Émissions L'Humanité, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 13 mai 2015.

Renaud, poing baissé poing relevé

Engagé, brisé: l’artiste tel qu’il nous a étonnés, émus. Et tel que le montre Didier Varrod, en charge de la musique sur France inter, dans un film documentaire consacré au chanteur et à sa renaissance. c’est le cadeau et l’hommage d’un ami reconnaissant. entré à Polydor grâce à Renaud, il affirme encore lui « devoir tout».

left Humanité Dimanche. Vous aviez déjà réalisé un documentaire sur Renaud, en 2002. Pourquoi y revenir ?

Didier Varrod. Lorsque j'ai réalisé le Rouge et le Noir, Renaud sortait d'une grosse dépression, après la séparation avec Dominique, sa compagne, et sa chute vertigineuse dans les affres de l'alcool. Ce film est arrivé au début de sa renaissance. C'est la première fois qu'il se livrait sur la longueur, avec autant de sincérité, et de pudeur. Ce retour a permis de prendre conscience de son importance dans la chanson française : il est le chanteur de cette France de gauche, qui a accompagné la victoire de Mitterrand en 1981, et qui a vécu lourdement les désillusions, les unes après les autres. Je ne pensais pas refaire un film. Je l'ai interviewé, pour le magazine « Serge », en 2012 (NDK : en 2010). Une interview qui m'a désespéré : Renaud était vraiment de nouveau dans un syndrome de rechute, avec une espèce d'incapacité à se connecter avec le bien-être et le bonheur. Ni sa nouvelle paternité ni l'amour de Romane, sa nouvelle compagne, ne semblaient le rendre heureux. Le temps a passé. Jusqu'à ces « informations » publiées dans la presse people, avec des photos abominables, des titres racoleurs, ce plaisir immonde à montrer un artiste dans la déchéance. Juste après, est arrivé le succès des albums de la Bande à Renaud (album de reprise, par la jeune génération, de chansons de Renaud - NDLR). Et d'un coup, l'absence de Renaud devient pesante.

HD. Renaud n'intervient pas dans ce film. Ce sont des artistes qui racontent leur Renaud, le tout émaillé d'images et de sons d'archives ... Comment est née l'idée de cette forme ?

Didier Varrod. Il y a treize ans, il m'a tout dit. Aujourd'hui, c'est peut-être à moi de tout lui dire, et de le remercier, aussi, car il a été un de mes deux anges gardiens, avec Jean-Jacques Goldman. J'ai eu l'idée d'un cadeau d'anniversaire en forme de film. Avec un vrai décor de cinéma, qui reconstruit une sorte de paysage mental de son univers : cette pochette mythique où on le voit embrasser sa petite Lolita, la forêt, le banc, Paname, mais aussi les vinyles, les dessins de Marc Large. Je ne voulais pas non plus des artistes de La bande à Renaud, ni des proches, qui nous limitent à l'anecdote. C'est donc Patrick Bruel, Alex Beaupain, Vincent Delerm, Nicolas Sirkis, Louane, Raphaël, Grand Corps Malade, Disiz, Olivia Ruiz, Mazarine Pingeot qui témoignent. Soit un choc des générations, des esthétiques, des sensibilités. Le film devait être tourné début janvier. Et puis est arrivé l'attentat à « Charlie». Nous étions tous dans la sidération. Et nous avons tous pensé à Renaud. Renaud qui avait aidé « Charlie Hebdo » dans les moments difficiles.

HD. Vincent Delerm dit que les chansons de Renaud racontent un parcours d'homme. C'est votre avis ?

Didier Varrod. Renaud, c'est d'abord sa mob, ses potes, puis sa gonzesse, à qui il veut faire un petit gars. Finalement, avec Lolita, arrivent En cloque, puis Elle a vu le loup, etc. C'est un parcours de papa, un parcours d'amoureux, un parcours d'enragé qui a le poing levé et qui tout à coup le baisse ...

HD. Le film comporte justement un chapitre intitulé « l'Enragé »...

Didier Varrod. Ce chapitre sur l'Enragé est très important, parce qu'il parle d'aujourd'hui, de 2015. D' Hexagone à Société, tu m'auras pas, jusqu'à Manhattan-Kaboul, il y a une cohérence totale chez cet artiste. Le malaise de Renaud, ce n'est pas l'alcool, ce n'est pas Dominique qui s'en va, ce n'est pas Romane qui va divorcer. Il faut réécouter Fatigué : quand il l'écrit, il a 33 ans, il vend 2 millions de disques, il est aimé, en pleine forme, beau comme un dieu, et il écrit Fatigué... Paradis perdu, Mistral gagnant et Fatigué sont les trois chansons clés qui illustrent pourquoi Renaud est « si mal en vie », comme disent les Québécois.

HD. Renaud a vu le film, qu'en a-t-il pensé ?

Didier Varrod. À la fin, il a applaudi. Puis avec la voix qui tremblait, il a dit que ça lui donnait envie de se remettre à écrire. Est-ce qu'il en aura la force ? Je n'en sais rien. Mais lire un petit bouquin de Renaud sur la situation d'aujourd'hui, l'après- « Charlie » ou sa vie de retraité dans le Sud, je prends tout ! Parce que, pour moi, Renaud, c'est comme un cours d'instruction civique. C'est vraiment quelqu'un qui m'a aidé à me forger une conscience, qui donne la capacité à s'enrager, à se mettre en colère, sans avoir peur de ses propres contradictions. Et ça, c'est quand même très fort.

"Fatigué", "dégoûté" : des raisons d'être "si mal en vie". En 1986, dans l'album Mistral gagnant, Renaud chante Fatigué. C'est une chanson crépusculaire, de colère extrême. Un titre qui évoque à la fois la rage et l'impuissance. Quinze ans après Société, tu m'auras pas, le « chanteur énervant » expose la liste bien trop longue/De tout de ce qui m'éc½ure/Depuis l'horreur banale du moindre fait divers/Il n'y a plus assez de place dans mon c½ur/Pour y loger la révolte, le dégoût/La colère.... Renaud, qui avait soutenu François Mitterrand en 1981, y donne la liste de ses désillusions, sur le pouvoir, mais aussi et surtout sur les hommes, qui ont même réussi à pourrir la pluie. Il se dit Fatigué du mensonge et de la vérité/Que je croyais si belle, que je voulais aimer/Et qui est si cruelle que je m'y suis brûlé. La terre y est le Berceau de la bêtise et royaume du mal/Où la plus évoluée parmi les créatures/A inventé la haine, le racisme et la guerre/Et le pouvoir maudit qui corrompt les plus purs. La chanson finit par un cri de désespoir : Fatigué de chercher quelques traces d'amour/Dans l'océan de boue où sombre la pensée. Elle est aussi une clé de l'½uvre de Renaud, et de son rapport à la vie.

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