Écrits par Renaud Charlie-Hebdo, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 17 février 2002.

Bille en tête - MARÉCHAL, ME VOILÀ !

> Charlie Hebdo n°5 - 29 juillet 1992

MARÉCHAL, ME VOILÀ !

Je peux m'énerver mais quand même il y a de quoi. Alors voilà ! Je pars huit jours au Québec, je reviens c'est Ie bordel ! Je peux pas vous laisser seuls cinq minutes, sans que vous en profitiez pour emmerder Tonton. Qu'est ce que c'est encore que ces histoires de gerbes à Pétain, de Badinter en colère et de procès de Vichy ! Je veux bien croire que, pour beaucoup, dix ans de socialisme ça suffit (personnellement je n'ai rien vu passer... un peu Ie isme, mais le social j'attends toujours), et qu'il est temps de terrasser la bête immonde, mais là, le procédé est singulièrement déloyal et, qui plus est, inutile. Déloyal, parce qu'après tout en déposant ses chrysanthèmes sur la tombe du maréchal, la Mite ne fait aujourd'hui que perpétuer une tradition démarrée sous de Gaule, continuée sous Pompidou, puis Giscard, et qui, à l'époque, ne provoquait pas semble t'il chez les râleurs d'aujourd'hui la moindre indignation. (Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, loin de moi l'idée de lui trouver des circonstances atténuantes. D'abord parce que les chrysanthèmes je trouve ça moche, et puis c'est nous qui paye, ensuite parce qu'offrir des fleurs à des militaires morts je trouve ça aussi con que d'offrir un AMX 30 à des jeunes mariés, enfin parce que, que Pétain ait droit à une tombe, je la trouve un peu raide, quand on sait que Mussolini fut pendu par les pieds, sa dépouille livrée aux chacals, lui qui, pourtant, collabora infiniment moins avec les nazis, au niveau du remplissage des wagons pour Auschwitz en tout cas.) Tonton honore donc chaque année le héros de 14-18. Comme ses prédécesseurs il fait abstraction de ce que devint ce héros vingt ans plus tard lorsqu'il livra la France aux Allemands et les Juifs aux nazis. C'est une conception particulière du Pardon accorde pour services rendus antérieurement aux crimes commis. Sauf qu'en général, c'est aux victimes d'accorder le pardon. Les enfants de Manouchian, de Jean Moulin et de la Shoah, sans être terriblement rancuniers, vont peut-être attendre encore un peu avant de se prononcer.

Ce procès d'intention à l'encontre de notre Tonton honorant le maréchal félon n'est, en lait, pas du tout déloyal, j'avais raison. Par contre, je trouve inutile de demander à la France que, par la voix de son président actuel, elle s'auto-inflige aujourd'hui (pourquoi pas hier ou avant hier) le procès de ce qu'elle fut sous Vichy. Même si de Gaule essaya de nous faire croire que nous fumes un peuple de résistants, comme Mitterrand nous fit croire en 1981 que nous étions un peuple de gauche, à part quelques vieux bonzes bouffis d'orgueil patriotique et de suffisance cocardière pour lesquels l'honneur de la France ne doit souffrir d'aucune infamie, qui oserait aujourd'hui se faire l'avocat de cette France là, cette France à la botte, lâche, mesquine, veule, cette France combinarde et démerdarde, où les épiciers s'enrichirent grâce au marché noir, où les artistes se produisirent sans honte pour des uniformes du même métal, ou les hommes politiques, l'administration, la police, la justice, se déshonorèrent à jamais dans une collaboration bien plus active que ne l'espérait probablement l'occupant, cette même France qui se réveilla résistante en 1945 et qui tondit les femmes coupables d'avoir couché avec des soldats allemands, elle qui avait couché avec la Troisième Reich tout entier. Y'a t'il un avocat dans la salle pour cette France de merde qui réussit l'exploit de se montrer plus ignoble encore à la Libération que sous l'Occupation, pour ces flics auxiliaires zélés de la Gestapo qui remplirent les autobus pour le Val d'HiV, et qui arborèrent plus tard fièrement leur croix de Lorraine de résistants ? Pour ces industriels et ces politicards véreux qui ne furent jamais ennuyés et qui continuèrent leur carrière pépère après la guerre, protégés par les mêmes flics. Pas d'avocat ? Tant mieux, de toute façon, y'a pas d'accusé non plus. Bousquet, Papon et Touvier sont libres et se portent bien, merci, Drieu la Rochelle et Brasillac ont pas fini de payer et Robert Hersant a été pendu à un croc de boucher à la Libération, ou alors Je confonds.

Inutile donc, ce procès qui dirait : « J'accuse la France d'avoir été peuplée de Français » Inutile ce procès qui demanderait à la France de juger la France. C'est déjà fait. Même au Québec, où je chantais la semaine dernière, des tonnerres d'applaudissements accueillent ces vers de ma chanson Hexagone écrite en 1974 et chantée toujours : « ... Ils oublient qu'à l'abri des bombes, les Français criaient vive Pétain, qu'ils étaient bien planqués à l'ombre, qu'y avait pas beaucoup de Jean Moulin. » Pourquoi pas aussi demander au gouvernement d'aujourd'hui d'assumer et de s'excuser pour tous les crimes commis au nom de la République depuis la libération, des massacres d'Algériens en 1961 à Paris, jusqu'à l'assassinat des dix-neuf Kanaks de la grotte d'Ouvéa, de Ben Barka à Malik Oussékine, du métro Charonne au Rainbow Warrior, sans oublier sa récente « collaboration armée » avec les criminels de guerre américains, qui anéantirent deux cent mille civils irakiens sous les bombes pour restaurer la démocratie au Koweït ? Le gouvernement d'aujourd'hui répondrait probablement : « Responsable, mais pas coupable. »

Ça y est. je suis énervé.

RENAUD

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