2. La néologie de forme.

Les manipulations sur la forme des mots sont nombreuses. Il faut penser tout d’abord à la troncation, la suffixation et les formes préfixées qui sont les manipulations les plus utilisées, puis viennent les argots à clef tels que le verlan et le largonji et le redoublement.

2.1. La troncation.

Il faut tout d’abord différencier trois types de troncation :

a) L’aphérèse qui se manifeste par la disparition de la syllabe initiale

b) La syncope qui se caractérise par la suppression d’une lettre ou d’une syllabe à l’intérieur d’un mot

c) L’apocope qui se traduit par la chute d’un phonème ou d’une syllabe initiale.

Il est à remarquer que le premier type de troncation est beaucoup plus cryptique que le deuxième et le troisième parce que c’est dans la première syllabe qu’il y a le plus d’informations sémantiques.

2.1.1. L’aphérèse

Après avoir analysé les mots utilisés dans les chansons de Renaud, il est possible de trouver seulement six mots aphérèsés : ‘achement (<vachement), ’reus’ment (<heureusement), ‘vec (<avec), bougnat (<charbougnat) ‘marchand de vins et charbon’,’heur (<bonheur), gnon (oignon). On peut facilement dire que Renaud ne veut pas cacher la signification des mots dans ses chansons. En effet, on a déjà mentionné, que l’aphérèse a un but cryptique et le fait que Renaud ne s’en serve presque pas montre qu’il ne veut pas faire de ses chansons des textes incompréhensibles.

2.1.2. La syncope

Ce procédé est utilisé par des chanteurs et il est très distinct à l’oral.

Des exemples pris des chansons de Renaud :

j’m’fous (<je m’en fous), j’ui dis (< je lui dis), c’te (<cette), p’t’être (<peut-être), çui (<celui), pi (<puis), pauv’mecs (<pauvres mecs)

2.1.3. L’apocope

Ce procédé est très utilisé dans le langage moderne. Renaud nous donne aussi des exemples de ce type :

Libé (<liberté), sympa (<sympathique), sécu (<la sécurité), trichlo (<trichloréthylène) ‘ utilisé comme drogue, en particulier par des jeunes de banlieue’, pote (< poteau) ‘copain’, pédé (<pédéraste), pub (<publicité), fric (<fricot) ‘argent’, démago (<démagogue), Santiag (<santiag os) ‘bottes mexicaines’, mat’ (<matin), para (<parachutiste), anar (<anarchiste), hétéro (<hétérosexuel), fortif (<fortification), parano (<paranoïaque), Nouvel Obs’ (<Nouvel Observateur) ‘hebdomadaire de gauche’, d’ac (<d’accord), collabo (<collaborateur).

2.2. La suffixation.

Selon Le Petit Robert la suffixation c’est la dérivation par suffixe et le suffixe est un élément de formation placé après une racine, un radicale, un thème pour former un dérivé.

Albert Dauzat dans un article dit d’ailleurs que : bien souvent, l’argot se sert des suffixes pour altérer la forme des mots sans en changer le sens comme le fait la langue générale pour la formation des dérivés.

2.2.1. La suffixation seule

C’est donc la transformation qui consiste à ajouter un suffixe à un mot donné et c’est ce qu’appelle D. François-Geiger « la suffixation parasitaire ».

C’est le cas pour les mots suivants : bidasse, conasse, culasse, poufiasse, blondasse, trouillard, tocard, soiffard, peinard, craignos, tranquillos, gauchos, partouze, barbouze, boniche, colbac, flicaille, amouracher, baloche.

2.2.1.1. Des noms

bidasse – (<bide) ‘soldat, militaire’

Par exemple dans la chanson « Adieu minette » :

Ça fait trois semaines que je suis bidasse.

l’armée c’t’une grande famille.

connasse (<con) ‘imbécile, nul’

par exemple dans la chanson « Dans mon HLM » :

Au troisième, dans mon HLM,

Y’a l’espèce de connasse,

Celle qui bosse dans la pub’

culasse - (<cul) ‘fessier’

pouffiasse- (< de l’onomatopée pouf) ‘ prostituée de bas étage’

par exemple dans la chanson « Marche à l’ombre » :

Reluque la tronche à la pouffiasse,

Vise la culasse et les nibards !

blondasse (<blonde) ‘d’un vilain blond ‘

par exemple dans la chanson « Marche à l’ombre » :

Je peux pas saquer les starlettes

Ni les blondasses.

 

soiffard – (<soiffer) qui boit beaucoup et avec plaisir’

par exemple dans la chanson « Docteur Renaud, Mister Renard » :

Renaud est un sacré soiffard.

 

partouze - (<partie) ‘séance collective de relations sexuelles’

par exemple dans la chanson «La boum» :

Des filles y’en avait que douze pour quatre-vingt poilus,

On fait mieux comme partouze.

barbouze – (<barbe) ’membre d’un service d’espionnage’

par exemple dans la chanson « Dans mon HLM » :

Au rez-de-chaussée, ans mon HLM,

Y’a une espèce de barbouze qui surveille les entrées,

 

boniche – (<bon) ‘femme de ménage, bonne à tout faire’

par exemple dans la chanson « Près des autos tamponneuses » :

Elle était boniche la Pépette

Et c’était son métier

colbac- (<col)cou’

par exemple dans la chanson  « Marche à l’ombre » :

Avant qu’elle ait bu son cognac,

Je l’ai chopée par le colbac,

flicaille –(<flic) police’,

par exemple dans la chanson « C’est mon dernier bal » :

on s’est plus bastonné avec de la flicaille

ou des garçons bouchers

 

baloche – (<bal) ‘bal de banlieue’

par exemple dans la chanson « C’est mon dernier bal » :

J’ai dit à mes copains :

Y’a un baloche à Sarcelles,

 

2.2.1.2. Des adjectifs :

 

trouillard –(<trouille) ‘peureux’

par exemple dans la chanson « Marchand de cailloux » :

Si tu t’ sers de moi, trouillard

Pour chanter tes conn’ries.

 

tocard – (<toc) ‘laid, mauvais’

par exemple dans la chanson « Le gringalet »

C’était pas un tocard,

Un ringard,

Un traîne boul’vard,

peinard –(<peine) ‘tranquille’

par exemple dans la chanson « Docteur Renaud, Mister Renard » :

Renard se les roule, peinard

Pour s’exploser le ciboulot.

 

C’est un suffixe très utilisé, mais un peu dépassé. Il « redonne une nouvelle jeunesse à des mots trop usés »

craignos – (<craindre) ‘mauvais’

tranquillos –(<tranquille)tranquillement’

par exemple dans la chanson « Déserteur »

T’as plus qu’à pas t’en faire

Et construire tranquillos

Tes centrales nucléaires

Tes sous-marins craignos

gauchos-(<gauchiste) ‘gauchiste’

Par exemple dans la chanson « Oừ c’est qu’j’ai mis mon flingue ? »

par les gauchos,

tous ces pauv’mecs endoctrinés.

 

2.2.1.3. Des verbes :

amouracher –(<amour) ‘tomber amoureux’

par exemple dans la chanson « Gueule d’ amniche »

L’aurait mieux fait d’la maquer

su’l’trottoir pour trois cents balles,

plutôt que de s’amouracher de cette salope en cavale.

 

2.2.2. La re suffixation

Il est à signaler que la troncation suivie d’une suffixation est très courante dans le langage argotique. Ce procédé est appelé « suffixation de substitution » par D.François-Geiger.

La liste des mots apocopés et puis suffixés utilisés par Renaud est assez grande : facho, alcoolo, proxo, clodo, bastoche, catastroche, cinoche, pétasse, caillasse, godasse, boxon, chichon, paxon’, troufion, écolos, biscotos, matos, gratos, vicelard, nibards, furax, dirlo, Parigot, chômdu, cibiche, pastaga, cradoque, pochetron, travello.

2.2.2.1. Des noms :

facho (<fasciste)

Par exemple dans la chanson « Où c’est qu’j’ai mis mon flingue ? »

J’vais pas m’ laisser emboucaner

Par les fachos, par les gauchos’

alcoolo (<alcoolique)

par exemple dans la chanson « Trois matelots » :

Mais s’il est bon, mais s’il est beau

Même s’il est un peu alcoolo

proxo (<proxénète)

par exemple dans la chanson « Je vis caché »

Fringués, coiffés comme des proxos

Loin des journaux et des radios

clodo (<clochard)

par exemple dans la chanson « Trois matelots »

J’ai bourlingué comme un clodo

 

bastoche (<bastille)

par exemple dans la chanson « Gueule d’aminche »

L’avait pas une gueule trop moche, sous sa casquette de fortif

Y traînait à la Bastoche, oừ c’est qu’y jouait du canif.

catastroche (<catastrophe)

par exemple dans la chanson « Près des autos tamponneuses » :

Faut qu’je rentre chez ma logeuse

Quelle catastroche...

cinoche – (<cinéma) ‘être mythomane’

par exemple dans la chanson « Zénobe » :

Rien qu’du cinoche

C’est moche.

 

pétasse – (<péteux) ‘femme vulgaire’

par exemple dans la chanson « Olé » :

Les pétasses au soleil des longs étés framboises

caillasse (<cailloux)

par exemple dans la chanson « Marchand de cailloux » :

Quand y balancent un caillasse

On leur fait la peau

godasse –(<godillot) ‘chaussure’

par exemple dans la chanson « Étudiant poil aux dents » :

Y vient d’l’école de la rue

Et y salit ma godasse

 

boxon –(<bocard) ‘maison de passe ou choses désordonnées’

par exemple dans la chanson « Dès que le vent soufflera » :

J’irai z’aux quatre vents

Foutre un peu le boxon

chichon – (<chicha)’haschich’

par exemple dans la chanson « Docteur Renaud, Mister Renard » :

Renaud se méfie des pétards

Et du chichon qui rend idiot

Paxonne – (<paquet)

par exemple dans la chanson «  Jojo le démago » :

Jojo toucha le gros paxon’,

Il s’arrêta de travailler,

troufion –(<troupier) ‘soldat’

par exemple dans la chanson « Le retour de la Pépette » :

Un troufion qui arrosait la quille

Vient lui faire un compliment grotesque

 

écolos (<écologiste)

par exemple dans la chanson « Déserteur » :

Je suis là avec des potes

Des écolos marrants

biscotos (< biceps)

par exemple dans la chanson « Trois matelots » :

L’est devenu un vrai salaud

S’est fait tatouer les biscotos

matos (<matériel)

par exemple dans la chanson  « Deuxième génération » :

Sur des amplis un peu pourris

Sur du matos un peu chourave

 

nibard(s)- (<nichon) ‘la poitrine ‘

par exemple dans la chanson «  Marche à l’ombre » :

Vise la culasse et les nibards !

 

dirlo (<directeur)

Par exemple dans la chanson « Salut manouche ! » :

Mais ça plaisait pas au dirlo

Alors y’m’a viré d’l’école

parigot (<parisien)

par exemple dans la chanson « Banlieue rouge » :

Quand tous ces parigots

Viennent remplir l’coffre arrière

D’leur 504 Peugeot

chômdu (<chômage)

par exemple dans la chanson « Deuxième génération » :

C’que j’voudrais, c’est être au chômedu

Palper du blé sans rien glander

cibiche (<cigarette )

par exemple dans la chanson «  Du gris » :

Eh Monsieur, une cigarette

Une cibiche, ça n'engage à rien

pastaga (<pastis)

par exemple dans la chanson  « J’ai raté télé-foot » :

Et dans le biberon de ma gamine 

J’ai mis d’la sciure et du Pastaga

Pochtron – (<pocharde) ‘ivrogne’

par exemple dans la chanson  « Pochtron » :

Pochtron, Pochtron

Fume un joint, t’auras l’air moins con

travelo (<travesti)

par exemple dans la chanson «  Sans dec’ » :

Y paraît qu’les travelos, quand on avance, y reculent.

Moi je trouve ça normal, c’est les travelos de r’cul.

 

2.2.2.2. Des adjectifs :

 

vicelard (<vicieux)

par exemple dans la chanson  « Docteur Renaud, Mister Renard » :

Avec des canons, des cageots,

Renard s’rait-il un brin vic’lard

 

furax (<furieux)

par exemple dans la chanson  «  Dans mon HLM » :

Y’ a des mat’las par terre,

Les voisins sont furax.

 

cradoque –(<crasseux) ‘très sale’

par exemple dans la chanson « L’auto-stoppeuse » :

assis sur des sacs de couchage

plutôt cradoque

 

2.2.2.3. Des adverbes :

gratos (<gratuitement)

par exemple dans la chanson  « Deuxième génération » :

J’pourrais gratos me faire remplacer

Toutes les ratiches que j’ai perdues

Il faut constater que tous ces mots ont d’abord subi une première transformation qui a été la perte d’un phonème ou d’une syllabe et qu’ensuite il y a eu une suffixation. Mais la suffixation peut se faire aussi sur des mots tels quels autrement dit sur des mots qui n’ont subi aucun changement.

 

2.3. Les mots à préfixes.

D’après le Nouveau Petit Robert préfixe est un élément de formation de mots, affixe qui précède le radical.

C’est un procédé de dérivation des mots assez courant.

Renaud utilise deux formations de mots à préfixe : la préfixation et le parasynthétique.

Le Petit Robert nous donne aussi ces deux définitions :

Renaud utilise 20 mots préfixés :

Débiner, débouler, décaniller, déconner, défoncé, dégommer, dégueulasser, dégueuler, déjanté, emboucaner, emmerder, retape, refourguer, reluquer, enfoiré, enchristé, endoctriné, enculé, engueuler, super chouette.

2.3.1. le préfixe dé- :

Un préfixe « dé » est selon Henriette Walter très utilisé dans toutes les parlures argotiques Il est aussi très utilisé par Renaud :

 

La préfixation :

 

débiner ‘(< biner) ‘partir directement, prendre la fuite’,

par exemple dans la chanson « Peau aime » :

que j’ suis en train d’vendre ma cam’lote

pour s’débiner sur ma chiotte !

débouler(<bouler) ‘démarrer rapidement’,

par exemple dans la chanson « Salut manouche » :

c’est comme une grande bouffée d’ozone,

quand ça déboule.

défoncé(<foncé) ‘consommer des substances interdites, ou dangereuses’

par exemple dans la chanson «  Camarade bourgeois » :

ne sois plus une petite pède,

nous sommes tous des défoncés

 

la formation parasynthétique :

 

décaniller (<canille) -jambe ‘partir’

par exemple dans la chanson « Baston » :

c’est qu’y s’était promis, avant d’décaniller,

déconner (<con, connerie)faire l’imbécile’

par exemple dans la chanson « Manu » :

Eh ! déconne pas Manu

Va pas t’tailler les veines

dégommer (<gomme) ‘abattre’

par exemple dans la chanson « Miss Maggie » :

Parc’que dans les rangs des chasseurs

Qui dégomment la tourterelle

dégueulasser (<gueule) ‘salir’

par exemple dans la chanson « 500 connards » :

Vont traverser l'Afrique
Avec le pieds dans l' phare
Dégueulasser les pistes
Et revenir bronzés

dégueuler (<gueule) ‘vomir’

Par exemple dans la chanson «  Oừ c’est qu’j’ai mis mon fringue ? » :

La Marseillaise, même en reggae,

Ça m’a toujours fait dégueuler.

déjanté (<jante) ‘qui vit en dehors des normes, qui a perdu la tête’

par exemple dans la chanson « l’Entarté » :

Poupée Barbie bien allumée
Mais non, j'ai pas dit déjantée
Malgré ses ch'veux peroxydés
L'est plus sympa que son Simplet
L'entarté

 

2.3.2. Le préfixe em- :

 

la formation parasynthétique :

 

emboucaner (<bouc) ‘emmerder, se faire embrouiller’

par exemple dans la chanson « Oừ c’est qu’j’ai mis mon flingue » :

J’ vais pas m’ laisser emboucaner

Par les fachos, par les gauchos,

emmerder (<merde) ‘s’ennuyer’

par exemple dans la chanson «  Morgane de toi » :

Attends un peu avant d’te faire emmerder

Par ces p’tits machos qui pensent qu’à une chose

 

2.3.3. Le préfixe re- :

 

Le préfixe re-  n’est pas beaucoup utilisé :

 

La préfixation :

 

Retape (<tape) ‘chercher des clients, racoler’

par exemple dans la chanson « Lézard » :

Pendant que l'soir j'fais ma frappe,
ma sœur fait d'la r'tape,
et c'est bien.

refourguer (<fourguer) ’débarrasser de quelque chose’

par exemple dans la chanson « Tout arrêter »  :

J'ai arrêté la mer, refourgué mon bateau
Vécu trop de galères dans des pays trop chauds

reluquer (<luquer) ‘regarder’

par exemple dans la chanson « Marche à l’ombre » :

J’ai dit à Bob qu’était au flipp :

Reluque la tronche à la pouffiasse,

 

2.3.4. Le préfixe en- :

 

la préfixation :

 

enfoiré (<enfoirer) ‘imbécile et malfaisant’

par exemple dans la chanson « Putain de camion » :

Enfoiré on t’aimait bien

Maintenant on est tous orphelins

 

la formation parasynthétique :

 

enchristé (<christ) ‘emprisonné’

par exemple dans la chanson « P’tit voleur » :

Enchristé depuis six mois, je t'écris
Mon poteau
De derrière les murs, de derrière la vie
Dis, est-ce qu'il fait beau ?

endoctriné (<doctrine) ‘faire la leçon à quelqu’un pour le gagner à ses idées’

Par exemple dans la chanson « Où c’est qu’j’ai mis mon flingue ? » :

enculé con (<cul)‘insulte forte’

par exemple dans la chanson « Petit pédé » :

Il fait pas bon être pédé

Quand t’es entouré d’enculés

engueuler (<gueule) ‘se disputer’

par exemple dans la chanson « Socialiste » :

J'ui ai dit: Ginette, faut plus m' parler
D' politique
On va finir par s'engueuler

C'est classique

 

2.3.5. Le préfixe super- :

 

Quant au préfixe super- il est plus du côté du langage branché utilisé par des jeunes. Renaud donne seulement un exemple de tel préfixe :

 

la préfixation :

Super chouette (<chouette) ‘super bien’

par exemple dans la chanson de Renaud «  Mon beauf » :

Y’a dans sa discothèque tout Richard Clayderman

Y trouve ça super chouette c’est l’Mozart du Walkman

 

2.4. Les argots à clefs.

2.4.1. Le verlan

Le verlan est utilisé depuis la première moitié de XIX siècle.  Il consiste à inverser les syllabes d’un mot en accord avec des règles assez rigoureuses. Ce code est très utilisé à notre époque par les jeunes habitants des banlieues. Dans des chansons de Renaud il existe sept exemples de ce procédé : chichon, feuj’, keuf, meuf, tarpé, zonblou, béton, barjo.

chichon-  (< haschich + suffixe -on)

par exemple dans la chanson « Docteur Renaud, Mister Renard » :

Renaud se méfie des pétards

Et du chichon qui rend idiot

feuj - (<juif)

par exemple dans la chanson « Jonathan » :

Jonathan est un peu feuj' et un peu fou
Un peu british, un peu zoulou

keuf - (< flic), ‘policier’

par exemple dans la chanson « Le retour de Gérard Lambert » :

S’il arrive à la bourre il a perdu l’affaire

Y manquerait plus qu’y s’fasse arrêter par les keuf’s

meuf - (< femme)

par exemple dans la chanson « Le retour de Gérard Lambert » :

Il avait un rencard à Paris avec une meuf’

tarpé - (<pétard), ‘cigarette de haschisch’

par exemple dans la chanson « La mère à Titi » :

Et au milieu du souk

Le mégot d’un tarpé.

zonblou - (<blouson)

par exemple dans la chanson « Petite » :

Une petite main jaune au revers du zonblou
Un côté un peu zone pour crier ton dégoût

béton - (<tombé) ‘abandonné’

par exemple dans la chanson « Laisse béton » :

j’te fais tes bottes à la baston ! Moi j’y ai dit :

laisse béton !

barjo - (<jobard)

par exemple dans la chanson « Fallait pas » :

Moi j'ai trouvé d'la lumière
Chez les allumés d'une secte
De barjots !

2.4.2. Le largonji

Cette manipulation lexicale consiste à  remplacer la consonne initiale – ou le groupe consonantique initial - d’un mot par un « l » et à rejeter à la fin du mot la dite consonne ou le dit groupe sous sa forme orale. Le mot «  jargon »  devient donc « largonji » .

On trouve chez Renaud deux mots créés à partir de cette tournure :

louf , loufoque-(<fou+ suffixe fantaisiste –oque)

par exemple dans la chanson « En cloque » :

Elle me font marrer ses idées loufoques

Depuis qu’elle est en cloque.

larfeuille- (<feuillard) ‘portefeuille’

par exemple dans la chanson « Jojo le démago » :

Un jour il misa son larfeuille

Sur un tocard à cent contre un.

Cette manipulation a une véritable fonction argotique car un non initié ne comprend pas à quoi font référence ces deux mots.

2.5. Le redoublement

Cette manipulation peut se faire de deux façons. Soit on ne répète qu’une syllabe du mot, soit on répète le mot en entier. Renaud dans ses chansons présente 9 mots de ce type : caca, boui-boui, flonflons, titi, bibine, nénesse, gogo, kif-kif, rififi.

2.5.1. Le redoublement parfait.

C’est la série des mots formés par le redoublement d’une même syllabe, qui n’existe pas à l’état indépendant et ne possède pas de signification en propre. La catégorie contient :

 

caca (< cacare(lat.)) ‘sale, pas bon’

par exemple dans la chanson « Baby-sitting blues » :

Ta purée elle est caca

Je veux une omelette aux oeufs

 

boui-bouiau départ ‘maison de la prostitution, café mal famé’ chez Renaud plutôt ‘pièce sordide’

par exemple dans la chanson « Germaine » :

Et sur les murs sans joie

de ce pauvre boui-boui

y’avait Che Guevara

les Pink Floyd et Johnny.

 

flonflons ‘accords bruyants de certains morceaux de musique populaire’

par exemple dans la chanson « Hexagone » :

Ils s’abreuvent de bals populaires,

D’feux d’artifice et de flonflons,

titi (<petit) ‘gamin de Paris’ ® argot de gavroches parisiens

par exemple dans la chanson « Le petit chat est mort » :

C'était un vrai Titi
La terreur des p'tits oiseaux

 

2.5.2. Le redoublement de la consonne et la voyelle initiale.

Il a l’intention diminutive, parfois affectueuse, le plus souvent exprimant une dépréciation indulgente.

bibine(< bière), ‘bière’

par exemple dans la chanson «  J’ai raté télé- foot » :

Cette soirée s’annonçait super

J’ me suis enfilé une bibine

nénesse(< ‘nesse) ‘femme, épouse’

par exemple dans la chanson « La java » :

T'es ma nenesse,
tu es ma gonzesse
je suis ton julot

gogo - (< gobeur), ‘individu naïf et crédule’

par exemple dans la chanson « Jojo le démago » :

C'est Jojo l'démago
Président des gogos
On peut voir sa photo
Sur les murs du métro

 

2.5.3. Le redoublement d’une unité lexicale indépendante.

Cette catégorie présente les vocables qui sont intégrés à la langue.

kif-kif(de l’arabe < kif) ‘pareil’

par exemple dans la chanson « Marchand de cailloux » :

C’est kif-kif pareil

Ça m’fait comme des trous dans la tête

 

2.5.4. Le redoublement de la dernière syllabe

rififi (<rif) ‘la bagarre’, ‘le scandale’

par exemple dans la chanson « Je suis une bande de jeunes » :

Quand dans ma bande y’a du rififi,

J’me téléphone, je me fais une bouffe,

Ainsi, il y a redoublement du dernier phonème et il faut remarquer la présence du son [i], son parasitaire qui permet ce redoublement. Le choix de cette voyelle est compréhensible du fait de la facilité à prononcer la série [f] et [i].


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