Sortie de nouvel album Le Monde, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 2 novembre 2000.

La Belle de Mai

> Le Monde du Jeudi 24 novembre 1994, page 36 par SOTINEL THOMAS

Livré dans une jolie boîte métallique, comme celles qui contiennent des crayons de couleurs, le disque de Renaud est une tentative de réconciliation avec les larges masses. Conséquemment, Renaud Séchan a demandé à des amis, connaissances et collègues de sa maison de disques de composer quelques mélodies à la fois mémorables et compatibles avec la voix blanche du créateur de Putain de camion. A l'image de l'emballage coloré et accueillant, les arrangements se sont faits pimpants ou gentiment nostalgiques. Cet album commence bien, par la Ballade de Willy Brouillard, nouveau chapitre de la chronique des banlieues selon Renaud, portrait d'un îlotier malheureux sur fond de slide guitar irréprochable. Lui succède A la Belle de mai, la chanson qui donne son titre à l'album, pagnolade autour du thème de l'étranger qui achète l'équipe de foot de Marseille sur un rythme mariachi. Renaud, parigot récemment adopté par les ch'timis, a le culot de prendre l'accent marseillais pour se mêler de ce qui ne le regarde pas, et c'est plutôt sympathique. C'est ensuite que les choses se gâtent, avec une paire de chansons dont la musique est signée Julien Clerc (la seconde, le Sirop de la rue, empruntant note pour note son introduction au I Want You de Bob Dylan). Renaud nous refait le coup de l'enfance sans fin, des concours de châteaux de sable et du Mercurochrome au genou. Malgré les astuces de la production de Jean-Louis Roques, le reste du disque reste entravé par ce sentiment de déjà-entendu. Devant les lavabos, fantasme laborieux sur les conversations féminines au moment du raccord de maquillage, n'est que le remake de la chanson que Renaud avait déjà consacrée à l'intérieur du sac des femmes. Quand il pousse un cri déchirant devant l'arrivée du premier cheveu blanc, on se demande ce que lui arrachera la pose de son premier bridge. La série des élégies à sa fille s'augmente du portrait du gendre idéal selon le chanteur (Mon amoureux). Les exigences de Renaud pour sa fille - un chic gars qui ne fume pas, mais qui est insoumis; protestant et nul en gym - sonnent si vraies, entre possessivité et conformisme anarchiste que la chanson en devient ridiculement touchante. Et comme Renaud oublie toujours à un moment ou à un autre de se taire, il faut faire avec une profonde ineptie géopolitique intitulée - sur un rythme brésilien - Viva Zapata, qui présente la narco-culture en Amérique latine comme une revanche des pauvres sur l'impérialisme. C'est que Renaud ne se refait pas. Avec ce disque il est arrivé à se ravaler, ce n'est déjà pas si mal.

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