Y a des métiers qui s'perdent
Qui tombent vite dans l'oubli
Moi, j'étais vacataire
À la ville de Paris
Où le titre officiel
De mon modeste office
Était "Éxécuteur
Des Arrêts de Justice"
En fait j'étais bourreau
Pourtant j'suis pas méchant
J'faisais que mon boulot
L'client était content
Dans l'huîs clos en silence
À l'instant solennel
J'appliquais la sentence
En bon professionnel
Précis et sans appel
Consciencieux de ma charge
J'entret'nais l'matériel
Affûtage et graissage
J'moccupais du coup'ret
Le coeur à la besogne
Même lorsqu'on m'imposait
Les cadences les plus folles
J'suis fier du savoir-faire
Que m'a légué mon père
Qui avait été naguère
Assistant de Débleir
L'époque était épique
On se pressait pour voir
L'éxécution publique
De quelque vieil anar
Place de la République
Les badauds appuyés
Aux barrières métalliques
Insultaient l'condamné
Sans passion mon pater
Préparait son affaire
Afin de satisfaire
La vindicte populaire
L'a eu son heure de gloire
Et même quelques articles
Dans les journaux du soir
Commentaires et critiques
"Deux têtes à la minute
C'est un nouveau record"
Deux têtes que l'on ampute
Proprement de leur corps
Mes ancêtres déjà
Du temps d'la royauté
S'occupaient du trépas
Que le juge réclamait
De potences en gibets
D'piloris en billots
Sur les places des marchés
S'exerçaient les bourreaux
Variant les châtiments
Du simple coup d'bâton
Jusqu'à l'écartèlement
Ou bien la pendaison
À la Révolution
Z'ont trouvé l'occasion
D'traverser sans histoires
Les troubles de l'Histoire
Sacrifiant à la mode
Mes aïeux unanimes
Modifièrent leur méthode
S'mirent à la guillotine
En ces temps d'abbatage
Elle était si pratique
Qu'on en fit un usage
Quasi-systématique
Dépité, l'condamné
À la peine capitale
S'faisait décapiter
Au coeur d'la capitale
Sans la moindre malice
Sans remords, ni remous
Le glaive de la justice
S'abattait sur son cou
Aujourd'hui c'est fini
Je trouve ça bien dommage
Ma peine est abolie
J'me retrouve au chômage
Infortune et misère
D'puis la fin d'ma carrière
J'ai la rancune amère
Pour Robert Badinter
Mais quand je parle parfois
Du temps béni d'antan
Des sanglots dans ma voix
Me trahissent souvent
Et Je pleure sur mon sort
Je pars à la dérive
Car sans la peine de mort
ça m'fait d'la peine de vivre...
La mort du métier
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