EntrevuesSortie de nouvel album SudPresse, le par be.
Mis en ligne dans le kiosque le 21 novembre 2009.

Interview exclusive : il nous reçoit à Paris

En bal(l)ade avec Renaud. C’est un événement : Renaud sort, à 57 ans, son nouvel album d’inspiration irlandaise, Molly Malone, ce 23 novembre. Sud mag a rencontré le chanteur en exclusivité.

left Il y a longtemps que vous rêviez d'enregistrer ce disque, entièrement composé de musiques irlandaises ?

Depuis vingt ans, au moins. Depuis que je suis allé à Londres pour enregistrer Marchand de cailloux. C'est à cette époque que j'ai découvert Belfast et Derry, l'Irlande du Nord et l'Ulster. J'ai écumé les marchands de disques locaux et je me suis constitué une discothèque de folie. Toutes ces années, j'ai continué à écouter de la musique irlandaise et je me disais toujours qu'entre deux albums « quand j'aurais le temps » j'enregistrerais un disque 100 % irlandais. Et puis, comme mon dernier album Rouge sang contenait 26 chansons, j'avoue qu'après, je me suis senti un peu en manque d'inspiration. C'était le bon moment.

Vous vous êtes fait plaisir ?

Bien que je sois auteur-compositeur, avec mes qualités et mes défauts, j'aime faire oeuvre d'interprète. Des chansons, il y en a des millions dans le monde. J'aime bien cette idée de faire découvrir, ou redécouvrir, des trésors oubliés, les tirer de leur fond de tiroir et inviter le public à se pencher sur eux. Ce n'est jamais qu'une autre façon de dire qui je suis et ce que j'aime.

right Vous qui, dans votre précédent album, fustigiez les bobos (bourgeois-bohèmes) et les people, vous avez ressenti le besoin de revenir à des considérations plus terre à terre ?

C'est vrai que ces chansons, ce sont les histoires de petites gens, qui ne sont pas heureux dans leur pays et qui espèrent que l'herbe sera plus verte ailleurs. Qui se déracinent, avec l'espoir non pas de faire fortune mais de trouver du travail. Pour revenir un jour, plus riches et plus aimés qu'avant. Ça m'a paru plus intéressant de parler de misère, de chômage et de fraternité que de produire des petites chansons anecdotiques, très franco-françaises, sur nos travers. Les miens comme ceux des bobos...

De ce côté-ci de la Manche, on connaît peu ou prou les chansons irlandaises que vous avez adaptées. Êtes-vous resté fidèle aux textes originaux ?

Pour la plupart des chansons, j'ai choisi de rester fidèle aux paroles d'origine. Tandis que pour d'autres, je me suis autorisé à dériver...

_Sur la chanson qui donne son titre à l'album, Molly Malone, vous avez fait d'une marchande de poisson une marchande de fleurs... Peut-on parler de licence poétique ?

C'est vrai que, dans la chanson d'origine, elle vend des coques et des moules. On a fait plus poétique. J'ai préféré la pourvoir en lilas et en roses.

left L'album a pour sous-titre Balade irlandaise. Balade comme promenade. Vous aviez envie de nous inviter à mettre nos pas dans les vôtres ?

Ce que je voulais, c'était raconter l'histoire d'un peuple. Écrire sa mélancolie, sa joie de vivre, son côté insoumis aussi.

Sous le couvert de folklore irlandais, ces chansons nous emmènent bien plus loin qu'on ne l'aurait cru de prime abord. Parfois même, vers une réalité qui n'a rien de riant...

J'espère surtout qu'elles vous emmèneront vers l'Irlande, vers ce beau pays que j'aime tellement. Qu'elles vous feront voyager, mais, c'est vrai qu'elles sont très proches de mon univers personnel et de mes thèmes d'inspiration habituels.

Pour la plupart, ce sont des chansons d'autrefois, mais les paroles que vous avez écrites parlent de chômage, d'exil, de guerre, d'amour et d'absence. Des thèmes tout ce qu'il y a de plus actuels.

Plusieurs d'entre elles parlent effectivement du chômage, de la difficulté de vivre, de misère même. Ce sont des difficultés que les Irlandais connaissent bien, pour avoir vécu le démantèlement des chantiers navals, la fermeture des mines, des aciéries, des filatures. On peut considérer que ce sont des thèmes universels, mais l'Irlande a été tout spécialement éprouvée par ces bouleversements, qui ont marqué les quarante dernières années.

right Dans Belfast Mill, vous chantez : « Je suis trop vieux pour travailler mais trop jeune pour mourir. » Si on vous écoute, on comprend que le travail n'est pas qu'une façon de gagner sa vie. Il s'agit plutôt de conserver sa dignité, voire son identité.

Le manque de travail et l'exil pour en trouver sont les deux fléaux de l'Irlande.

Il y aussi le conflit entre ces deux communautés antagonistes, que sont les protestants et les catholiques.

C'est volontairement que j'ai choisi de ne pas en parler. Seules deux ou trois des chansons de l'album font référence à la guerre et, pour l'une d'entre elles, il s'agit de la guerre 14-18, qui a vu mourir tant d'Irlandais. Seule La ballade nord-irlandaise évoque clairement le conflit entre catholiques et protestants, qui se déchirent depuis des siècles. Heureusement, aujourd'hui, les uns et les autres semblent avoir trouvé un peu de sérénité.

Dans vos chansons, vous décrivez une Irlande économiquement dévastée. Pourtant, on a longtemps parlé du miracle irlandais.

Il a bel et bien eu lieu. Il a duré dix ans, grâce aux subsides de l'Europe. Mais désormais, c'est bien fini. On dirait que les Irlandais n'ont sorti la tête de l'eau que pour mieux replonger. La crise actuelle les frappe de plein fouet.

Les Irlandais n'en ont pas fini avec l'émigration. Qu'est-ce qui vous touche à ce point dans le thème de l'exil ?

Ces gens qui, pour certains, partent sans se retourner, sans trop bien avoir conscience de ce qu'ils laissent derrière eux et qui, un jour, mesurent leur attachement à leur pays et le déchirement d'être loin de lui. Souvent trop tard. Vers quoi, vers qui reviendraient-ils ? Plus personne ne les attend nulle part. Et pourtant, conserver intacte cette nostalgie du pays « aussi brûlante et insupportable soit-elle » les aide à conserver leur identité.

Vous décrivez les Irlandais souvent malmenés par le destin mais qui, pourtant, ne courbent jamais l'échine. Qu'est-ce qui fait, selon vous, la grandeur de ce peuple ?

Même au fin fond de l'Alabama, sur L'incendie au coeur de la nuit brûlante du sud, ils ne rêvent que des vertes prairies du Connemara, de leur île bordée par un océan sauvage. Où qu'ils aillent, ils forment une communauté incroyablement soudée. Peu importe où vous êtes le 17 mars, même à l'autre bout du monde, il y a toujours des Irlandais pour fêter la Saint-Patrick.

left Sans aller jusqu'au bout du monde, pour beaucoup d'Irlandais, l'exil commence de l'autre côté de la mer d'Irlande, en Angleterre.

Prenez des écrivains comme George Bernard Shaw ou Oscar Wilde... Qui se souvient aujourd'hui qu'ils étaient Irlandais ? L'exil, ce n'est pas que s'éloigner de la terre ou des gens qu'on aime, c'est aussi mettre de la distance entre soi et ce qu'on est au plus profond. Cela dit, heureusement que l'âme des Irlandais continue à voyager à travers les nombreux écrivains irlandais. Des écrivains magnifiques. En ce moment, je suis en train de lire Eureka Street, de Robert McLiam Wilson. Peut-être le plus grand écrivain irlandais vivant. La littérature irlandaise, c'est un mélange de rébellion et de fraternité, de joie de vivre et de mélancolie. Avec cette volonté de chérir cette dernière, aussi cruelle soit-elle.

Je suis obligé de me montrer au grand jour, avec mes pauvres propos et ma pauvre voix enrouée, enfumée par le tabac. Je me fais violence. Je n'ai pas envie d'avoir à me justifier.

Joyce affirmait que si Dublin devait un jour être détruite, elle pourrait être reconstruite à partir de ses livres. Vous diriez la même chose de la chanson Dubliners, qui se trouve sur l'album ?

Vous savez, l'Irlande, je la connais peut-être encore moins bien que vous. Je n'y suis allé, en tout et pour tout, que quatre fois. Deux fois en touriste et deux fois pour y travailler. Mais rien n'y fait, c'est un pays qui me fascine. Je sais que j'y retournerai un jour. J'irai là-bas pour bourlinguer en voiture, de village en village, de port et en port et de pub en pub. Il ne me manque que l'occasion et le temps. Vous avez travaillé avec des musiciens irlandais très connus, dont les Pogues, mais quelle latitude vous êtes-vous autorisée par rapport aux mélodies d'origine ? J'y suis resté très fidèle. Je n'ai dérivé des arrangements originaux que quand j'étais sûr de pouvoir en créer d'autres encore plus chouettes.

Des textes français sur des ballades irlandaises, vous avez douté que ça puisse fonctionner ?

Bien sûr que j'ai douté. À chaque sortie de l'un de mes disques, je doute ! Et là, encore plus. Puisque cet album n'est pas complètement de moi. Non seulement, je n'ai pas composé les musiques mais les textes ne sont que des adaptations. Mais malgré ces doutes, je suis bien obligé de reconnaître que cet album me ressemble. Je crois sincèrement qu'il ne déparera pas l'ensemble de mon répertoire, qu'il ne déroutera pas mon public non plus. Si, par le biais du regard que je pose sur elle, je peux amener quelques-uns d'entre eux à s'intéresser de plus près à la musique irlandaise, j'en serais ravi. Je pourrais me dire que j'ai fait oeuvre utile.

Vous décrivez l'amour « celui de la patrie perdue ou de la fiancée qui attend peut-être » comme un phare qui éclaire la noirceur de l'exil.

L'amour guide la vie. Il y a quelques chansons dans cet album qui parlent d'amour. Même si ce sont des aventures idéales. Comme le phare, l'essentiel n'est pas de le rejoindre mais plutôt qu'il continue à éclairer nos nuits.

On sent que vous ne vous prêtez pas volontiers à l'exercice de l'interview. C'est un pensum pour vous que de devoir assurer la promotion de cet album ?

Non parce que je l'aime. Mais, en même temps, je ne suis pas convaincu de l'intérêt qu'il y a à m'écouter délirer sur mes propres créations. À chaque fois, je me dis : « Qu'est-ce que je vais bien pouvoir raconter sur ce disque ? » J'ai l'impression que tout est dedans.

C'est le jeu médiatique aussi qui vous embarrasse ?

C'est vrai que j'ai l'habitude me faire assassiner par la presse et les médias en général. La plupart du temps, par des gens que je n'ai jamais rencontrés et qui n'ont pas écouté mon disque. Je ne gère pas bien la notoriété. J'ai toujours envie de me dissimuler au regard des gens pour, selon le vieil adage, vivre caché et heureux. Mais là, je suis obligé de me montrer au grand jour, avec mes pauvres propos et ma pauvre voix enrouée, enfumée par le tabac. Je me fais violence. Je n'ai pas envie d'avoir à me justifier, à expliquer qui je suis, ce que sont mes chansons. J'ai parfois l'impression que ça n'intéresse personne. Quand on m'invite à la télé, c'est pour parler de politique, de Betancourt. Je parle de tout et de rien, mais rarement de mon travail. Je préfère être engagé dans mes chansons plutôt que dans mes propos. Je ne dis jamais aussi bien ce que je suis et ce que je pense que dans mes chansons.

Mais vous irez quand même en télé pour la promo de cet album ?

Une ou deux émissions, pas plus. Bien obligé. La télé, c'est soit trop long, soit trop court.

Article original (merci à Vincent le Borgne) :

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