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Mis en ligne dans le kiosque le 19 février 2007.

Quand les chanteurs sortent leur carte d'électeur

De Johnny à Renaud, l'heure est à l'engagement politique. Convictions ou opportunisme ?

Vachard, comme toujours, Guy Bedos avait balancé un jour: «Mireille Mathieu n'est ni à droite, ni à gauche: elle est où on la pose».

Manière de souligner, qu'en France, il faut choisir son camp. «Ni droite, ni gauche», c'était bon pour Léo Ferré, ce vieil anar. Pour le reste, la chanson française a toujours entretenu des liens plus ou moins incestueux avec la politique. Chaque nouvelle élection permet de le vérifier.

A l'approche des présidentielles, les partis en campagne battent donc le rappel de leurs troupes artistiques. «A qui profite la rime?», peut en toute logique s'interroger le magazine Marianne, avant de renvoyer dos-à-dos Johnny Hallyday et Renaud.

«Ami: oui. Valet: non»

Après avoir été successivement giscardien puis chiraquien, le premier ne jure plus que par son «ami» Sarko. Un engagement que l'on aurait bien de la peine à repérer dans son répertoire, plus volontiers porté sur l'amour, la solitude et les Harley-Davidson. Il y a longtemps déjà que l'idole des jeunes n'effraie plus les bourgeois.

Renaud, en revanche, ne trace pas de frontière entre ses chansons et ses convictions. A propos de Mitterrand, dont il soutint la candidature, il affirmait: «Ami, oui. Valet, non». Sur son dernier album, il s'en prend à Sarko dans Elle est facho (elle vote Sarko).

Du coup, le chanteur se voit reprocher de céder à l'amalgame. Ce dont il s'est défendu dans un entretien accordé à La Tribune: «Je ne vois pas où est l'incohérence de dire que les électeurs fachos, entre parenthèses du Front National, voteront Sarko au second tour plutôt que socialiste. Sarko brasse dans l'électorat de Le Pen en reprenant ses idées les plus nauséabondes, les plus populistes».

Voilà qui a l'avantage d'être clair. Plus clair, en tout cas, que les positions de Michel Sardou. Longtemps qualifié lui aussi de «facho», l'interprète du France n'a jamais caché son encrage à droite.

Libéral mais pas trop

«Dans les années 70, j'étais catalogué chanteur de droite et donc la cible idéale pour me faire casser la gueule», a-t-il confié récemment lors d'une conférence de presse. Avant d'ajouter: «Quand je vois à la télévision une entreprise qui fait des bénéfices et qui part s'installer à l'étranger pour en faire de plus gros encore, ça me met en colère. Si c'était moi le chef, la délocalisation, elle serait à Fleury-Mérogis (n.d.l.r.: une prison française)». Son pote Sarkozy, chantre d'un libéralisme pur et dur, appréciera.

Avec Doc Gynéco, autre «soutien» du ministre française de l'Intérieur, on navigue carrément dans des eaux surréalistes. Après avoir brocardé Sarkozy dans son livre Un homme nature - «Ils sont trop malins, les Sarkozy et sa race. Ils nous vendent du vent, des conneries» -, il lui tombe carrément dans les bras. Des petits ennuis fiscaux seraient à l'origine de ce revirement. Question: Doc Gynéco est-il la nouvelle Mireille Mathieu de la chanson française?

Bref, la confusion règne entre opportunisme et conviction. Entre récupération et sincérité. La chanson «engagée» - à gauche, souvent - a pourtant une longue histoire, ponctuée de rudes batailles. Il y a encore 26 ans, François Béranger, grande figure de la chanson libertaire aujourd'hui décédé, se voyait interdit de concert dans Annecy intra-muros.

La censure intervient

Avant lui, en pleine guerre d'Indochine, Mouloudji eu maille à partir avec la justice pour avoir chanté Le déserteur de Boris Vian. Dix ans plus tard, alors que ce titre est repris par Richard Anthony, Jean Ferrat en dénonce la récupération dans Pauvre Boris: «Si tu les vois sur leurs guitares/Ajuster tes petits couplets/Avec quinze années de retard/Ce que tu dois en rigoler».

Compagnon de route des communistes, l'auteur de Potemkine fut lui-même souvent censuré sur les ondes. Il en fit d'ailleurs une chanson: Quand on n'interdira plus mes chansons. Plus étonnant, Sardou connut le même sort pour avoir osé glorifier Les Ricains au moment où De Gaulle décidait de quitter l'OTAN.

On aurait tort de croire que la pression s'est relâchée. Dernièrement, la maison de disques de Joey Starr lui a fait comprendre qu'il devait renoncer à un titre. Une fois encore, Sarkozy en prenait pour son grade. Mauvais calcul. Times are changing, comme dirait Dylan: la chanson fait un carton sur le Net.

Renaud et Michel Sardou. Selon vous, lequel des deux dénonce les délocalisations sauvages ? Il y a un piège.

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