Portraits Nouvel Observateur, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 24 novembre 2010.

Renaud s'invite à l'université

Il fait l'objet d'une thèse de littérature. Une première. Alors qu'on réédite, cette semaine, tous ses albums en vinyle et que sort une compilation de ses meilleurs titres, Renaud a fait l'objet cet automne de la première thèse de littérature consacrée à un chanteur vivant. Explications.

Lorsque l'on cherche à parler à Johanna Copans, il arrive qu'on tombe sur... Renaud. Aucun doute, cette normalienne, agrégée de Lettres Modernes, est une grande fan. Et les quelques strophes de « Morgane de toi » qu'elle a enregistrées sur son répondeur ne sont pas les seules preuves de sa passion pour le chanteur au foulard rouge.

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Elle n'a en effet pas hésité à consacrer sa très sérieuse thèse de doctorat à l'auteur d'«Etudiants poils aux dents». La première consacrée à un chanteur vivant sous l'angle de l'analyse littéraire (elle sera publiée prochainement aux « Belles Lettres »). Renaud à l'université ? L'image peut faire sourire.

Pourtant, alors que sortent cette semaine l'«intégrale» de ses albums en vinyle et un «Best Of» de 3 CD, qui devraient combler les amateurs, on découvre, en conversant avec la thésarde devenue docteur, que derrière la figure du vieux loubard dépassé se cache une œuvre complexe et résolument moderne.

BibliObs. - Une thèse de doctorat sur Renaud? C'est pour le moins surprenant. On imagine que la réaction du milieu académique a du être mitigée. On ne vous a jamais dit: «Laisse béton»?

Johanna Copans. - Il est clair que Renaud n'est pas du tout un sujet conformiste. De plus, la chanson est marginalisée à l'université. On la considère encore comme un art mineur. Pourtant, je me suis rendue compte qu'il y avait une attente de la part de certains intellectuels...

BibliObs. - Les universitaires commencent-ils à s'intéresser à la chanson?

Johanna Copans. - Oui. Depuis quelques années, sous l'impulsion de Stéphane Hirschi, professeur à l'université de Valenciennes, on commence, en France, à étudier la chanson sous un angle nouveau. Cette nouvelle approche - qui porte un nom, la « cantologie », - considère la chanson comme un véritable genre littéraire, méritant une place à part entière dans l'univers de la recherche. Certes, cette science en est encore à ses balbutiements, mais je crois que ma thèse - le premier doctorat de Lettres sur un chanteur vivant - peut contribuer à son développement.

BibliObs. - En deux mots, en quoi consiste l'approche «cantologique»?

Johanna Copans. - Il s'agit d'envisager la chanson comme un phénomène global, en étudiant non seulement les textes et les musiques, mais aussi les voix, les gestuelles (sur scène), sans oublier la réception des œuvres par le public, et le rôle des médias dans cette réception.

BibliObs. - J'imagine qu'en ce qui concerne l'accueil du public et le rôle des médias, le cas de Renaud vous a comblée...

Johanna Copans. - C'est sûr. Le problème avec Renaud c'est qu'il est surtout perçu sous l'angle de sa vie privée. Et l'image que l'on a de lui peut sans doute être un écran qui empêche de comprendre son œuvre dans sa globalité. Les médias aidant, on considère souvent qu'il y a un fossé séparant le « premier Renaud » et le « second Renaud », ou « nouveau Renaud ». Du coup, il me semblequele public a surtout retenu ses premiers disques. En étudiant ses chansons en miroir, en comparant les plus vieilles aux plus récentes, on découvre que l'œuvre de Renaud est beaucoup plus cohérente qu'on ne le croit.

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BibliObs. - Mais peut-on donner tort à ceux qui disent que Renaud a mal vieilli? Vous avez dit que la «cantologie» s'intéressait aussi à la voix, à la musique. Or de ce point de vue là...

Johanna Copans. - C'est vrai qu'il n'a plus la même voix qu'à ses débuts. Et il est le premier à reconnaître que, musicalement, ce n'est plus pareil : ce n'est pas lui qui a écrit la musique de la plupart de ses dernières chansons et il concède faire maintenant ce qu'il appelle lui-même de la « variétoche ». Mais chez Renaud l'essentiel est ailleurs. Je me suis par exemple, beaucoup intéressée à ses discours sur scène, ces moments charnières d'un concert où il peut faire passer son message.

Il ne se définit d'ailleurs pas comme un chanteur : « Peu importe que je chante juste ou faux, je chante vrai », aime-t-il répéter. Et sur le fond, ses derniers tetxes sont aussi forts que les autres. Prenons par exemple, le thème de la banlieue. « Dans la jungle », écrite en 2005, est à mettre en relation avec « la Ballade de Willy Brouillard » écrite en 1994 et « Morts les Enfants » écrite en 1985. On s'aperçoit alors que l'œuvre de Renaud est un véritable réseau de chansons. Un réseau d'une grande cohérence.

BibliObs. - Quelle influence Renaud a-t-il eu, selon vous, sur les nouvelles têtes de la chanson française?

Johanna Copans. - La question de l'influence est indissociable de l'œuvre de Renaud. Dans ma thèse, j'analyse, en effet, comment Renaud est parti d'un héritage revendiqué - la chanson réaliste des Aristide Bruant et Georges Brassens, et la « protest song » américaine d'un Bob Dylan - mais pour dépasser cet héritage, pour s'en détacher et arriver à quelque chose de très moderne qu'on pourrait appeler une poétique de la banlieue, teintée d'argot.

En ce sens, Renaud est la preuve que la chanson est un genre à part entière. Un genre qui se construit et se déconstruit, perpétuellement en mouvement. Par exemple, Renaud ne cesse de glisser, à l'intérieur de ses chansons, des références à d'autres chanteurs. Il joue avec l'histoire du genre : Bruant, Brassens, Bashung, Ferrat, Trenet, Gainsbourg, Reggiani, Aufray, mais aussi, Springsteen, les Rolling Stones, et bien d'autres..... Cette pratique de l'intertexte est l'une des marques d'une œuvre complexe et riche, légitimant ainsi l'œuvre de Renaud comme œuvre littéraire.

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Et aujourd'hui, Renaud est à son tour repris, adapté, par de nombreux jeunes chanteurs français. Raphael, Zebda, Java, Benoît Doremus, les Têtes Raides, Nicolas Bacchus... tous s'en inspirent et jouent à leur tour avec cette influence. Renaud reste donc très actuel.

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