Saint Maïeul a écrit :Sur le programme de Bobino, Le Zonard Déchainé, Renaud indique : "auteur par plaisir, compositeur par nécessité, interprète par provocation".
J'aime beaucoup. Et je trouve ça très juste.
Mais nécessité ne veut pas dit quantité négligeable, pour moi.
Saint Maïeul a écrit :Reste que si y'a eu quelques écrits sur les paroles des chansons, y'a bien peu eu d'écrits sur la musique des chansons de Renaud.
Exact.
Je reviendrai sur vos commentaires et sur Renaud plus tard, parce que je voudrais d'abord répondre à Myr et à Lucien, histoire de mieux situer le contexte et le "mouvement" informe dans lequel s'inscrit Renaud à ses débuts tel que je l'ai brossé (mais vous pouvez ne pas être d'accord avec moi, bien évidemment)
Myr a écrit :Et sinon Charlie, pourquoi t'as pas mis Balavoine et Goldman ? c'est parce qu'ils sont arrivés quelques années après ?
La période dont je parle, celle de la "nouvelle chanson française" et de la "chanson rock", et dans laquelle s'inscrit pile-poil Renaud, c'est en gros les années 1975-1982 (les années Polydor de Renaud). Soit juste après la première crise pétrolière (1973), qui met fin à la parenthèse enchantée des années 60. 1975, c'est aussi l'année où Jean-Louis Foulquier débarque sur France Inter avec son émission "Studio de nuit", qui va être une vraie caisse de résonnance pour cette "nouvelle chanson française" (c'est d'ailleurs lui qui créé cette expression, qui donne ce nom à ce "mouvement"). C'est le retour à la chanson poétique des années 50, en gros, mais avec un son et une musique qui tiennent compte de la révolution musicale anglo-américaine des années 60 et 70. Et cette période se termine avec l'avènement des radios FM commerciales et la déferlante du clip vidéo.
Goldman, oui, clairement, il arrive après ce courant (ou à la toute fin), même s'il a commencé bien avant, avec Taï Phong, par exemple. Mais Taï Phong ne faisait pas vraiment dans la chanson française. En revanche, même en tant que pur groupe de rock, j'inclurais volontiers Téléphone dans ce courant. Parce qu'ils accordent une place basique mais non négligeable à une certaine poésie des paroles (en français, ce qui est primordial).
Balavoine, il entre dans la période, mais j'ai du mal à le classer dans ce courant (et pas seulement parce que je n'ai jamais pu supporter Balavoine, hermétique à sa musique (et à sa voix), que je suis
). Balavoine, je le trouve un peu en marge de ce courant, dans le sillage de Michel Berger, par exemple, qui l'a d'ailleurs fait éclater avec
Starmania. C'est à dire dans un style musical flirtant trop avec une certaine tendance de la chanson dite "variété", à mes oreilles (même si ça veut trop rien dire), en gros. Quoique… Allez, va pour Berger et Balavoine, si tu veux…
Cela dit, si ce n'est le fait que j'ai toujours eu du mal avec Michel Berger ou Daniel Balavoine, je ne dénigre pas la chanson de "variété", qui chemine tout au long des années 70 aux côtés de la chanson plus "à texte" ou plus "poétique". Et j'aime beaucoup certaines chansons d'artistes comme Michel Delpech, Michel Fugain, Michel Sardou (si, si, même Sardou !...
...J'en ai fini avec les Michel), Julien Clerc, Serge Lama, Gérard Lenorman ou Daniel Guichard, dont je trouve souvent les paroles dignes d'intérêt, de même que les musiques et l'interprétation. Mais bon, ils ne rentrent pas dans les cases du mouvement…
lucien a écrit :Pour rester dans la liste de Charlie, j'ai encore du mal à pouvoir comparer la musique d'un Bashung, d'un Thiéfaine, d'un Lavilliers...avec celle de Renaud.
Et c'est bien normal.
On pourrait d'ailleurs faire des familles, dans ce mouvement hétérogène mais quand même très homogène, comme je le disais.
Le point commun, c'est qu'ils sont jeunes et qu'ils écrivent de la chanson "poétique" (il reviennent à une nouvelle forme de chanson française dite "poétique", délaissée par la jeunesse des années 60 et du début des années 70) qu'ils inscrivent dans une forme musicale d'influence pop, rock ou folk anglo-américaine.
- Y'aurait par exemple une famille Souchon/Voulzy-Michel Jonasz-William Sheller, qui joue avec les mots pour qu'ils se fondent dans la composition, qu'ils en fassent partie, qu'ils épousent parfaitement la forme d'une composition plus pop que rock, souvent très sophistiquée, qui s'étire vers d'autres rivages… des rivages précieux et éthérés chez Souchon/Voulzy, plus jazzy et funky chez Michel Jonasz, plus musique classique ou amalgame très personnel et très original chez William Sheller. Je rapprocherais aussi volontiers Véronique Sanson de ce courant musical. Sauf pour les paroles, qui sont beaucoup plus explicites chez Sanson que chez les autres. Souchon déstructure la langue pour en faire un truc rien qu'à lui, Jonasz est plus "cosmique" et Sheller plus obscur. Sheller est de loin celui qui laisse le plus de place à l'imagination dans ses textes.
- Une famille Higelin-Lavilliers-Béranger-Thiéfaine-Bashung, musicalement plus rock (et plus recherchée que celle de Renaud, effectivement). Avec des textes là aussi très poétiques, qui oscillent entre le réalisme (surtout chez Lavilliers et Béranger) et le surréalisme (surtout chez les trois autres, Higelin-Thiéfaine-Bashung, parfois carrément barrés).
- Une famille Yves Simon-Philippe Chatel-Nicolas Peyrac-Le Forestier (même si ce dernier a percé avant 75, comme Berger et Sanson), plus folk, parfois folk-rock, aux sonorités plus acoustiques (mais pas toujours).
- Une famille Renaud-Cabrel-Capdevielle, plus basiquement pop-rock, plus classic rock, mâtiné de folk. Cabrel pourrait aussi aller dans la famille du dessus, cela dit (d'ailleurs, aucune membrane musicale n'est totalement imperméable, dans toutes ces "familles").
- Une famille CharlElie Couture-Louis Chedid, plus étrange, moins cernable, voire moins accessible, qui a connue moins de succès populaire, mais un beau succès critique. Faudrait y rajouter le frère de CharlElie : Tom Novembre.
- Un électron libre inclassable : Gérard Manset.
J'ajouterais aussi volontiers à tout ça :
- Une famille moins inspirée par la musique anglo-saxonne et plus par une musique européenne surannée des siècles précédents, mais dont la qualité de chanson poétique ne fait guère de doute : un truc genre Yves Duteil-Marie-Paule Belle-Angelo Branduardi.
- Ainsi qu'un autre électron inclassable, qui s'est volontairement mis en marge dans un registre de pure déconne non dénuée de poésie : le Richard Gotainer cher à Blaise Poulossière.
- Et même une veine carrément blues avec Paul Personne ou Bill Deraime (que je connais très peu, cela dit)…
Bref, c'est une belle époque de la chanson française, dans l'ensemble, je trouve.