Sortie de nouvel album L'Humanité, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 7 septembre 2006.

Renaud entre « Belle de Mai » Le « chanteur énervant » ne l'est plus tellement que ça

Renaud entre « Belle de Mai »

Le « chanteur énervant » ne l'est plus tellement que ça. Il poursuit son tour de France des cultures populaires attachantes. En attendant de remonter en scène, il nous parle de ses préoccupations actuelles. On ne s'étonnera pas qu'il soit aussi question de politique.

Pourquoi avoir appelé votre album « A la Belle de Mai » ?.

Chaque fois que j'écris les douze chansons qui composent un album, je me demande toujours quel est le plus joli titre. J'ai trouvé celui-là poétique et mystérieux.

Vous êtes allé vous ressourcer à Marseille, vous avez même potassé le « Parler marseillais », de Robert Bouvier...

Je vis quatre mois par an à l'Ile-sur-Sorgue, à 70 kilomètres de Marseille. Tous mes copains de la région parlent cette langue-là et m'emmènent souvent à Marseille pour des raisons sportives. C'est donc autant de bistrots où je pénètre, de quartiers de la ville que je découvre. Ça faisait pas mal de temps que je voulais écrire dans cette langue-là. Quand je m'y suis mis, un de mes copains m'a conseillé de lire cet ouvrage. J'y ai découvert des trésors.

Avant Marseille, il y a eu un album en ch'ti...

Je me suis découvert une passion pour la langue française et toutes ses composantes : le ch'timi, le marseillais, le basque, le corse... Tout ça appartient au patrimoine. Et comme je suis réfractaire au centralisme culturel parisien, je ne veux pas me bâillonner en chantant en une seule langue officielle, académique. J'ai envie d'aller à la découverte des gens à travers leur langue, leurs histoires, leurs cultures...

Vous n'avez quand même jamais usé d'un langage académique dans vos chansons !

Non, disons que je chantais dans la langue des banlieues. Aujourd'hui j'ai envie de chanter dans d'autres langues, d'enrichir mon vocabulaire et mes connaissances de ce peuple, riche de tant de composantes. Demain, il y aura peut-être un album en breton...

« A la Belle de Mai » sonne comme l'album de la maturité, après les périodes « ado » et « papa ». Vous semblez y prendre du recul par rapport au monde...

Ce n'est peut-être pas une démarche volontaire. J'écris les chansons, je les grave et l'ensemble peut donner une impression de recul par rapport aux choses et aux gens, qui reflète profondément ce que je suis aujourd'hui. Mais il n'y a rien de délibéré.

On retrouve Julien Clerc sur trois morceaux, en qualité de compositeur. C'est la première fois que vous travaillez ensemble ?

J'ai de plus en plus de mal, depuis quelques années, à composer mes propres musiques, parce que je ne travaille pas la guitare et que je suis un flemmard. La source est un peu tarie. Pour la première fois, j'ai eu envie d'offrir des textes à un compositeur. J'ai des relations d'amitié avec Julien Clerc, je lui ai montré trois textes, pensant qu'il en choisirait un seul. Il a écrit la musique pour les trois chansons.

Vous êtes en train d'enregistrer un disque de chansons de Brassens...

Cela faisait beau temps que l'envie m'en démangeais, mais je n'osais pas. Je craignais la réaction des gardiens du temple. Je pensais que Brassens n'avait pas besoin d'hommage, que ses chansons n'ont pas besoin d'être défendues. Au contraire, ils m'ont encouragé de façon touchante, me disant que j'étais son fils spirituel. J'ai agi dans un esprit de fidélité. Je n'ai pas repris les standards. J'ai tapé dans les vieilles chansons, moins connues... Je me suis vraiment fait plaisir. Chanter Brassens c'est un vrai bonheur, d'autant que j'ai joué sur la guitare de Brassens. Dès qu'on joue dessus, il est là, on sent sa présence.

Pour en revenir « A la Belle de Mai », vous dites que le titre est mystérieux. Le mystère est vite éclairci, non ?

La Belle de Mai, c'est un quartier dont on me parlait et je trouvais ce nom sublime pour une chanson. Je crois qu'au début du siècle une chanson s'appelait « les Amants de la Belle de Mai ». C'est vrai qu'on sait très bien de qui je parle. Je n'ai jamais été dupe du personnage, les gens non plus je crois. Le Français a de l'indulgence pour celui qui escroque le fisc et ne paye pas ses PV. D'où, peut-être, la bienveillance amusée vis-à-vis de Bernard Tapie, à cause de son côté un peu bandit. Le disque est sorti quand il était dans une situation inconfortable. Comme j'aime pas tirer sur les ambulances... J'ai senti de la part des médias une volonté évidente de me faire dire du mal et me pousser à l'insulter. J'ai eu une attitude un peu sur la réserve. J'ai minimisé la violence de la chanson, en disant qu'il n'était pas si méchant que ça, j'ai accordé un peu de crédit au personnage en disant que je ne le trouvais pas antipathique... Je m'en suis voulu de ne pas être plus cohérent avec mes idées et les propos de ma chanson.

La justice est passée par là.

Oui, il était temps. Elle n'a rien prouvé, sinon l'évidence, les magouilles, la corruption, la subornation de témoins... Je suis surpris du réveil de la justice, mais je ne suis pas étonné d'apprendre que pas mal d'élus, des chefs d'entreprise et même des ministres sont corrompus. Ce qui m'étonne, c'est le peu de réaction des gens. On fout en taule une mère de famille pour un chèque sans provision et on laisse tranquilles des patrons ou des hommes politiques qui détournent des milliards... Le je-m'en-foutisme des gens, j'avoue que je ne comprends pas. C'est la secrétaire de Mellick qui se fait insulter et Glasmann qui est interdit de foot, alors qu'ils ont été courageux. Les gens confondent Robin des Bois avec l'escroc du coin de la rue sous prétexte qu'il est une personnalité politique.

Dans « Adios Zapata ! », vous réhabilitez des héros révolutionnaires, Che Guevara...

Il manque le commandant Marcos ! C'est la nostalgie d'une époque, l'idéologie était moins galvaudée, moins rejetée. A travers cet hommage, c'est une mise en accusation des narcotrafiquants. C'est pas la faute du petit paysan colombien : si la Bourse de New York ou de Tokyo ne faisait pas chuter les cours du café ou du cacao, le paysan produirait du café et pas de la coca.

Le choix de l'affiche où le Che porte un tee-shirt à l'effigie de Renaud ?

C'est une provoc, un désir que l'affiche choque. Elle plaît ou elle déplaît, elle fait parler d'elle ! C'est un clin d'oeil amusant à tous ceux qui comme moi ont toujours admiré cette figure légendaire, son itinéraire. Et afficher le Che sur les murs de Paris à huit jours du retour de la droite, symboliquement...

Et au-delà de la symbolique ?

Pour moi, ou le commandant Marcos, ses idées nous tiennent toujours à coeur. L'idéal du Che, c'était la défense des petits paysans contre l'oppression, l'exploitation, les grands propriétaires, la dictature militaire, la CIA... C'est magnifique !

Il voulait changer la société...

Complètement, pour qu'il y ait plus de justice, de partage, d'égalité, un travail digne, l'éducation pour tous, ce que Castro a un peu fait au début.

Vous avez certainement remarqué que pas mal de jeunes s'approprient son image...

C'est encourageant, c'est bon signe ! Il n'est pas tombé dans les oubliettes de l'histoire. Fédérer un mouvement, une colère autour d'un symbole, d'un drapeau ou d'un visage, c'est plutôt bien. Je trouve que les manifs, surtout étudiantes, manquent de drapeaux rouges, noirs. Alors reproduire sur une pancarte la gueule du Che...

La chanson « Son bleu » rend hommage au monde du travail, avec une pointe de nostalgie.

C'est la nostalgie d'une époque où le travail, la classe ouvrière, le bleu et le cambouis, le syndicalisme ou le militantisme étaient des valeurs nobles et respectées. Après la chute du mur de Berlin, on a eu tendance à jeter le bébé avec l'eau du bain. En écrivant cette chanson, j'ai pensé à mon grand-père, ouvrier toute sa vie, qui a toujours cru au marxisme et ne se sentait pas responsable du goulag. Il croyait au message originel du marxisme. Dire aujourd'hui que c'est un salaud, c'est scandaleux.

Et les communistes d'aujourd'hui ?

Les militants sont des gens courageux, intègres. Pour les dirigeants, ceux qui ont cautionné par le silence ou des prises de position des atteintes à la liberté dans les pays de l'Est, je n'éprouve aucune indulgence.

Ceux d'aujourd'hui...

J'en ai plus. Ils ont fait leur mea culpa, coupé les ponts avec le stalinisme. Ils me conviennent mieux parce qu'ils sont restés fidèles à l'idée de base du communisme à laquelle moi aussi je suis fidèle. Il y a quinze ans, le goulag nous séparait. Plus maintenant.

Vous vous rebellez contre plein de choses, même la vieillesse dans « Cheveux blancs »...

Pas vraiment. En fait, je me fous de mes propres inquiétudes pour mieux les exorciser. Y a pire que la vieillesse, c'est la mort prématurée. J'aurais bien aimé que Coluche soit à mes côtés pour comparer nos cheveux blancs. La vieillesse, c'est le meilleur antidote à la mort.

Dans les « Y a pire », vous égrenez une longue liste : voter socialiste, regarder TF1, s'abonner à « VSD »... Pour quelqu'un qui a souvent voté socialiste...

Trop souvent ! Est-ce qu'il y avait vraiment le choix ? Combien de militants communistes ont-ils voté socialiste ? Qu'il me jette la première pierre celui qui s'est abstenu. Et puis je ne votais pas vraiment socialiste, je votais Mitterrand. Ce qui n'est pas forcément mieux d'ailleurs.

Aujourd'hui, il y a le choix ?

Non. C'est pour ça que je n'irai pas voter... au second tour. En 81 et en 88, c'était différent. 81, ça m'a valu une des plus grandes joies de ma vie. 88, j'en avais marre de voir les rats quitter le navire. J'étais un déçu du socialisme, mais j'étais surtout écoeuré par deux ans de cohabitation, Ouvéa, Oussékine... Aujourd'hui, Jospin, je ne peux pas. Autant pour des raisons affectives, Mitterrand oui... Bon, si c'est cinquante-cinquante au second tour, pour ne pas laisser passer Chirac...

D'accord, mais au premier tour ?

Ça va pas vous faire plaisir, mais j'ai apporté mon soutien à une femme, mère de famille, écologiste, Dominique Voynet. Mais je me sens un peu mal à l'aise : je l'ai entendue récemment et dans l'espoir de récupérer les voix de droite de Waechter, elle a affirmé par deux fois qu'elle n'était pas de gauche, qu'il fallait oublier ces clivages... Ça m'énerve au plus haut point, au point que si elle ne change pas d'attitude, je risque de lui retirer mon soutien.

Le vote communiste ?

J'y ai pensé. J'ai eu de longues discussions avec des camarades, de « Charlie Hebdo » entre autres (1). Je n'ai jamais voté communiste, mais... On a le droit de soutenir deux candidats ?

Vous seriez prêt à soutenir Robert Hue ?

Pourquoi pas ? Je l'aime bien, incontestablement. Il est d'une grande intégrité, d'une grande probité. Il a un programme, des idées...

En tout cas, côté engagement, vous êtes plutôt actif. J'ai en mémoire le « contre-sommet » des sept pays les plus riches...

Et plein d'autres, c'est pas les causes qui manquent ! Je trouve bien que Higelin soit rue du Dragon, que tel autre s'investisse sur l'environnement... Moi-même je suis modulable. Tel jour je vais faire un concert à Biarritz contre le tunnel du Somport et le massacre de la vallée d'Aspe. Le lendemain contre la guerre du Golfe, le sommet des pays riches... Je vais où mon coeur me dit d'aller.

Comme en Bosnie par exemple ?

Exactement. A part quelques intellectuels qui s'y sont rendus escortés par l'ONU et les caméras de TF1, je ne connais pas d'artiste français qui soit allé chanter à Mostar comme j'ai pu le faire avec Philippe Val, sans caméra ni journaliste.

Vos impressions ?

Je reviens farouchement pro-bosniaque. Quand il y a deux cent mille morts d'un côté et vingt mille de l'autre, il faut choisir son camp. Je suis parti là-bas sans comprendre, sans jugement manichéen, je suis revenu, j'ai compris.

« La Mutu » en mai, une tournée en province, la Fête de l'Huma ?

J'aimerais bien, d'autant que cette année, ce sera une fête de l'opposition, enfin comme les autres années, mais encore plus ! Quatorze ans de « socialisme » ont anesthésié la gauche, on avait mauvaise conscience de critiquer. Là, j'en ai plus. D'autant qu'il s'agit de lutter contre les lois Pasqua, l'économie Madelin et la justice Méhaignerie !

(1) Dans « Charlie Hebdo » daté du 5 avril, Renaud écrit : « Ah, tu n'es pas de gauche, Dominique ? Ben moi, oui... J'étais déterminé, moi aussi, à voter pour toi, mais finalement je voterai pour un candidat de gauche. Si j'en trouve d'ici là... »

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