Écrits par Renaud Charlie-Hebdo, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 12 mai 2000.

TOUS LES CHANTEURS SONT DES CRETINS Et je sais de quoi je parle

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Charlie Hebdo le 29 Mai 1996

TOUS LES CHANTEURS SONT DES CRETINS1

Et je sais de quoi je parle

J’ai chanté hier à Vitrolles. Vous connaissez ? C’est une petite commune des Bouches-du-Rhône près de Marseille où, aux dernières municipales, Bruno Mégret a failli l’emporter. Tapie, Kouchner et beaucoup d’autres s’étaient mobilisés pour alerter la population sur cette menace et pour prôner un vote massif contre le FN et ses idées nauséabondes.

Même les handballeurs de l’OM-Vitrolles (c’est assez rare dans le monde du sport pour le signaler) s’étaient mobilisés pour témoigner de leur préférence pour une mairie républicaine plutôt que pour une kommandantur. Pendant que le candidat socialo l’emportait de justesse, à quelques bornes de là, Marignane, oubliée des sondages inquiétants, tombait avec Orange et Toulon aux mains du FN. Aujourd’hui Vitrolles n’est pas vraiment tiré d’affaire. L’élection du maire va probablement être invalidée – dépassement de budget de campagne – et le Mégret va, selon quelques sondages bien informés, emporter les prochaines municipales anticipées dans un fauteuil. A Vitrolles le maire socialo a fait construire le Stadium, une espèce de Zénith comme il en existe (et c’est tant mieux) de plus en plus dans la plupart des grandes villes de France. Moitié salle de sports, moitié salle de spectacle. Il y en a un tout beau tout neuf à Marseille, à deux pas, le Dôme, aussi beaucoup de Vitrollais ont considéré que la construction de ce pharaonique projet relevait plus de la mégalomanie personnelle que d’un vrai besoin pour la commune. L’ouvrage est, il est vrai, pour le moins impressionnant… Un cube de béton noir, monolithe de cent vingt mètres de côté sur quinze de haut, posé comme un vaisseau spatial sur une esplanade rase et désertique, au sommet d’une colline entourée d’oliviers, de chênes et de cyprès. En arrivant hier j’ai d’abord pensé que c’était le sarcophage de Tchernobyl et j’ai failli vomir. Puis, avec un peu de recul, comme j’aime bien l’art moderne, j’ai quand même trouvé ça très beau. Je sais toujours pas si c’est de l’art mais c’est quand même très moderne. Un peu plus tard j’ai croisé le maire, M. Anglade, sympathique, beau et bronzé (comme moi, quoi…) et on a papoté deux minutes. Comme il est assez rare que les élus viennent assister à mes concerts je serais gonflé de pas avouer que, lorsque cela arrive, ça me touche un petit peu. Les malheureux se font souvent conspuer et j’y suis pas toujours pour rien… En évitant délicatement de faire allusion à sa situation personnelle je lui fais part de mon inquiétude pour l’avenir de Vitrolles et l’assure de mon engagement aujourd’hui et demain contre le FN. Il me répond alors en me quittant : « C’est vrai qu’il y a un an, à cette époque, on était en danger ! » Je me suis dit : « Tiens, en voilà un qui doit penser que tous les chanteurs sont des crétins ou que, en tout cas, un saltimbanque ça lit pas les journaux. S’imagine que je parle des dernières municipales alors que j’évoque l’enjeu des prochaines (auxquelles il n’aura pas logiquement l’occasion de participer…). Mais, plus vraisemblablement, le malin fait semblant de ne pas comprendre que je suis au parfum de l’imminence de l’éjectabilité de son siège et me prend donc un peu pour un con. »

Pendant le concert, j’ai pas mal balancé et, bien évidemment, je n’ai pas manqué cette fois d’expliquer la situation à qui l’ignorerait. Ca a pas dû plaire à notre élu que je n’ai pas revu en coulisses à la fin du concert, comme c’est la coutume, pour le serrage de louches, les propos convenus et la photo officielle pour le quotidien local.

Que M. Anglade soit fâché avec moi, c’est vraiment pas un gros problème. Le plus inquiétant, c’est qu’apparemment, il est pas en trop bons termes non plus avec la vérité.

1. C’est le titre d’une chanson géniale du formidable Sarclo, le chanteur suisse qui assure actuellement la première partie de mes concerts.

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