Et le reste est littérature...
Modérateur : modérateurs
Re: Et le reste est littérature...
Bon.
Ben ma psychanalyste est morte.
Un petit papelard sur la porte, "Contact concernant Mme S. 06........".
Dès la lecture, mon bras qui fond sur mon téléphone, plein d'une colère indéfinissable, comme prêt à en découdre, pour en finir, pour pousser une putain de gueulante, vas-y, balance ta nouvelle de merde, je t'attends.
Parce que je le savais.
Je le savais depuis le 5 septembre où elle n'avait pas répondu quand j'avais sonné, pour la "rentrée". Je le savais encore plus à chacun des deux messages que j'ai laissés.
Et je le savais chaque jour davantage, à en plaisanter, pour exorciser, pour avaler cette pilule d'angoisse un peu absurde, "merde, après tout on se connaît pas".
Ça faisait plus de 5 ans qu'on ne se connaissait pas, à croiser nos regards juste le temps de se dire bonsoir, je m'allongeais, puis, le temps écoulé, je sortais les deux billets, un de 20, un de 10, que je posais avec application, successivement et sur son bureau, comme pour bien montrer que le compte était bon, comme un bon élève.
Plus de 5 ans, une à deux fois par semaine, selon les semaines, lundi ou lundi et jeudi, à 19H.
A m'astreindre à cette incongruité absolue, s'allonger une demi-heure durant à fixer un plafond neutre et les motifs absurdes d'une tapisserie hors du temps, et se laisser aller à dire tout et son contraire à un tout petit bout de vieille dame aux oreilles patientes, et au ventre parfois gargouillant.
J'ai perdu quelques personnes, dernièrement. Un mauvais concours de circonstances. J'ai rempli plusieurs séances à m'agacer de ne jamais parvenir à ressentir cette douleur que je savais présente jusqu'à devenir obsession, dans mes rêves. Mme S. est morte, et j'ai envie de chialer. Là. Pour cette quasi-mémé d'un mètre et quelques poussières, toute voûtée.
Et que je connaissais même pas.
Lors de l'une de nos dernières séances, oui peut-être bien l'avant-dernière, au sujet de ma défunte tante, une professeur austère et érudite, que j'ai aimée autant que je l'ai crainte, que j'ai mis un point d'honneur a tenter de contredire stupidement des années durant, mais qui, j'avais fini par l'admettre, avait toujours été ma principale référence, j'avais dit: "C'est bizarre... Je me sens comme si j'étais seul à la barre, maintenant...".
Mme S. avait laissé flotter l'instant, puis murmuré avec une voix que j'ai toujours cru entendre sourire : "Bien, on va s'arrêter là pour aujourd'hui, mmh ?"
On va s'arrêter là, oui.
Mais c'est bizarre.
Je me sens vraiment comme si j'étais seul à la barre maintenant...
Ben ma psychanalyste est morte.
Un petit papelard sur la porte, "Contact concernant Mme S. 06........".
Dès la lecture, mon bras qui fond sur mon téléphone, plein d'une colère indéfinissable, comme prêt à en découdre, pour en finir, pour pousser une putain de gueulante, vas-y, balance ta nouvelle de merde, je t'attends.
Parce que je le savais.
Je le savais depuis le 5 septembre où elle n'avait pas répondu quand j'avais sonné, pour la "rentrée". Je le savais encore plus à chacun des deux messages que j'ai laissés.
Et je le savais chaque jour davantage, à en plaisanter, pour exorciser, pour avaler cette pilule d'angoisse un peu absurde, "merde, après tout on se connaît pas".
Ça faisait plus de 5 ans qu'on ne se connaissait pas, à croiser nos regards juste le temps de se dire bonsoir, je m'allongeais, puis, le temps écoulé, je sortais les deux billets, un de 20, un de 10, que je posais avec application, successivement et sur son bureau, comme pour bien montrer que le compte était bon, comme un bon élève.
Plus de 5 ans, une à deux fois par semaine, selon les semaines, lundi ou lundi et jeudi, à 19H.
A m'astreindre à cette incongruité absolue, s'allonger une demi-heure durant à fixer un plafond neutre et les motifs absurdes d'une tapisserie hors du temps, et se laisser aller à dire tout et son contraire à un tout petit bout de vieille dame aux oreilles patientes, et au ventre parfois gargouillant.
J'ai perdu quelques personnes, dernièrement. Un mauvais concours de circonstances. J'ai rempli plusieurs séances à m'agacer de ne jamais parvenir à ressentir cette douleur que je savais présente jusqu'à devenir obsession, dans mes rêves. Mme S. est morte, et j'ai envie de chialer. Là. Pour cette quasi-mémé d'un mètre et quelques poussières, toute voûtée.
Et que je connaissais même pas.
Lors de l'une de nos dernières séances, oui peut-être bien l'avant-dernière, au sujet de ma défunte tante, une professeur austère et érudite, que j'ai aimée autant que je l'ai crainte, que j'ai mis un point d'honneur a tenter de contredire stupidement des années durant, mais qui, j'avais fini par l'admettre, avait toujours été ma principale référence, j'avais dit: "C'est bizarre... Je me sens comme si j'étais seul à la barre, maintenant...".
Mme S. avait laissé flotter l'instant, puis murmuré avec une voix que j'ai toujours cru entendre sourire : "Bien, on va s'arrêter là pour aujourd'hui, mmh ?"
On va s'arrêter là, oui.
Mais c'est bizarre.
Je me sens vraiment comme si j'étais seul à la barre maintenant...
Re: Et le reste est littérature...
seul a la barre .....
C'est curieux, chez les marins, ce besoin de faire des phrases…
Non, franchement, c'est très bien écris et très émouvant ....
C'est curieux, chez les marins, ce besoin de faire des phrases…
Non, franchement, c'est très bien écris et très émouvant ....
E kreiz an avel, atao!
Re: Et le reste est littérature...
Oui... et ça fait plaisir, même dans ces circonstances, de relire Aidos...
"La seule différence entre un fou et moi, c'est que moi, je ne suis pas fou".
Re: Et le reste est littérature...
Voilà ça c'est le genre de phrase quand tu la lit chez quelqu'un d'autre tu te dit "fait chier, celle là j'aurais aimé l'écrire".Aïdos a écrit : Ça faisait plus de 5 ans qu'on ne se connaissait pas, à croiser nos regards juste le temps de se dire bonsoir,
La première décision vient du coeur et l'intelligence, dont nous sommes tous dépositaire, doit faire ce que notre coeur décide.
La normalité n'est pas le summum de ce qui peut s'atteindre.
Anne-Claire Damaggio
La normalité n'est pas le summum de ce qui peut s'atteindre.
Anne-Claire Damaggio
- Blaise Poulossière
- Messages : 3878
- Enregistré le : 12 juin 2006, 14:01
- Localisation : Meyzin-Peutard (Jura)
Re: Et le reste est littérature...
Content de te relire Aidos, prend soin de toi, je peux rien dire de plus !
Re: Et le reste est littérature...
Merci, vous êtes chics.
- Sophie du moulin
- Messages : 6024
- Enregistré le : 22 sept. 2013, 13:26
- Localisation : oise
Re: Et le reste est littérature...
Ton texte m'a fait sourire. Tu sais ce sourire qui vient tout seul quand quelqu'un refait jaillir des souvenirs dont tu ignorais même qu'ils étaient là.
J'ai parfois la vie qui me pique les yeux mais je n'envie pas ceux qui gardent les yeux secs....
- Blaise Poulossière
- Messages : 3878
- Enregistré le : 12 juin 2006, 14:01
- Localisation : Meyzin-Peutard (Jura)
Re: Et le reste est littérature...
Pas lu un Cendrars depuis au moins 20 ans, là je me replonge dans "La main coupée", souvenirs de la Grande Guerre d' un poète poilu de pas 30 ans. C' est du bien ficelé pour le rythme, du comme on cause tout en étant précis, sans être précieux, mais avec le mot juste, et ce qu' il faut de gouaille pour être à la fois populaire et élégant. Du raffinement dans la boue des tranchées. Les souvenirs d' un écrivain caporal plein d' attachement pour ses compagnons d' infortune mal dégrossis certes, mais digne d' affection.
- Sophie du moulin
- Messages : 6024
- Enregistré le : 22 sept. 2013, 13:26
- Localisation : oise
Re: Et le reste est littérature...
Un tout petit texte que j'ai écrit pour les 15 ans de ma fille et que j'avais envie de partager sur ce forum, alors comme je ne savais pas où le mettre, je me suis dit qu'ici, ça irait
Aujourd'hui , tu as 15 ans. Que ces 15 années sont vite passées! Je te proposerais bien de m'asseoir sur un banc cinq minutes avec toi pour te faire écouter ou te fredonner les chansons que j'écoutais quand j'avais 15 ans mais je suis convaincue que tu dirais que c'est de la merde. T'aurais p't'être bien raison mais j'srais vexée quand même. J'ai encore en mémoire ta bouille des premiers jours et j'ai du mal à croire que maintenant j'peux plus te tenir dans mes bras sans m'démettre une épaule, sans plier sous ton poids. J'aimerais te dire : "déploies jamais tes ailes , t'envole pas! " et que la liberté tu vois, c'est pas sans danger, c'est pour ça qu'elle court pas les rues et les toits mais je sais aussi que tu as grandi avec tellement d'amour de ton père et moi-même que je n'ai pas à me faire de soucis, tu sauras te servir d'une perceuse, allumer un feu et écrire des mots rebelles à faire tomber tous les murs pis peut être même que ton amoureux je l'aimerai (j'en suis certaine d'ailleurs) parce qu'il s'ra dernier en gym, prem' en rédac et je ne pense pas que ton père foutra l'feu à sa mob garée en bas, mais laisse nous encore un peu de temps et viens sauter dans les flaques, bousiller nos godasses et s'marrer.
Aujourd'hui , tu as 15 ans. Que ces 15 années sont vite passées! Je te proposerais bien de m'asseoir sur un banc cinq minutes avec toi pour te faire écouter ou te fredonner les chansons que j'écoutais quand j'avais 15 ans mais je suis convaincue que tu dirais que c'est de la merde. T'aurais p't'être bien raison mais j'srais vexée quand même. J'ai encore en mémoire ta bouille des premiers jours et j'ai du mal à croire que maintenant j'peux plus te tenir dans mes bras sans m'démettre une épaule, sans plier sous ton poids. J'aimerais te dire : "déploies jamais tes ailes , t'envole pas! " et que la liberté tu vois, c'est pas sans danger, c'est pour ça qu'elle court pas les rues et les toits mais je sais aussi que tu as grandi avec tellement d'amour de ton père et moi-même que je n'ai pas à me faire de soucis, tu sauras te servir d'une perceuse, allumer un feu et écrire des mots rebelles à faire tomber tous les murs pis peut être même que ton amoureux je l'aimerai (j'en suis certaine d'ailleurs) parce qu'il s'ra dernier en gym, prem' en rédac et je ne pense pas que ton père foutra l'feu à sa mob garée en bas, mais laisse nous encore un peu de temps et viens sauter dans les flaques, bousiller nos godasses et s'marrer.
J'ai parfois la vie qui me pique les yeux mais je n'envie pas ceux qui gardent les yeux secs....
Re: Et le reste est littérature...
Heu....BRAVOS et bon anniversaiere à ta fille!
Mais tu ne t'es pas inspirée d'une chanson d'un chantiste ?
Mais tu ne t'es pas inspirée d'une chanson d'un chantiste ?
Re: Et le reste est littérature...
Joli texte...touchant.
Joyeux anniversaire à ta grande fille!
Joyeux anniversaire à ta grande fille!
"La seule différence entre un fou et moi, c'est que moi, je ne suis pas fou".
Re: Et le reste est littérature...
Un bon anniversaire à ta fille.
Avec quelques notes de musique (même si les paroles ne parlent pas d'une fille de 15 ans mais d'une personne qui aimerait revoir le monde avec les yeux d'une fille de 15 ans).
Ce titre qui a trente ans maintenant, m'a toujours ému :
Avec quelques notes de musique (même si les paroles ne parlent pas d'une fille de 15 ans mais d'une personne qui aimerait revoir le monde avec les yeux d'une fille de 15 ans).
Ce titre qui a trente ans maintenant, m'a toujours ému :
Re: Et le reste est littérature...
Bon anniversaire à ta fille Sophie, et merci à Jeep pour cette zique et sa jolie illustration de cette rose qui perle sur ses feuilles.
La seule église qui illumine est celle qui brûle !
- Sophie du moulin
- Messages : 6024
- Enregistré le : 22 sept. 2013, 13:26
- Localisation : oise
Re: Et le reste est littérature...
Merci à tous pour elle. J'écouterai la musique quand j'aurai un moment tranquille.
J'ai parfois la vie qui me pique les yeux mais je n'envie pas ceux qui gardent les yeux secs....
- adieu minette
- Messages : 3842
- Enregistré le : 02 févr. 2016, 06:30
- Localisation : Au coeur de la Bretagne.
Re: Et le reste est littérature...
Très joli texte, c'est touchant.
Dis-moi, Sophie on est 7 milliards, la terre est arrivée à saturation, nos enfants (et nous un peu) on va vivre le réchauffement climatique en partie irréversible, la pollution, les centrales nucléaires qui vont lâcher, la fin des ressources énergétiques...Tous ces cataclysmes, les guerres et les tensions qui en découleront, la modification en profondeur des sociétés et des rapports humains.
Tu a choisis d'avoir une famille nombreuse c'est tout à fait louable. On leur offre la vie, mais quelle vie ? Tu n'as jamais été angoissée par le futur que connaîtront tes enfants ?
Dis-moi, Sophie on est 7 milliards, la terre est arrivée à saturation, nos enfants (et nous un peu) on va vivre le réchauffement climatique en partie irréversible, la pollution, les centrales nucléaires qui vont lâcher, la fin des ressources énergétiques...Tous ces cataclysmes, les guerres et les tensions qui en découleront, la modification en profondeur des sociétés et des rapports humains.
Tu a choisis d'avoir une famille nombreuse c'est tout à fait louable. On leur offre la vie, mais quelle vie ? Tu n'as jamais été angoissée par le futur que connaîtront tes enfants ?
Soutien au peuple afghan et aux ukrainiens.