Écrits par Renaud Charlie-Hebdo, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 24 février 2001.

Renaud envoyé spécial chez moi - C'est ma tournée !

>

CHARLIE HEBDO N° 174 , 18.10.1995

Renaud envoyé spécial chez moi

C'est ma tournée !

Après Jean-Claude Bourret, Renaud
Affirme nous ne sommes plus seul

JE DEVRAIS PARTIR en tournée plus souvent. Sept ans que j'avais plus brûlé les planches des tristes palais des Sports qui, dans nos belles provinces, tiennent lieu de salles de spectacles. A l'exception de quelques « Printemps de Bourges », « Franco- folies », « Eurockéennes » et autres festivals fréquentés occasionnellement ces dernières années, je n'avais, depuis 1988, plus fait de tournée comme celle que je viens d'entamer il y a une semaine. Après quatre concerts proprement délirants, me voilà d'abord définitivement rassuré sur ma popularité que, porté par une immense confiance en moi et une paranoïa raisonnable, je persistais à imaginer sous le niveau ' zéro (popularité dont, humblement, je ne m'autorise à vous faire part qu'en la mesurant au nombre des entrées...), mais, surtout, rassuré par la conscience politique de cette nébuleuse assez floue que l'on appelle « les jeunes » et qui constitue apparemment toujours l'essentiel de mon public. Ah bon, la jeunesse n'est plus branchée que « cyberculture », dance-music et cocooning ? Ah bon, les étudiants ne songent qu'à leur avenir et, au contraire de leurs aînés soixante-huitards, se désintéressent de la politique, des luttes sociales, du tiers monde, de l'écologie ? Ah hon, l'extrême droite s'est banalisée, l'anti- racisme ne fédère plus, l'antimilitarisme est une notion « has been » ? Ah bon, la gauche est morte après quatorze ans de socialisme ? Que les plumitifs en mal d'analyse sociologique de bazar qui, depuis quelques années, nous tiennent ce discours réducteur viennent donc faire un petit tour dans les villes où je me produis. Peut-être réussiront-ils à m'expliquer d'où sortent les milliers de zombies qui s'enflamment aux chansons le Déserteur et la Médaille – brûlots antimilitaristes qui me vaudront le peloton ou le grand stade quand le F.N. aura pris le pouvoir –, qui, d'enthousiasme, font littéralement trembler les murs des salles de spectacles lorsque j'entonne Hexagone, qui chantent à pleins poumons le « merde aux hommes et merde à Dieu ! » de la chanson Son bleu, hymne à la gloire de la classe ouvrière et aux anarchistes révolutionnaires, qui, enfin, manifestent leur colère d'une seule et même assourdissante voix aussitôt que j'évoque en chansons ou en interventions parlées le nucléaire, les flics, les religions, l'armée, le F.N. et toutes ces sortes de saloperies que l'on s'imagine toujours si seuls à vomir.

Je devrais partir en tournée plus souvent. Outre cet amour insensé que me porte ce formidable public, il est infiniment gratifiant de constater que cette « chanson engagée », comme l'appellent avec un peu de condescendance et une pointe d'ironie les journalistes qui, m'interrogeant, s'étonnent de la constance avec laquelle je la défends (me soupçonnant de radotage ou de soixante-huitardisme attardé lorsque mes albums en regorgent et de renoncement lorsqu'ils sont un poil plus sages), que cette chanson-là, donc, a toujours, voire plus que jamais, un écho chez tant d'auditeurs. Je ne m'en réjouis pas seulement parce qu'elle est mienne : le succès de Font et Val en tournée confirme tout autant mon sentiment. Succès d'autant plus significatif qu'il se bâtit chez eux depuis toujours, chez moi depuis longtemps, par une présence sur les plateaux de télé des plus rarissimes. Voilà. Vous me pardonnerez j'espère si l'éloge que j'ai voulu faire de cette foule anonyme et enflammée m'a contraint à évoquer l'objet de leur enthousiasme (ma pomme et mes chansons), on ne m'y reprendra plus, la semaine prochaine, promis, je me taille un costard. A moins que, d'ici là, vous vous en chargiez dans vos lettres, ce dont je ne saurais vous tenir rigueur RENAUD

Aucun commentaire

Soyez le premier à commenter !


(ne sera pas publié)