Entrevues Le Monde, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 2 octobre 2006.

Renaud : Je n'ai jamais écrit Sarko égale facho

lm_02-10-06.jpgRichard Dumas Le chanteur Renaud en juillet 2006.

Même table, même clair-obscur : Renaud donne ses rendez-vous à La Closerie des lilas, fief de l'intelligentsia de Montparnasse. Verre d'eau sur la table, guitare dans un coin - la promotion de Rouge sang, le disque qui sort le 2 octobre, continue par la télévision, pour une émission de plateau chez Laurent Ruquier. ¼il en coin, Renaud attaque :

Évidemment, vous allez me demander pour qui je vais voter en 2007. Tous les journalistes me le demandent. Comme si j'étais un habitué des concerts de soutien. J'en ai donné un pour Mitterrand à Strasbourg en 1988. Mais l'isoloir a été inventé par cette jolie chose qu'est la démocratie. Je ne fais aucun prosélytisme. J'étais pour la Constitution européenne en 2005, je l'ai dit en passant dans une interview à Ouest-France. Immédiatement, j'ai été taxé de néolibéralisme. Si je vote à l'extrême gauche au premier tour de la présidentielle, on va me dire que je fais le lit d'un 21 avril bis. Moi, je ne suis pas séduit par Ségolène ni par son programme et son populisme, on est dans une élection, pas au resto. Mon candidat idéal n'est pas sur les listes.

Bien, mais alors, pour qui allez-vous voter ?

J'aurais voté pour le représentant de la gauche altermondialiste, écolo, José Bové. En l'état, je voterai sans doute Dominique Voynet, même si je préfère Yves Cochet.

Sarko égale facho ?

Je n'ai jamais écrit cela. C'est une polémique montée de toutes pièces par un journaliste du Parisien. Dans la chanson en question, je dépeins une femme de droite, de banlieue, plutôt facho. Et qui votera Sarko. Ce n'est pas incohérent de dire que Sarkozy chasse sur les terres du Front national, de la morale, de la sécurité, etc. Qu'un an de travail et vingt-six chansons soient résumés à cela m'énerve. Après, il y a eu un écrivaillon de banlieue qui a dit dans Voici que j'avais présenté mes excuses à Sarkozy. Ce serait une insulte à mon intelligence.

Dans Les Bobos, le titre qui passe à la radio, vous démontez les bourgeois bohèmes.

Non, je les décris, c'est la chronique d'un groupe social de plus en plus large, avec ses conformismes, ses codes sociaux. Il y a vingt ans, mes charges contre les beaufs étaient bien plus virulentes. Je constate qu'on a laissé Paris être une ville de bobos, à coups de hausse des loyers, etc. En 1988, j'avais écrit Rouge-gorge ("Paris-la-soumise/Que Doisneau regarde/Et qui agonise"). Vincent Delerm, cité dans Les Bobos, l'a bien pris (une campagne de publicité croisée pour Sous les avalanches de Delerm et Rouge sang de Renaud a débuté, mettant en scène les deux chanteurs).

En revanche, l'hebdomadaire Les Inrockuptibles n'a pas apprécié...

C'est un honneur que d'être détesté par Les Inrocks, je les déteste, c'est une chapelle sectaire. Ils ont écrit que j'étais un poète foireux qui composait une musique indigente. Pour eux, je suis trop populaire pour être honnête. Libé, n'en parlons pas, cela fait vingt-cinq ans qu'ils me conchient : pour eux je suis clodo-alcoolo-poivrot. Les pages culture de Libé sont indigentes et leurs convictions politiques centristes. Je ne vais pas me réjouir de leurs difficultés actuelles, je suis pour le pluralisme de la presse.

Mais sur cet album, du moins dans sa version intégrale, un double, qui ne sortira qu'en série limitée (à 180 000 exemplaires), il y a de plus graves brûlots, et l'administration américaine pourrait m'en vouloir, avec Leonard'Song, dédié à l'Indien Leonard Peltier, en prison depuis trente ans (Ce second tome contient aussi Dans la jungle, écrite pour Ingrid Betancourt, et 26 avril, offerte à Greenpeace pour une compilation à l'occasion de l'anniversaire de Tchernobyl).

Qu'est-ce qu'on vous reproche exactement ?

On me reproche de ne plus être comme dans Hexagone, de ne plus habiter une chambre de bonne, et de l'ouvrir quand même. On ne pose jamais de questions à Goldman ou à Cabrel sur leurs investissements immobiliers, à moi oui. C'est un procès stalinien qui date de trente ans. Même Jean-Louis Murat a dit ça, lui qui a produit vingt-deux disques pendant que j'en faisais un, et en a vendu vingt-deux exemplaires, tout en ayant vingt-deux couvertures des Inrocks et vingt-deux "unes" de Libé. Moi, à chaque album, j'ai vendu au moins 600 000 exemplaires. Dès que Rouge sang a été annoncé, on a dit, comme Roselyne Bachelot (UMP) : 1) "J'aime beaucoup Renaud", ça c'est pour ne pas choquer les 50 % de Français qui m'aiment. 2) "Mais son nouvel album est nul", ça c'est pour les 50 % qui me haïssent. Elle n'avait pas écouté mon album, mais moi, je connais sa politique.

En 2002, vous avez lié votre retour à une descente aux enfers, avec alcoolisme, dépression, etc. En avez-vous joué ?

Joué ? J'ai au moins cinq amis qui en sont morts, maladies, suicides. J'ai sorti Boucan d'enfer après sept ans d'absence. Mes chansons ont toujours raconté ma vie, avec de jolies notes, de jolies rimes. Ma sincérité a touché deux millions d'acheteurs qui se sont reconnus dans ma douleur, dans l'alcoolisme, le chagrin d'amour. Je n'ai pas vendu cette douleur. Mais je reconnais une forme d'impudeur, raconter sa vie sur un plateau de télé, c'est comme un strip-tease.

Joan Baez a repris Manhattan Kaboul...

Ça vaut toutes les Victoires de la musique. Du coup, j'aimerais qu'elle reprenne Chanson dans la jungle, que j'ai écrite pour Ingrid Betancourt et les trois mille otages retenus par les FARC en Colombie. J'ai vendu 25 000 singles de Chanson dans la jungle, qui est pourtant plus belle que Manhattan Kaboul.

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