche. Renaud en rit aujourd'hui : il a probablement croisé les politiciens de droite Alain Madelin et Gérard Longuet âgé de quelques années de plus !

Influencé par des copains, il approche les milieux maoïstes et trotskistes se multipliant dans la capitale. Ils forment le rang des anti-impérialistes. Sans adhérer, il sympathise avec le Parti Communiste Marxiste Léniniste de France. Renaud colle des affiches pour des meetings gauchistes auxquels il participe. Il vend des journaux révolutionnaires comme "L'Enragé" et "L'Action". En ces temps, le jeune Séchan ne rentre que rarement chez ses parents. D'ailleurs son père refuse de l'avoir à la table familiale tant qu'il aura les cheveux longs. Quand il revient, il mange seul dans la cuisine. Il ne les coupera certes pas ! Pourtant ils lui donnent une allure de fillette. A seize ans, il en paraît quatorze. Beaucoup le prennent pour un pauvre type lorsqu'il s'approche d'eux et leur parle de Mao Zedong, Che Guevara ou Trotski. Cette rébellion est née grâce aux textes de Brassens rabâchés toute la journée par son père anarcho-socialiste, tous ces avantages lui donne très tôt la "haine du flic", du curé, du militaire et de l'ordre. Malheureusement la discipline est paternelle : Renaud se heurte avec son père.

Déjà en 1966, il participe à plusieurs manifestations contre la bombe atomique et toute l'horreur qu'elle évoque. (Jean Rostand avait crée le Mouvement contre l'armement atomique). Puis la guerre du Viêt-nam le révolte, il découvre vraiment la politique par cet abord. Il créé un Comité du Viêt-nam dans son lycée en 1967 et côtoie étudiants et lycéens gauchistes. Il défile aux cris de "Hô ! Hô ! Hô Chi Minh" et de "FNL vaincra !" Il fréquente les "Amitiés franco-chinoise". Il deviendra rapidement un des militants les plus acharnés de cette formation. A la manière de Woody Guthrie, il manifeste aux portes des usines. Malheureusement, les ouvriers ne prendront pas ce mouvement au sérieux. Anticapitaliste, il conçoit son premier slogan : "Pour Nixon, le glas".



Guerre d'Algérie : premier traumatisme historique

La guerre d'Algérie avait auparavant ébranlé les Séchan : le fiancé de la grande sœur Christine était lieutenant en Algérie.

Le 8 février 1962, des ouvriers, des étudiants, des intellectuels – P.C., P.S.U. et six syndicats – manifestent contre l'O.A.S. ; la police les charge sauvagement. Thierry se souvient des "policiers en uniforme ou en civil qui arrachaient les grilles d'arbres pour les jeter violemment sur les manifestants bloqués dans les escaliers du métro Charonne." Ce qui se passe à Charonne, Renaud s'en rappellera toute sa vie, notamment dans sa chanson culte Hexagone.

"Ils sont pas lourds, en février / A se souvenir de Charonne / Des matraqueurs assermentés / Qui fignolèrent leur besogne."

Les bombes de l'OAS ont failli faire exploser l'immeuble où ils habitent : l'une des bombes est placée devant la porte du voisin de dessus. Les enfants jouaient tranquillement lorsque une violente déflagration fait voler les fenêtres en éclats. Personne n'est blessé : un miracle ! Une autre bombe explose dans l'immeuble des grands parents à cinquante mètres. Tout le monde accourt, les enfants Séchan scandent "OAS ASSASSINS !"

Dans le vingtième arrondissement, les manifestants cherchent un abri. Certains croient le trouver dans l'entrée du métro Charonne. Mais la grille est fermée et les policiers continuent à frapper… On dénombrera neuf morts et des centaines de blessés. Le lendemain, un million de personnes défilent pour le deuil des morts et les accompagnent au cimetière du Père-Lachaise…


"D'un rire douteux"

Malgré les nombreuses explosions, la vie continuait. "Et le caractère dramatique de la situation n'excluait pas qu'on pût en rire. D'un rire douteux."

Le 1er avril, Renaud décide de faire une bonne plaisanterie. Cette plaisanterie, il en existe deux versions, la première est écrite par Thierry Séchan : "Il mit un vieux réveil dans une boîte à chaussures, enveloppa le tout dans du papier journal, puis il déposa subrepticement son paquet devant la porte dudit camarade. C'était amusant, mais cela ne fit pas rire les locataires de l'appartement qui coururent se cacher sous les lits en attendant que les pompiers "désamorcent" l'engin, avec les frayeurs que l'on suppose. Dans la boîte, à côté du réveil, il y avait un petit mot : "Poisson d'avril". Pompiers et policiers jurèrent à nos voisins que cette petite plaisanterie allait coûter cher à son auteur. Naturellement, il n'en fut rien, bien que Renaud n'ait pu s'empêcher de "revendiquer l'attentat" auprès de ses copains. L'affaire demeura sans suite."

La seconde version est relatée par son auteur lui-même : "J'ai fait une alerte à la bombe pendant la guerre d'Algérie. J'ai déplacé une caserne de pompiers, une brigade de déminage. (...) Je me suis amusé à foutre le 1er avril un poisson en plastique rouge avec un petit mot "Poisson d'avril ha ! ha ! ha !" dans un papier journal et foutre ça sous le paillasson du bonne femme et de sonner et de partir en courant. Et une fois la bonne femme a ouvert et claqué la porte, j'ai attendu une demi-heure, on a resonné pour dire "Mais madame, c'était une plaisanterie, c'est un poisson d'avril, ouvrez le paquet vous verrez". Elle rouvrait pas. On est allé remettre ça sous le paillasson d'une autre bonne femme (...). On a sonné : personne. On s'est lassé du gag. On a dit : "Bon allez on le laisse, la bonne femme quand elle rentrera ou le bonhomme y z'auront peur, y z'ouvriront le paquet pi y vont bien rire. Ce que (…) l'on ne savait pas, le paillasson sous lequel on avait mis le paquet, c'était à une bonne femme qui s'était fait plastiquer 15 jours avant : communiste qui avait déménagée du XVIIIème (…) pour habiter un quartier tranquille anonyme et tout (...). Elle rentre chez elle, elle voit ce paquet sous le paillasson : la psychose de l'attentat. Elle téléphone aux flics : "Venez cite, ça fume !". (...) Les pompiers, les flics, les brigades de déminage : tout le quartier en ébullition, tout le quartier savait que c'était moi qui avait fait le coup. j'ai jamais eu de nouvelles de la police mais j'ai eu très très peur. Je l'ai su le lendemain matin en allant à l'école."
Nous comprenons la frayeur de Renaud… Le journaliste Noël Simsolo ajoute que désormais peut-être qu'ils le sauront ! Possible, mais aujourd'hui, la prescription intervient. Renaud date ce fait de 1960. Il n'avait alors que huit ans ?!

Renaud a prononcé ces paroles pour la journée entière qui lui a été consacrée sur France Culture le 14 mars 1984. Contacté, Renaud manifeste un compréhensible étonnement. Cette journée consacrée à un chanteur populaire apparaît comme un combat pour tenter de ramener un public plus large, à la faveur des jeunes. "Télé Poche " avait intitulé son annonce par "Renaud au secours de France Culture", titre pas tout à fait absurde car la radio naviguait dans les basses eaux.



Ses propres goûts musicaux

Après avoir subi la musique familiale, et pour faire comme tous les copains les "yéyés", il avoue ne plus avoir de mémoire. Il devait subir – une fois de plus – "la variétoche ambiante des radios". Puis, un peu avant seize ans, il possède son propre électrophone, il commence à acheter ses propres disques. Son premier quarante-cinq tours : Santiano d'Hugues Aufray qui l'amène à découvrir le folksong et le protest-song de Dylan. Puis Joan Baez, Léonard Cohen, Donovan, Sullivan et Antoine qu'il découvre en 1966, l'année où il commence à jouer de la guitare. Les thèmes des chansons d'Antoine – la guerre, les loi anti-avortements, l'écologie – le touche profondément. L'écoute approfondie des chansons d'Antoine vont mener Renaud à écrire la chanson Petite fille des sombres rues, très similaire à Petite fille ne croit pas d'Antoine.

Renaud a écrit ce texte en remplacement de Monsieur Franco t'es qu'un salaud, j'le crie bien haut, chanson jugée trop politique pour son premier album. Petite fille des sombres rues commence par "Non, ne crois pas fillette" et Petite fille ne croit pas", par "Je t'en prie fillette surtout ne croit pas". Etrange similitude. La chanson de Renaud est truffée de beaucoup d'autres ressemblances à celle d'Antoine : "Je vois que tu pleures la tête dans tes mains" / "Si tu veux pleurer, n'essaie pas de sourire" ; "Petite fille aux yeux perdus, tu m'oublieras" / "Petite fille tu m'oublieras je crois" ; "Entends la vie m'appelle" / "Entends la route m'appelle"…

Lorsque Renaud assiste à un spectacle de François Béranger : c'est une révolution. Il apprécie, en dehors des textes et de la musique, le fait qu'il converse avec son public entre les chansons, qu'il explique, qu'il tienne des propos politiques provocants ou satiriques. Cela le frappe énormément : choses auxquelles aucun chanteur ne l'avait habitué. "Et puis ce mélange de chanson populaire, java, valse, accordéon, avec une rythmique rock et des textes forts…"

Il fréquente assez peu les salles de concerts à l'époque : une dizaine de fois Aufray, les Rolling Stones en 1969 au Palais des Sports, Léo Ferré en 1968 à Bobino… Notons qu'à l'époque il préférait les Rolling Stones aux Beatles. La quarantaine passée, son cœur balance plutôt pour les quatre garçons dans le vent.






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