Bon, comme la saison cinématographique déjà chaotique semble devoir se mourir dans l'indifférence générale et ne renaîtra visiblement pas de ses cendres avant l'année prochaine, si toutefois elle renaît un jour totalement, je m'en viens faire mon bilan annuel, fort pauvre cette année, forcément…
Déjà, confinement oblige, j'ai vu deux fois moins de films au cinéma que les années précédentes, une cinquantaine au lieu d'une centaine ! Pire que tout, j'ai vu plus de reprises, de films de patrimoine (60%) que de nouveautés (40%) !
Si l'année avait super bien commencé, l'absence de films américains par la suite (même si j'en ai vu quatre ou cinq dans le genre "indé") s'est cruellement fait sentir (j'ai même ressenti un manque de
blockbusters... J'aurais tout donné pour voir un James Bond avec Daniel Craig cette année, c'est dire !), même si ça a laissé la place à plus de films français ou asiatiques, et, surtout, à plus de films de patrimoine, de reprises de vieux films. Je parle même pas de l'absence de Festival de Cannes et consorts...
Résultat des courses, si ça vous intéresse ou peut vous donner des idées, comme d'hab', une petite dizaine de nouveautés dignes d'intérêt tout de même…
Film de l'année :
Play de Anthony Marciano
Sorti le 1er janvier, ce film laissait augurer le meilleur pour l'année cinématographique 2020… avant qu'un truc bizarre vienne tout foutre en l'air.
Grande prouesse technique et visuelle,
Play est une comédie parfaitement réussie, et même émouvante, qui s'adresse en premier lieu à la génération qui s'apprête à entrer dans la quarantaine (l'âge, pas la mesure sanitaire, même si, du coup, c'est un peu la même chose aujourd'hui...
), celle qui est née aux alentours de 1980 et qui fut adolescente dans les années 90 avant d'entrer dans l'âge adulte au 21ème siècle (Moumou, Tord, si vous passez par ici...
). Même si le propos de fond reste universel, il faut assurément avoir vécu les années 80 et 90 pour goûter profondément la chose en se prenant une tonne de madeleines de Proust dans la gueule, tellement tout sonne juste, vrai, authentique. Le soin apporté au traitement de l'image (le protagoniste principal, Max, reçoit un caméscope pour ses 13 ans, en 1993, et il ne s'arrêtera plus de filmer sa vie, ses potes, son quotidien) pour rendre le grain d'un caméscope S-VHS ou Hi8, puis prendre en compte l'évolution de la qualité des images au fil des progrès du numérique, est époustouflant. De même, le soin apporté au choix des objets, des décors, des vêtements, des attitudes, des mots, des expressions... est absolument remarquable ! Et tout ça au service d'une comédie plus ou moins romantique au scénario bien ficelé, à la réalisation serrée, aux dialogues efficaces et magnifiquement interprétée par un casting parfait (déjà, je suis amoureux d'Alice Isaaz, alors forcément...), plusieurs acteurs d'âges différents ayant été drastiquement sélectionnés pour que les personnages soient crédibles dans leurs évolutions, du début de l'adolescence à l'âge adulte. (Ils ont aussi fait un truc hallucinant pour rendre crédible, au fil du temps, le physique des parents de Max, joués par Alain Chabat et Noémie Lvovsky). Bref, un
feel-good movie drôle et assez émouvant, qui te fait te retourner sur ton passé avec un brin de nostalgie mais sans amertume excessive. Une belle réussite. Film de l'année, donc, haut la main !
Et sinon, dans les
très bons films, je retiendrais :
Adolescentes de Sébastien Lifshitz
Sébastien Lifshitz a filmé pendant cinq ans deux adolescentes de Brive-la-Gaillarde, Anaïs et Emma, de leurs 13 ans à leurs 18 ans. Deux amies de collège issues de milieux différents. La première d'un milieu populaire défavorisé, la seconde de la classe moyenne voire "petite bourgeoise". A travers leurs évolutions et leurs trajectoires, et au-delà d'une chronique universelle sur cet âge de tous les possibles, à la fois ingrat, flou et euphorisant, le réalisateur fait aussi, l'air de pas y toucher, le portrait douloureux d'un pays, d'une société à la dérive, le constat accablant d'une époque peu réjouissante. Un travail subtil et touchant, étonnamment très cinématographique dans sa forme, non dénué d'humour et de poésie.
Les Filles du docteur March de Greta Gerwig
Greta Gerwig dépoussière, sans le dynamiter, l'univers des adaptations du roman de Louisa May Alcott. Montage extrêmement dynamique, à base de
flashback et de
flash-forward un temps désarçonnant, mais très vite compréhensible (au deuxième visionnage, le film est encore meilleur – oui parce que je suis allé le voir deux fois !), interprétation impeccable, surtout de la part de Saoirse Ronan, dans le rôle de Jo, et de Florence Pugh, qui, par sa prestation, permet de faire sentir la personnalité subtile et complexe d'Amy, réhabilitant ce personnage souvent mal aimé du roman. C'est enlevé, romanesque, beau, émouvant... Moderne, aussi, tant Greta Gerwig s'attache à faire ressortir le fond "féministe" de l'histoire, sans mettre de gros sabots et sans faire dans l'anachronisme.
Eva en août de Jonas Trueba
Eva (délicieuse Itsaso Arana, que je ne connaissais pas et qui co-signe le scénario du film avec Jonas Trueba), trentenaire madrilène, décide de passer ses vacances dans sa ville écrasée de chaleur, alors que tous ses amis et connaissances fuient la capitale espagnole durant cette période estivale. Elle veut avoir un regard neuf sur sa ville (et sur sa vie), le regard d'une touriste qui découvrirait Madrid. Pour ce faire, elle loue un appartement dans un quartier qu'elle ne connaît pas et se laisse porter par ses pas, ses envies, ses rencontres au jour le jour. Il y a un peu d'Eric Rohmer dans ce film très attachant, qui fait du bien par où il passe.
Jojo Rabbit de Taika Waititi
Sur le papier, le sujet avait l'air casse-gueule. Jojo, 10 ans, endoctriné depuis sa naissance dans les jeunesses hitlériennes, a un ami imaginaire qui l'aide à vivre et à prendre des décisions importantes : Adolf Hitler.
A l'écran, c'est une franche réussite. Après un premier quart d'heure où on ne sait pas trop sur quel pied danser, où on se demande si ce qu'on regarde est du lard ou du cochon, notre esprit reprend ses marques et se laisse happer par cet univers déglingué, de plus en plus profond et émouvant à mesure que le film avance. Le tout dans une enveloppe formelle très originale qui réinvente le genre. Les acteurs sont bons. Scarlett est chouette. Thomasin McKenzie a de l'avenir.
Adieu les cons de Albert Dupontel
Dupontel dans ses œuvres, comme on l'aime. C'est pas toujours très subtil, et moins hilarant que souvent, mais c'est efficace et toujours aussi intéressant cinématographiquement. Toujours du côté des déclassés, des laissés pour compte, des marginaux, toujours aussi mordant et lucide sur l'état de la société, Dupontel continue de dynamiser le cinéma français avec classe. Mention spéciale au toujours excellent et hilarant Nicolas Marié !
Les Choses qu'on dit, les choses qu'on fait de Emmanuel Mouret
Maintenant qu'il ne joue plus dans ses films et qu'il se concentre sur sa réalisation et sa direction d'acteurs, Emmanuel Mouret, depuis l'excellent
Mademoiselle de Joncquières il y a deux ans, maîtrise désormais parfaitement son sujet, qui perd en spontanéité (maladresse touchante) ce qu'il gagne en professionnalisme. Toujours entre Rohmer et Woody Allen, sans avoir la classe ni de l'un ni de l'autre, il continue de faire entendre sa petite musique personnelle, d'imposer son univers, que j'aime beaucoup, décortiquant les liens de l'amour et de l'amitié, l'alchimie complexe des relations homme/femme. Le scénario est plein de rebondissements et les acteurs sont tous très biens. J'ai été agréablement surpris par Camélia Jordana, que je n'avais jamais vue jouer. Emilie Dequenne est toujours impeccable dans un rôle très touchant. Et je suis tombé sous le charme de Jenna Thiam, que je ne connaissais pas, mais à la carrière de laquelle je vais désormais m'intéresser...
Dans un jardin qu'on dirait éternel de Tatsushi Omori
Un film zen au titre français magnifique, adapté d'un livre de Noriki Morishita au titre français moins poétique mais plus parlant :
La Cérémonie du thé : ou comment j'ai appris à vivre le moment présent. Tout est dit. Film lent, parfois contemplatif, mais jamais ennuyeux (enfin, en ce qui me concerne... J'en connais qui s'y sont quand même un peu ennuyé...
), irradié par la beauté de ses interprètes, les jeunes Haru Kuroki et Mikako Tabe, et la toujours excellente Kirin Kiki, en maître de cérémonie. C'est d'ailleurs le dernier film de Kirin Kiki, connue en France pour les nombreux films qu'elle a tournés avec Hirokazu Kore-eda et pour son rôle dans le film à succès
Les Délices de Tokyo, et qui s'est éteinte juste après le tournage de ce
Jardin, à l'âge de 75 ans. Une très belle sortie de scène, du coup, et un film qui fait du bien.
Les Parfums de Grégory Magne
Un film bizarrement très sous-estimé, qui fonctionne pourtant parfaitement bien, avec un excellent duo d'acteurs, Emmanuelle Devos et Grégory Montel, l'une dans le rôle d'un nez, l'autre dans le rôle d'un chauffeur. Le drame point sous la comédie, le film social point sous le divertissement, et le film garde l'équilibre tout du long sans jamais ennuyer le spectateur, abordant avec légèreté et simplicité des thématiques plus profondes qu'il n'y paraît. Pourquoi bouder son plaisir ?
Côté actrices, j'ai encore eu droit à quelques belles découvertes cette année :
Anaïs et Emma (Adolescentes), Eliza Scanien (Les Filles du docteur March), Itsaso Arana, Isabelle Stoffel (Eva en août), Thomasin McKenzie (Jojo Rabbit), Marilou Assiloux (Adieu les cons), Camélia Jordana, Jenna Thiam (Les Choses qu'on dit…), Kuroki Haru, Tabe Mikako (Dans un jardin…), Jeon Do-yeon, Shin Hyun-bin (Lucky Strike) Tanimoto Mahiro, Fujimaki Miki (Family Rommance, LLC), Ichikawa Mikako, Tsutsui Mariko (L'Infirmière), Lihi Kornowski (Né à Jérusalem (et toujours vivant)), Gina Rodriguez (Kajillionaire), Annamaria Vartolomei, Marie Zabukovec, Marine Berlanger, Pauline Briand (La Bonne épouse)
Et toujours le plaisir d'en retrouver certaines :
Alice Isaaz (Play), Noémie Lvovsky (Play et La Bonne épouse), Saoirse Ronan, Emma Watson, Florence Pugh (Les Filles du docteur March), Virginie Effira (Adieu les cons), Emilie Dequenne (Les Choses qu'on dit…), Scarlett Johansson (Jojo Rabbit), Kirin Kiki (Dans un jardin…), Emmanuelle Devos (Les Parfums), Vanessa Kirby (L'Ombre de Staline), Evan Rachel Wood (Kajillionaire), Golshifteh Farahani (Un divan à Tunis), Juliette Binoche, Yolande Moreau (La Bonne épouse), Judith Godrèche (The Climb), Kim Min-hee, Song Seon-mi (Hotel by the River)
Parmi la trentaine de
reprises que je suis allé voir, je suis content d'avoir découvert ces films :
The Old Dark House (1932) de James Whale
Guendalina (1957) de Alberto Lattuada
Les Adolescentes (1960) de Alberto Lattuada
Dernier caprice (1961) de Yasujirô Ozu
The Hit (1984) de Stephen Frears
Pluie noire (1989) de Shôhei Imamura
Et dans la rétrospective nationale consacrée au "Forbidden Hollywood", les films de l'ère pré-code dont j'avais causé tantôt, je retiendrais surtout ces trois titres :
Night Nurse (L'Ange blanc) (1931) de William A. Wellman
La Belle de Saïgon (1932) de Victor Fleming
Baby Face (Liliane) (1933) de Alfred E. Green
Enfin, ce fut toujours un grand plaisir d'aller revoir certains de mes films préférés :
L'Aventure de Mme Muir (1947) de Joseph L. Mankiewicz
Les Trois jours du Condor (1975) de Sydney Pollack
Blade Runner (1982) de Ridley Scott
Chambre avec vue (1985) de James Ivory
Mississippi Burning (1988) de Alan Parker