Tout d’abord, merci à Cooks de rappeler à notre mémoire (ou de faire découvrir pour certains) Le roman du Casino écrit par Renaud. Ce texte est effectivement un petit bijou d’écriture, rappelant les meilleures chroniques de Charlie Hebdo de la grande époque.
Au-delà du style, l’extrait qui suit a particulièrement retenu mon attention, car il permet de comprendre, en partie, pourquoi l’inspiration de Renaud est aujourd’hui en berne :
"Tu sais, chérie, j'ai décidé que j'en avais un peu marre de ne chanter que des chansons d'amour autobiographiques. Ça me limite vach'ment... Parler de mon couple, de ma môme, de ma meuf, de ma vie et de mon chien, c'est bien, mais faudrait que je puisse un peu délirer, explorer des sentiments que je n'éprouve pas forcément, raconter des situations que je n'ai pas vécues, tout ça... Ça m'ouvrirait d'autres horizons, au niveau de l'inspiration, j'entends..."
Eh oui, l’œuvre de Renaud est profondément ancrée dans la réalité, et pas seulement en ce qui concerne sa vie amoureuse ou familiale. Renaud n’écrit pas de chansons « intemporelles », il est un témoin de son temps, de son époque, de son environnement. La plupart de ses chansons font référence à l’actualité politique, médiatique, artistique du moment et pourraient t être sous-titrées « d’après une histoire vraie », « inspirée de faits réels », « toute ressemblance avec des personnes existantes est purement volontaire »
Donc, forcément, quand Renaud se retrouve se retrouve à plusieurs reprises, ses 20 dernières années, assis tout seul à une table de bistrot ou à la terrasse d’un café, ça ne lui ouvre pas vraiment de nouveaux horizons, au niveau de l’inspiration… Surtout lorsque, de son propre aveu, il ne tire aucun profit de sa solitude pour lire, aller au cinéma, s’intéresser à l’actualité…
Au mieux (ou au pire, selon les goûts) cela donnera « Mon bistrot préféré ». Mais on remarquera au passage que tous les artistes cités dans cette chanson sont morts. Idem plus récemment pour « Les mots ». Alors que pendant longtemps, Renaud truffait ses chansons de références à bon nombre de confrères bien vivants : Antoine, Dylan, Springsteen, Jagger, Capdevielle, Lavilliers, Le Foxterrier, Cabrel, Souchon, Bashung, Starshooter, Trust, Pink Floyd, Supertramp, Johnny… une des rares exceptions étant Mike Brant qui était déjà décédé quand Renaud a écrit La tire à dédé.
Vous me direz à juste titre (car je suis ouvert à la critique, mais pas trop quand même, allez-y mollo) que cela n’explique pas pourquoi son écriture s’est banalisée, a perdu de sa poésie au fil des années.
Ce à quoi je vous répondrai : oui et non. « Laisse béton », « Marche à l’ombre », « Ma gonzesse », « Morgane de toi », « C’est quand qu’on va où ? » sont des mots ou des expressions qui n’ont pas été inventées de toutes pièces par Renaud. Là encore, il les a entendus dans la rue ou dans la bouche de Lolita (pour la dernière). Tout son talent a été ensuite d’en faire des chansons. Aujourd’hui, je doute que la conversation des fans défilant pour faire un selfie avec l’idole soit très inspirante, côté vocabulaire…
D’éventuels dégâts neurologiques causés par l’alcool ou le tabac ne sont pas à exclure non plus.
Enfin, d’une manière générale, la plupart des artistes sont moins inspirés en fin de carrière qu’à leurs débuts, estimant à tort ou à raison avoir déjà tout dit. Il y a bien sûr des exceptions et parfois des sursauts de génie après plusieurs albums médiocres. Je considère par exemple le dernier Brel comme son meilleur. Mais les derniers Gainsbourg, par exemple…
Voilà, voilà. ce ne sont que des pistes de réflexion. Qui ne consoleront pas les inconsolables, bien évidemment. En ce qui me concerne, plutôt que de me lamenter sans arrêt sur l’inspiration envolée de mon poète préféré, je continue d’écouter les vieux albums dont je ne me lasse pas (Ma gonzesse, notamment, pour le plaisir musical sans cesse renouvelé qu’il procure à mes oreilles) et les quelques perles que l’on peut encore trouver sur ses albums les plus récents.