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Vous pouvez retrouver des dessins de presse liés à la genèse de l'album de Renaud, à la sortie du single Toujours debout, et à la sortie de l'album
sur cette page du site de SVPat
Merci à SVPat et à ceux qui lui transmettent des dessins de presse pour cette compilation.
La couverture du cahier Le Mag.
(Affichez l'image dans un nouvel onglet puis zoomez pour faciliter la lecture).
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L'interview :
"Maintenant, faudrait que j'arrête la clope!"
Après sept ans de silence et de grave dépression, Renaud renaît de ses cendres et revient avec un treizième album plutôt sombre. Les attentats, la mort qui rôde, l’amour des mots et de sa famille. Entretien avec un revenant plein d’envies
Il est attablé à la terrasse de la Closerie des Lilas. La brasserie chic du boulevard du Montparnasse est depuis vingt ans son QG parisien, sa cantine – « mon Assommoir » – pendant les années noires. Renaud a même habité l’appartement juste au-dessus durant deux ans. Le personnel déplace régulièrement les plantes pour gêner les paparazzis. Le visage buriné, la voix rocailleuse mais les yeux d’une impressionnante clarté, le chanteur de « Mistral gagnant » revient une nouvelle fois des abysses de la déprime. Pas de « Boucan d’enfer » mais un disque sans titre, sombre, désenchanté et rassurant. Mardi dernier, il est 15_heures et Renaud referme son ordi portable posé à côté d’un soda sans sucre. « J’ai écrit trois chansons pour enfants ce matin. Mon prochain album sera pour enfants », lance-t-il.
Quel a été le déclic du retour à l’écriture ?
Grand Corps Malade est venu il y a un an, chez moi, à L’Isle-sur-la-Sorgue, me proposer d’écrire un texte pour son album collectif, « Il nous restera ça ». Je voulais composer sur mon fils, Malone. Il m’a donné la première phrase : « Pour ton anniversaire, tu voulais une batterie »… J’ai trouvé la suite et écrit "Ta batterie", réalisé combien cela m’était non seulement agréable mais aussi facile d’écrire. Il suffisait d’avoir la sève, le besoin. J’avais retrouvé les deux. Deux jours plus tard, c’était reparti.
Comment définir ces années ?
L’envie de rien. La peur paranoïaque de la mort. Debout à 7 heures, aujourd’hui. J’étais couché à minuit, je me levais à midi et j’étais lessivé. Je tremblais, j’avais mal partout et je devais amener ma bouche au café plutôt que le contraire. Les ravages de l’alcool. Pastis et bière. Je n’ai pas lu un livre pendant près de huit ans.
Je redécouvre mon fils alors qu’il a 10 ans. Je suis passé à côté de son enfance. J’étais un ivrogne. Il m’appelait « Renaud », ne voulait pas me tenir la main, me repoussait en disant que je sentais la bière, quel que soit l’alcool que je prenais. Il m’appelle « Papa » maintenant et il me bat au Scrabble. La honte, moi qui n’ai jamais été battu !
Comment l’album s’est-il fait aussi rapidement ?
Les mots venaient vite et bien. J’ai rapidement eu une quinzaine de chansons. Je voulais répondre aussi à l’attente des gens : ils sont venus si nombreux me voir dans le Sud pour me demander de revenir. De France mais aussi d’Europe. Un Suédois m’a dit [imitant (mal) l’accent suédois] : « Môssieur Rinaud, nous vous aimons beaucoup en Suède, rewenez. » Moi, j’étais avec mon Ricard et je répondais que je n’avais plus d’idée, plus d’imagination, pas le moindre poil de cul d’amorce d’idée…
Aussi sec après le passage de Grand Corps malade, j’ai commencé à écrire une autre chanson, « Toujours debout » pour rassurer ce public de fidèles et d’admirateurs de tous âges qui m’attendait je crois. Et puis une autre, une autre… J’ai fouillé aussi et retrouvé deux idées de chanson laissée en plan : « Les mots » et « La vie est moche et c’est trop court » dont la première version était encore plus sinistre que celle-ci, c’est pour vous dire… J’ai confié les musiques à mon p’tit gendre Renan Luce – enfin… mon ex-petit gendre – et à Michaël Ohayon, un super-guitariste qui avait déjà tourné avec moi. Il a réalisé tout le disque.
Aviez-vous une couleur musicale en tête ?
J’ai un peu laissé faire mais je voulais de l’accordéon, beaucoup, et Roland Romanelli n’est pas le dernier des derniers… Et revenir aux sources, à du folk-rock avec des riffs de guitare, mais pas les guitares californiennes un peu datées à la « Manhattan-Kaboul ».
Et la voix… ?
Je rentre en studio à Bruxelles en septembre dernier, et elle n’est pas là. C’est voilé, guttural, rocailleux. Clinique pour trois jours, j’y suis resté quinze. Tout allait bien sauf le potassium, au plus bas. J’ai arrêté de boire, il y a six mois et une semaine. J’ai compté les jours, maintenant je compte les mois sans alcool. Aucun effort, aucun manque. Le médecin m’a dit qu’au bout de six mois je pourrais boire une bière ; alors, le 21 mars, jour du printemps, j’en ai bu deux, mais c’est tout. Y avait danger, grave, pour ma santé physique, mentale.
Ma voix est revenue. Enfin… elle a tenu. Faudrait maintenant que j’arrête la clope ! Trois paquets par jour, esclave de cette drogue dure que les empoisonneurs de l’industrie du tabac nous imposent. Pendant la clinique, les musiciens exceptionnels ont fait les bandes-son et je n’avais plus qu’à chanter en revenant. On voit déjà la différence vocale entre les deux versions de « Ta batterie ».
Sur la première, on avait mal pour vous, en effet…
Ouais mais bizarrement, le public ne m’en veut jamais, même quand je chante faux, je chante mal. C’est un peu prétentieux j’ai voulu citer un fan sur le livret du disque : « tu ne chantes pas faux, tu ne chantes pas juste, tu chantes vrai. »
Vous consacrez deux chansons et vous dédiez l’album aux victimes des attentats…
J’ai perdu mes amis Charb, Cabu, Tignous que j’adorais, Honoré, Wolinski… Puis le 13 novembre… Horrible barbarie. Cette infime minorité de l’islam qui compte des millions de pratiquants modérés… Je n’aime pas les religions, je les respecte, mais je maudis ces djihadistes contre lesquels j’essaie de lutter avec mes modestes armes.
Comment voyez-vous aujourd’hui votre chanson « Deuxième génération » ?
J’ai écrit sur des enfants perdus, ce sont maintenant des enfants sauvages à qui on met une kalachnikov dans les mains à 13 ans, au lieu des armes de non-violence.
Toujours protestant ?
Toujours pas croyant mais toujours protestant. Un nom qui sonne comme une identité : celui qui proteste. De France, pas de Scandinavie ou de Suisse, et encore moins des États-Unis, austères et réacs. Les protestants de France sont attachés aux droits de l’homme. J’aime la sobriété des temples.
Le spectre de la mort et la nostalgie de l’enfance sont-ils adoucis par vos enfants, votre petite-fille, que vous chantez ?
Oui, mais je leur offre un monde un peu ignoble. Il fait beau, c’est le printemps, on est dans un quartier un peu chicos, la vie est belle. Mais allez voir dans la jungle de Calais si elle est belle… L’accord signé avec la Turquie est honteux. Comme tout ce que fait cette soi-disant gauche au pouvoir : la déchéance de nationalité, la réforme du Code du travail… Des choses que même la droite n’aurait pas osé initier. Plus jamais je ne voterai socialiste. Personne ne m’enthousiasme aujourd’hui, personne.
Votre enfance semble vous manquer... depuis qu'elle est finie. Pourquoi?
Parce que trop belle, par rapport aux enfants d’aujourd'hui. La mienne a été protégée, insouciante, chouchoutée par des parents aimants… une mère qui torchait six enfants, qui faisait tout à la maison pour juste des allocs. Un papa écrivain, professeur traducteur. Quand je partais à l’école, je le voyais devant sa machine à écrire, une vieille Underwood avant une Olympia. Je me disais « quel beau métier il fait, assis à son bureau sans horaires, sans patron, avec un rayon de soleil… » Le plus beau métier du monde… que j’ai réussi à faire.
A huit ans, je lisais ses premiers bouquins pour enfants, avant ses « vrais » romans beaucoup plus tard : je m’y refusais par pudeur, par timidité car ils étaient parait-il olé olé… J’ai tout lu depuis et c’est vrai que certains passages sont d’un érotisme... prononcé.
Quels sont les auteurs, les chanteurs qui vous ont marqué?
Maupassant que je dévorais en livre de poche, Boris Vian, Prévert, Aristide Bruant. Plus récemment, les thrillers de Michael Connelly, Stephen King qui n’aura jamais le prix Nobel de littérature parce qu’il vend trop de livres avec trop de fantaisie. Raymond Carver aussi. Je viens de lire « Profession du père » de Sorj Chalandon : formidable. Première fois que je lis quelque chose sur la guerre d’Algérie vue du mauvais côté, de l’OAS.
D’où la chanson « Les mots ». Je cite Léautaud, Nougaro ou Brassens mais j’ai oublié Mouloudji, Reggiani, Béart, Brel, Ferrat, Aragon (un con mais quel talent !), Aznavour, Gainsbourg. J’écoute peu de nouveautés par manque de temps
On retrouve "Dylan" que vous aviez écrite pour le deuxième album de Romane Serda...
Je trouvais dommage qu’elle soit passée totalement inaperçue. Le texte vient de trop nombreux témoignages reçus de mamans ou grands frères éplorés me racontant comme le petit, fan de moi, est mort en mobylette, en moto, en voiture, d’une leucémie, avec un bandana rouge autour du cou, ou un disque de moi sur la poitrine. Je reçois une lettre comme ça tous les trois mois. A travers ce personnage, je voulais rendre hommage à toutes ces victimes.
"Mulholland drive"?
Un road movie d’une jeune Américaine rêvant de liberté, fuyant un foyer trop conventionnel, réac’.
La Venise d’"Héloïse", c'est le monde?
C’est le monde : regarde comme il est beau et comme il va disparaître, contrairement à notre amour qui ne disparaîtra pas. Je l’ai co-écrite avec Renan, je voulais qu’il la chante : c’est sa fille quand même ! Il n’a jamais voulu : « C’est l’histoire un grand-père, de sa fille et de sa petite-fille dans les rues de Venise ! » Bon… je vais lui confier la musique de mes chansons pour enfants.
La Corse et le Pays basque sont-ils toujours des causes pour vous?
Je suis très attaché à la cause basque, à la cause corse. Je suis militant du mouvement réclamant l’amnistie des prisonniers politiques, pas les condamnés pour crimes de sang ou pédophiles. Le FLNC ou A Cuncolta ont déposé les armes depuis trois ans et on attendait un retour du gouvernement là-dessus. Indépendantistes, autonomistes : je ne fais pas la différence. Pour moi ce sont des frères qui souffrent, enfermés très loin de chez eux pour punir les familles. Je finance les voyages des familles.
J’accompagne depuis quinze dates, I Muvrini dans leur tournée : on chante ensemble "Mistral gagnant" et "La Ballade nord-irlandaise" dont un ou deux couplets en basque, une langue dure à apprendre mais facile à chanter. Les spectateurs ne sont pas au courant et ça leur fait une belle surprise, enfin j’espère. Au deuxième couplet de la ballade, j’arrive : « jusqu’à Deary ma bien-aimée… » Baume au cœur... et ça donne envie d’être sur scène pendant tout un concert!
Vous citez Vincent Lindon sur le livret de l'album. Un ami?
Un ami depuis 25 ans, immense acteur qui mérite les prix récents qu’il a glanés à Cannes et aux César : il est venu me voir plusieurs fois au studio, comme Philippe Val, Dominique et Romane, mes ex-femmes, Malone, Lolita, Héloïse, Gilbert Rozon, mon producteur québécois que j’adore. Je revois Vincent dans le studio avec ses tics s’agiter en disant « ouah c’est génial, tu vas faire un carton ! ». Il avait repris « Morgane de toi » sur le disque "La Bande à Renaud" mais bon… ce n’est pas ce qu’il fait de mieux... (sourire)
Le livret le montre aussi : vous ne chômez pas, niveau tatouages…
J’en ai fait trois nouveaux, depuis. (il les montre). Ces deux-là ont été faits en Corse, et celui-là pour mon Indian, une grosse moto trop lourde pour moi avec laquelle je me suis vautré en sortant du magasin. Je n’en avais pas fait depuis dix ans.
L’amitié, c’est ce qui dure le plus ?
A part la mort qui les arrête et quelques trahisons, oui. J’ai perdu des amis à qui j’ai prêté de l’argent. Prête de l’argent à un ami : tu perds l’argent, tu perds l’ami. Proverbe égyptien. Mais j'ai des nouveaux amis aussi. Comme Benoît Dorémus que je connais depuis dix ans seulement. Il était venu me porter une guitare de la part de Sarclo et m’a présenté sa première maquette. Cela arrive très souvent et je suis poli… mais là : la chanson « Rien à me mettre » m’a bluffé, moi qui ramait sur le même sujet depuis un moment. Une très belle écriture, un phrasé qui me ressemblait encore trop mais un vrai talent. J’ai produit son premier album et son dernier (2) est encore magnifique. Il sera chez Drucker avec moi dimanche prochain !
Vous tenez chronique à nouveau dans « Charlie Hebdo » mais aussi dans « Causette ». Pourquoi ?
J’aime ce magazine et j’aime écrire pour les femmes. Dans les deux, je parle de ma petite vie, sans prétention. Ma première chronique est parue dans le numéro de cette semaine : j’y parle de mes larmes depuis un an : celles de Charlie, du Bataclan, de ma vieille maman qui s’est cassé le col du fémur à 95 ans.
Le sud-ouest, ça vous parle?
Je ne connais pas bien. Plusieurs années de suite, j’ai passé mes vacances au Cap Ferret. J’y ai découvert les huitres à 45 ans. Malgré les touristes, c’est agréable à vivre. Les Bordelais sont assez snobs et ne se mêlent pas au lumpenproletariat que je dois représenter pour eux. Plus sérieusement, ils ont beaucoup d’éducation et de respect, et m’ont foutu une paix royale. J’allais manger des langoustines sur la plage du Mimbeau comme un bon p’tit bobo !
Dans votre discographie, quel album se détache ?
« Mistral gagnant », et puis « Morgane de toi ». J’étais un peu en état de grâce. Avec beaucoup de chansons fantaisistes. Aucune ou presque sur le dernier, mais la Pépette va bientôt revenir près des autos tamponneuses… L’album qui est par contre à mettre à la poubelle, c’est celui des reprises irlandaises (1), où je chantais comme un goret.
La tournée ?
Près de 200.000 billets déjà vendus. Le spectacle sera sans décor, avec beaucoup de projections à la Caro et Jeunet, et des hologrammes : les personnages de mes chansons. J’ai déjà choisi 40 titres, le spectacle fera plus de trois heures. Comme Springsteen, mais lui fait un entracte et seulement dix dates en Europe. J’ai envie !
Recueilli par Yannick Delneste. Dessins de Marc Large
(1) « Molly Malone » (2009).
(2) "En tacchyccardie"
Chroniques de Charlie . À la renaissance de « Charlie Hebdo », en 1992, Renaud tient une chronique hebdomadaire pendant deux ans, renouvelée en 1995-1996. Une centaine de textes, augmentés de vingt autres «oubliés», sont ici rassemblés. On y retrouve un Renaud drôle, inégal ou magistral, au ras des pâquerettes ou fulgurant. « Chroniques de Renaud », éd. Hélium, 352 p., 14,90€. Sortie le 6 avril.
L'album
On craignait le pire. La voix massacrée de « Ta batterie » pour Grand Corps Malade, la plume moins inspirée depuis vingt ans et ce premier titre raté (« Toujours debout »), lancé il y a un mois. À l’issue des 13 nouveaux titres, on est (un peu) rassurés : Renaud renoue avec l’écriture dans un registre sombre et désenchanté, sincère et touchant. Trop basiquement tire-larmes quand il évoque les attentats de « Charlie » et de l’Hyper Cacher, il est comme toujours plus convaincant quand il évoque sa pomme, sa vie, ses coups de cœur. Deux chansons sur son fils (« Petit bonhomme » et « Ta batterie » retravaillée), une très jolie sur sa petite-fille (« Héloïse »), son amour des lettres (« Les Mots »). Se détachent enfin « Dylan », qu’il avait écrite pour Romane Serda, et « Mulholland Drive », road-movie intime et surprenant. Disque de convalescence à voix lugubre. La fantaisie poétique du Renaud de jadis, qui élevait chaque texte vers le cœur, y manque encore cruellement. (Y. D.)
« Renaud », 1 CD 13_titres, Warner-Parlophone, 15 € env.
Ses cinq chansons-clés
« L’Orage », de Georges Brassens Perfection d’écriture et de construction.
« L’Affiche rouge », d’Aragon par Marc Ogeret « Je n’ai pas de haine pour le peuple allemand » : j’ai les larmes à chaque fois que j’entends cette phrase. Et la voix d’Ogeret est bouleversante.
« Nuit et Brouillard », de Jean Ferrat Une force incroyable, un tempo et un texte bouleversant qui ont contribué à rompre le silence.
« Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous », de Barbara La plus belle chanson écrite sur la relation d’un artiste avec son public.
« The Times they are A’Changin », de Bob Dylan Pour la vision, l’espoir. Pour Dylan.
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L'article en format texte :
Enfin, Renaud ne marche plus à l’ombre. Son disque sort vendredi.
Dix ans après Rouge sang, son dernier album original, Renaud est de retour avec un nouveau disque, à sortir vendredi, où l'on retrouve sa patte toute personnelle. - Le chanteur est en forme. Nous l’avons rencontré.
Un soleil printanier baigne d’une lumière douce le petit bar du studio d’enregistrement Ferber, l’un des plus réputés de Paris pour sa qualité et sa convivialité.
Renaud est là, entre les mains d’une maquilleuse. Barbe taillée, cheveux mi-longs, boucle d’oreille en pendentif, tee-shirt vert émeraude, jean délavé, boots en daim et cuir noir « Indian ». Il est en forme, loin des images furtives de l’homme dépressif, voûté et vieilli, vues ces dernières années dans des magazines people.
Cela fait quatre ans que le chanteur ne vit plus à Paris. Il préfère le soleil de Provence et sa maison de l’Isle-sur-la Sorgue. « Je viens d’y passer des années un peu noires, avoue-t-il avec toujours une grande franchise. J’avais tendance à abuser des produits régionaux, enfin surtout du pastis. Ça rendait les gens malheureux autour de moi. »
« Quelque chose de miraculeux »
Renaud vivait dans un mutisme sans goût ni joie, sans jus ni projet. « Des fans venaient me voir, parfois un peu envahissants. Pour des témoignages d'affection qui me donnaient envie de repartir. Mais je n'étais pas en état. »
Une simple visite, qui a valu son pesant de bandanas, a marqué le début de sa renaissance. Le slameur Grand Corps Malade est venu lui demander une chanson, pour son propre album. Il n'était pas le premier à tenter sa chance. Mais lui, avait une astuce, un exercice imposé. Le texte devait intégrer un bout de phrase: « Il nous restera ça. »
Renaud s'est pris au jeu. Il a écrit Ta batterie, texte adressé à son fils Malone, 10ans. « Il s'est passé quelque chose de miraculeux, de magique »,confie-t-il. Ce nouveau titre, il l'a chanté sur le disque de Grand Corps Malade, d'une voix encore de casserole.
Arrive l'attentat contre Charlie Hebdo. Renaud y perd des amis. Il reprend la plume. C'était reparti pour de bon. Un peu plus d'un an après, l'album est là. Pas moins de six chansons évoquent l'enfance ou l'adolescence. Pas un hasard. Sa tristesse chronique, il l'explique lui-même par sa mélancolie de l'enfance et la perte d'amis chers.
La splendide Héloïse conte la promenade d'un grand-père à Venise, avec sa petite-fille et sa maman, une certaine... Lolita. On retient aussi la dramatique Dylan, garçon de 16ans dont la vie s'est arrêtée à la sortie d'une discothèque. Et la romanesque Mulholland Drive, qui voit une jeune Américaine prendre la route pour échapper à une famille médiocre. « Pour une fois, je n'ai pas placé l'histoire à Argenteuil ou à La Courneuve, mais à Los Angeles. »
Pas de chansons politiques ou rebelles sur ce disque, comme s'il n'était pas encore prêt pour repartir au combat... Il ose même écrire, lui, l'ancien anar, J'ai embrassé un flic, en référence aux manifs de l'après-Charlie. « Parce que ce jour-là, les flics avaient l'air chagrinés et solidaires. J'en ai pris un dans mes bras pour lui dire : « Merci mon frère ! » » Pas de rock non plus, mais beaucoup de ballades, avec une majorité de musiques composées par l'un de ses guitaristes de tournée, Michaël Ohayon, bombardé réalisateur de l'album, qui a tout de suite collé au style Renaud. « Je suis de moins en moins compositeur, contrairement à mon gendre Renan Luce, qui a écrit trois musiques. »
Un des plus beaux titres s'appelle Les mots, un hommage à l'écriture. « Les mots, c'est ce qui berce, guide ma vie. » Quant à La vie est moche et c'est trop court, aux accents autobiographiques, il le dit lui-même, c'est peut-être sa chanson la plus triste. Au passage, il alerte, dans Mon anniv, que s'il y a quelque chose qu'il ne supporte pas, c'est qu'on lui souhaite son anniversaire: « Un coup de poignard dans ma jeunesse, un pas de plus vers la mort. »
« Une pêche d'enfer! »
L'album a été enregistré à Bruxelles, où il s'est refait une santé, aidé par un séjour de deux semaines en clinique. « L'alcool m'a détruit, a détruit mes cordes vocales. Je n'arrivais pas à chanter. J'ai arrêté de boire depuis plus de six mois. Les médecins ont découvert que j'avais un taux de potassium tellement bas que je risquais l'accident cardiaque. On m'a soigné. Ma voix n'est pas complètement revenue mais quand je chante, c'est mieux. Elle se décrasse, se désenfume. »
Il s'est même racheté une moto, une Indian. Et on le retrouve donc, ce jour de mars à Paris, requinqué, à interpréter quelques chansons pour un film de promotion, devant deux caméras.
Bon, il n'a pas lâché la cigarette. À chaque pause, il s'écarte pour s'en allumer une, fumant comme un pompier. Mais il fait du sport. « De la gym ! Et je mange sainement, trois repas par jour, arrosés d'eau minérale, alors qu'avant je ne faisais que picorer. J'ai une pêche d'enfer ! »
On croise les doigts. Cette deuxième renaissance sera-t-elle la bonne? Aujourd'hui, il se projette déjà dans un autre album: « J'attendrais pas dix ans. Mais là, j'ai hâte de retrouver, chaque soir, l'amour des gens. »
Il se pourrait bien que, sur scène, il nous présente quelques-uns de ses personnages, comme Manu ou la mère à Titi... sous forme d'hologrammes! « Vous pouvez vous attendre à du merveilleux... »
Renaud, Parlophone, 13 titres.
L'interview rédigé :
Renaud va mieux et s’offre «un petit disque triste»
Musique : Sobre depuis six mois, le chanteur se raconte avec une sincérité désarmante et sans pudeur. Rencontre.
«C’est exceptionnel, ce qui se passe autour de ce petit disque triste qui ne méritait pas autant!» Renaud était attendu. Le chanteur énervant revient de dix ans de disette discographique et autant d’années de dépression et d’alcool. «Le chanteur à la con» est de retour avec un album sobrement intitulé Renaud , et une tournée – Phénix tour – de 150 Zéniths prêts à recevoir ses fans, qui aux quatre coins de la France et ses provinces extérieures (Suisse, Belgique et Québec), l’attendent comme le Messie.
«Renaud, on t’aime… Reviens-nous vite! Arrête de boire. On a besoin de toi! Ça, c’est la phrase qui revient tout le temps.» Le chanteur de 63?ans, assis à la terrasse de la Closerie des Lilas – cette célèbre brasserie parisienne est le lieu même de son apnée alcoolisée –, parle des quelque 1000 lettres qu’il reçoit par mois de ce public qui le «gave d’amour, qui me pourrit le cœur!» Mais va-t-il bien pour autant? Est-il Toujours debout?, comme il le chante dans ce premier single paru il y a quelques semaines. «J’ai retrouvé la forme depuis six?mois. Depuis que je ne bois plus une goutte d’alcool, je me porte à merveille!» glisse-t-il.
Ego trip permanent
Soit. La voix est encore caverneuse et les quintes de toux régulières. Renaud se bat toujours contre son tabagisme. Son corps, comme avachi dans sa chaise, semble garder en mémoire des siestes éthyliques. De toute évidence, il accuse le coup de ces années traversées «dans les vapeurs anisées du pastis, plus quelques bières», tient-il à préciser. Mais le regard est bleu perçant. Si la parole est parfois pâteuse, le propos est toujours pertinent. D’une lucidité qui souligne l’intelligence de l’homme. Car Renaud se livre, raconte, dit tout. Sans pudeur et d’une sincérité désarmante.
«Avec ce disque, mon objectif était de retrouver la santé et le chemin des studios pour enregistrer le mieux possible mes chansonnettes»
Cet ego trip permanent, qu’il soit scénarisé ou réel, n’est-il pas la substance de nombreuses chansons de Renaud? Et parfois ses meilleures: Mistral gagnant, c’est simplement Renaud Séchan qui raconte son enfance à sa fille… Surprise alors quand l’auteur de ce chef-d’œuvre vous parle de son taux de potassium – «à 2,2, c’était limite mortel: j’ai eu très peur!» –, de la méthode Pilates pour la remise en forme – «entre le tai-chi et le yoga. Tout en souplesse. Malheureusement, j’ai pas perdu ma petite bedaine» – et de son opération de chirurgie esthétique. «J’avoue, je me suis fait gommer cette double rangée de poches sous les yeux. Ça m’a rajeuni de dix ans, me dit-on», s’inquiète-t-il en montrant sur son smartphone d’abord une photo récente «abominable, volée par un torchon pipole un soir de fracasse» et une deuxième datant de 1975. «J’avais un visage un peu androgyne à la Brian Jones», s’émerveille-t-il. Il y a dans sa démonstration l’envie d’aller mieux, de se revoir beau, d’arrêter «l’autodestruction. Car je suis très fort en autodestruction!»
Renaud n’est pas pour autant devenu bêtement nombriliste. Son regard reste clairvoyant. «Avec ce disque, mon objectif était de retrouver la santé et le chemin des studios pour enregistrer le mieux possible mes chansonnettes. C’est plus ou moins réussi, sauf sur un ou deux titres où la voix est fatiguée, éraillée, d’outre-tombe… La vie est moche et c’est trop court: je ne la trouve pas très bien chantée et trop sinistre. C’est la chanson la plus triste de tout mon répertoire», analyse l’homme désormais sans foulard rouge.
En revanche, Renaud cajole la chanson Les mots, qu’il évoque avec ferveur. «C’est un petit joyau que j’aime infiniment. C’est un fond de tiroir que je suis allé rechercher à l’état de brouillon dans un ouvrage qui s’appelle Les manuscrits de Renaud, aux Editions Textuelles (ndlr: en 2 volumes parus en 2006).» Il revendique avec fierté l’efficacité de J’ai embrassé un flic, qui ouvre l’album et parle avec tendresse de Petit bonhomme et d’Héloïse. «Une chanson pour mon fils, Malone, et une autre pour ma petite-fille, coécrite avec Renan Luce, le papa d’Héloïse. J’ai toujours chanté ma famille», rappelle-t-il.
Une place à part
Ainsi Renaud regarde son nouveau disque sans complaisance. Que lui manquait-il alors? «De la chanson fantaisiste, de la mélodie rigolote comme j’ai su en faire par le passé. It is not because you are, Doudou elle s’en fout, des chansons comme ça, avec de l’autodérision. Je trouve l’album un peu triste!»
«J’ai hâte, j’ai hâte!» Il parle de sa future tournée. Et des affres du choix d’un «tour de chant». Car, malgré «vingt années perdues dans des périodes si sombres», glisse le bonhomme, en allusion à sa première dépression avant Boucan d’enfer (2002), l’artiste a constitué une œuvre importante et s’est fait une place à part dans le monde de la chanson. «Ça peut être pesant de savoir qu’il y a tellement de gens qui m’attendent», sourit Renaud. Et de poursuivre: «Je vais chanter les nouvelles et des anciennes. En l’état, mon concert ferait quatre heures. Il faut que je sacrifie encore dix chansons. Mais Morts les enfants, je ne peux pas ne pas la chanter. Et En cloque, Mistral gagnant, Morgane de toi, Marchand de cailloux, Dès que le vent soufflera.» Etc., etc. (24 heures)
L’anar embrasse la police…
Critique
Ce n’est pas son meilleur album, mais ce n’est l’essentiel pour personne. Renaud est en vie, revenu de l’enfer de l’alcool. Ces treize titres, qui constituent sa livraison 2016 attendue depuis dix ans, sont très inégaux. La voix du chanteur trahit souvent sa convalescence. Il n’est pas question de justesse mais de souffle et de rythme. La prosodie, hachée, sent souvent le travail de studio. Mais la magie opère encore lorsque cet auteur à part trouve les mots et que son «chanter vrai» perce le convenu. Dans cet exercice d’équilibriste, La vie est moche et c’est trop court et Petit bonhomme sortent du lot dans le registre émotion. Et gagneront en intensité quand la voix de l’interprète aura regagné sa souplesse.
Ailleurs, les fans retrouveront les airs baloches et irlandisans, accordéon et violons véloces, qui ont depuis toujours constitué sa trame musicale.
Autre passage obligé de l’univers Renaud: la chanson récit à la première personne… J’ai embrassé un flic fera aussi date. Renaud, Renard, l’anar au grand cœur, le révolté permanent, le contestataire qui dénonce le tumulte du temps, salue la police. Après les attentats qui ont frappé Paris, plus d’un Français se reconnaîtra dans ce mouvement d’affection et de désarroi ironique. La force d’une chansonnette, c’est aussi de témoigner de l’époque. Renaud l’a toujours fait.
Article de 2 pages présents dans les différentes éditions du Parisien / Aujourd'hui en France. La Une est changeante suivant les éditions locales.
Renaud à la Une : "Ma vie était une infinie tristesse" - Renaud nous a longuement reçus dans son refuge du Vaucluse.
Il raconte sa déchéance, sa renaissance, et son émouvant nouvel album. (Page 32 et 33).
Couverture de 3 éditions du Parisien / Aujourd'hui en France :
L'article page 32 et 33 :
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L'interview de Renaud au format texte :
Comment allez-vous ?
Renaud. Six mois et vingt jours sans alcool, sans une goutte. J'ai perdu vingt ans de ma vie à boire jusqu'à plus soif. Ce qui m'arrive aujourd'hui m'est arrivé en 2002, quand j'ai sorti « Boucan d'enfer ». Je sortais d'une même période de dépression, d'alcool, de paranoïa. Cela faisait sept ans que je n'avais pas fait d'album, tout le monde a parlé de renaissance, de phénix. Je m'en suis sorti quelques semaines et j'ai replongé. Mais aujourd'hui, je reviens plus fort que jamais.
Qu'est-ce qui vous a redonné l'envie ?
Il y a d'abord eu le double album « la Bande à Renaud », ces artistes que j'aime qui ont repris mes chansons. Bon, il n'y avait pas que du très bon, mais tous ces témoignages d'amour m'ont bouleversé... Et ça a cartonné. Et puis Indochine, Nicolas, ce gamin de 55 ans qui en fait 35, qui m'a rendu hommage au Stade de France. Et Grand Corps Malade qui m'a remis la main dans l'encrier en m'incitant à écrire cette chanson, « Ta batterie », que j'ai enregistrée pour son album et refaite pour le mien. J'ai rouvert le robinet et cela a coulé...
Comment avez-vous vaincu l'alcool ?
En arrivant au studio ICP à Bruxelles, en septembre pour enregistrer l'album, je n'ai pas réussi à chanter. J'étais encore à un litre de pastis par jour. J'étais très mal, je titubais, je vomissais, j'avais des vertiges. Je suis allé voir un addictologue. Cela a duré cinq minutes, il m'a dit que mon taux de potassium était dans le rouge : « Vous risquez un arrêt cardiaque aujourd'hui, demain ou dans huit jours. » J'ai eu très peur. J'ai arrêté de boire aussi sec.
Vous avez été hospitalisé ?
Je devais rester trois jours, ils m'ont gardé quinze jours, sous perfusion de potassium. J'en ai profité pour faire la totale, IRM, scanners, je suis en pleine forme. Je n'ai jamais passé une période aussi longue de ma vie sans une goutte d'alcool. Il y a encore six mois, je me réveillais à midi, crevé, tracassé, titubant. Je n'arrivais plus à rire, à parler, à pleurer. Je me contrefoutais de la marche du monde, ma vie était une infinie tristesse anisée. Maintenant, après cinq heures de sommeil, je me réveille à 7 heures et j'ai la pêche.
Vous avez retrouvé le sourire, mais votre disque est sombre.
C'est sûr ! Il y a beaucoup de chansons tristes. « La vie est trop courte » est certainement ma chanson la plus désespérée. Trop peut-être. A part « Hyper Cacher » et « Petite Fille slave » ( NDLR : sur la prostitution), il n'y a pas de chansons que je qualifierais d'engagées... Que voulez-vous, je suis un vrai cœur d'artichaut.
Vous avez écrit deux chansons pour Malone, votre fils de 10 ans.
Oui, cet album, je l'ai un peu écrit pour lui aussi. Je le vois une fois par semaine et c'est un grand bonheur. Car je suis passé à côté de son enfance. J'ai longtemps été un étranger pour lui, il m'appelait Renaud. Maintenant, il me tient la main, m'appelle papa, il m'embrasse alors qu'avant il me disait : « Tu sens la bière... »
On entend votre voix s'améliorer au fil de l'album.
Je ne l'ai pas trafiquée, je suis juste passé du pastis au Coca. Ce n'est pas ma voix de goret, d'outre-tombe, de 2006, de l'album « Molly Malone - Ballade irlandaise ». Là, je suis resté quatre mois en studio et ça allait de mieux en mieux.
C'est jour de grève aujourd'hui. La situation sociale vous préoccupe ?
Et comment ! La politique, entre guillemets, de gauche de ce gouvernement me débecte profondément. Je ne vais pas voter Fillon, quand même ! Si je n'ai que le choix de voter entre la droite et l'extrême droite, je voterai à droite. Sauf Sarkozy. Là, j'irai à la pêche à la ligne. Hollande, j'ai voté pour lui par défaut... Un mec qui remet la Légion d'honneur à un ministre d'Arabie saoudite, qui pond la loi Travail que même la droite n'aurait pas osé voter, la déchéance de nationalité...
Pour vous, il n'y a plus d'homme providentiel ?
Si, un seul, Nicolas Hulot. Qui fait ce qu'il aime, qui dit ce qu'il fait et fait ce qu'il dit. Mais il ne veut pas y aller et il n'a pas tout à fait tort. Il n'a pas le goût du pouvoir, juste celui des mots, l'envie de sauver la planète, ce dont se contrefoutent des gens comme Valls.
Et une femme providentielle ?
Je suis tout le temps amoureux. Cela dure cinq minutes, une heure, un jour, une semaine... La vie de couple, je ne suis pas doué pour ça. J'ai perdu deux épouses. Enfin, perdu... Je me suis séparé de ma première épouse au bout de vingt ans pour cause d'alcoolisme. Et j'ai perdu la seconde au bout de dix ans pour cause d'alcoolisme. Mais Dominique et Romane sont toujours là, elles me soutiennent. Dominique a toujours été une béquille. Elle s'inquiète : « T'es énervé, t'as bu ? » « Non je n'ai pas bu. » Je suis juste stressé par la vie, par l'amour, mon métier, les interviews, le malheur du monde, la vie de fou que je mène depuis six mois.
Vous êtes réapparu en public place de la République, un an après le massacre de vos amis de « Charlie Hebdo ».
Malgré l'amitié que je portais à Cabu, Charb, Tignous, Wolinski, oncle Bernard et Honoré, que j'ai perdus, je n'ai pas réussi à faire une chanson sur cette tragédie. J'ai écrit « J'ai embrassé un flic », c'est ma façon de parler de la manifestation monumentale du 11 janvier et j'ai fait une chanson sur l'« Hyper Cacher ». Et puis je dédie mon album aux victimes et aux survivants, aux familles.
Vous réécrivez une chronique dans « Charlie Hebdo ».
Oui, dans « Charlie » et « Causette ». Dans « Charlie », je me permets de raconter ma vie, je ne m'amuse pas à blasphémer l'islam que je respecte, même si une infime minorité de barbares me dégoûte profondément, ces mitrailleurs qui ont tué mes amis, qui ont fait des dizaines de morts à Paris, à Bruxelles...
« Mistral gagnant » est la chanson préférée des Français.
De tous les temps, c'est dingue ! Devant « l'Aigle noir », « Ne me quitte pas », « la Javanaise », « Avec le temps » ! Alors que cela parle des bombecs de mon enfance... Je ne voulais même pas l'enregistrer tellement elle était impudique. Mais bon, comme tout artiste, je m'offre sans retenue, comme une strip-teaseuse offre son cul.
Six millions de vues sur Internet pour votre nouvelle chanson « Toujours debout » : vous êtes très attendu !
Cela m'a plus qu'ému, je n'arrête pas de pleurer. Je suis mieux que Tintin, qui va de 7 à 77 ans, moi je m'adresse aux enfants de 5 ans aux mamies de 88 ans, à tous ceux qui m'écrivent. Je suis débordé de demandes d'autographes et de messages d'amitié.
A propos de Tintin, j'ai lu que vous alliez vendre une partie de votre collection.
Je vais vendre 200 de mes 4 000 BD et quelques planches originales de Hergé. Je le fais pour aider ma fille, Lolita. Elle est séparée de Renan Luce et cela lui permettra de racheter la maison qu'elle partageait avec lui. Je ne suis plus collectionneur. Je préfère utiliser mon argent ailleurs.
A quoi ?
J'aide les gens qui me lancent des bouteilles à la mer : un collège parisien qui a fait un jardin bio sur son toit, un hôpital israélien qui forme des médecins palestiniens -- j'ai filé 120 000 balles --, un enfant handicapé qui doit se faire opérer aux Etats-Unis, une chorale de réfugiés syriens, une association qui aide les familles des prisonniers corses...
A République, vous portiez un tee-shirt de soutien à Yvan Colonna...
Je le porte encore (il le montre) : « Yvan Colonna, prisonnier de la raison d'Etat ». En mon âme et conscience, je crois en son innocence. J'ai bien étudié le dossier, il y a des doutes, des incohérences. Un gars qui se lève tous les matins pour traire ses 200 chèvres a autre chose à faire que descendre un préfet. Surtout un préfet qui était un mec bien, un bon préfet.
Vous rejoignez souvent vos amis corses d'I Muvrini sur leur tournée. Un entraînement ?
Oui, c'est une remise en bouche, en forme, pour chauffer ma voix et pour le bonheur d'avoir une standing ovation chaque soir, ce public en délire, après dix ans d'absence. Cela me gonfle à bloc. Pour ma tournée, j'ai sélectionné quarante chansons : mes nouvelles, mes incontournables, « Son bleu », ma préférée... On me demande d'en virer dix, hélas, mais je ferai trois heures, minimum. J'ai tellement hâte. Mon public en aura pour son argent.
Vous écrivez votre autobiographie.
Je raconte ma vie à Lionel Duroy, qui est un grand biographe. On est remontés jusqu'à 1871 et un lointain ancêtre qui devait être écrivain. J'appellerai peut-être le livre « Disparu depuis », tellement je lui parle d'amis qui sont morts...
Vous avez du travail !
Je ne devrais pas vous en parler mais j'ai déjà écrit un nouvel album pour les enfants : dix chansons dont j'ai confié les musiques à Renan Luce. Je reçois plein de lettres d'enfants, j'adore. Ah, et j'ai oublié de vous dire ! Kervern et Delépine, ces deux génies, sont en train d'écrire un film pour moi. J'aurai le premier rôle ! Pourvu que Céline Sallette tourne dedans, je suis amoureux d'elle.
L'interview :
INTERVIEW - Le chanteur sortira vendredi 8 avril son premier album de chansons originales depuis 2006. Un disque très introspectif dont il explique la genèse.
Attablé dans sa brasserie favorite - la Closerie des Lilas, où il est comme à la maison - Renaud enchaîne les cigarettes et les Coca Zéro avec une vigueur retrouvée tout en parlant à la presse. «Même les journalistes m'aiment bien désormais», lance-t-il, amusé, assis devant son ordinateur portable, un dictionnaire de rimes et le dernier essai d'Alain Badiou, Notre mal vient de plus loin: penser les tueries du 13 novembre. Rencontre avec un beau rescapé, à la répartie intacte, de retour avec un album très introspectif.
LE FIGARO. - Dans Les Mots, vous évoquez l'écriture en chantant «Quand votre vie part à vau-l'eau/C'est un don du ciel, une grâce/Qui rend la vie moins dégueulasse.» Une profession de foi?
RENAUD - Comme je le disais aux nombreux fans venant me voir ici à la Closerie des Lilas ou dans ma cantine à l'Île-sur-la-Sorgue, où j'ai vécu quatre ans, je n'avais plus d'idée, plus d'inspiration. Je pensais ma carrière derrière moi alors qu'elle est en train de se réamorcer. Je n'avais plus le goût de l'écriture, j'avais perdu celui de la lecture, d'aller au cinéma, au musée... J'étais un alcoolique invétéré, avec ce que ça compte de solitude, de détresse, de chagrin, de désespoir. Les gens me disaient: «Reviens, on a besoin de toi.» Cette phrase revenait tout le temps. Mais le déclic est venu de Grand Corps Malade, qui est venu me voir alors que j'étais ravagé par l'alcool. Il m'a sollicité pour un texte dans lequel il fallait intégrer ces quelques mots: «Il me restera ça.» Il m'a soufflé les deux premiers vers de la chanson et j'ai enchaîné. Une fois la chanson finie, je me suis dit: «Ce n'est pas si compliqué. Il suffit d'être impudique, de livrer son âme.»
L'impudeur est-elle une condition à l'écriture?
Une des fonctions essentielles des artistes est de se livrer avec impudeur. Du moment que ça touche les gens, qu'ils se reconnaissent dans nos propos, la moitié du travail est fait.
Quel avenir imaginiez-vous si l'écriture n'était pas revenue?
La mort. Je suis allé en clinique faire un check-up complet, en arrivant à Bruxelles. On m'a décelé un taux de potassium à la limite de la zone rouge. L'addictologue a été clair: «Si vous continuez à boire, vous allez mourir d'une crise cardiaque.» Là, j'ai eu un peu peur. J'ai cessé toute consommation d'alcool du jour au lendemain. Bon, j'avoue humblement avoir bu une bière le jour du printemps. Cela faisait six mois jour pour jour que je ne buvais plus. La prochaine sera pour ma première date de tournée, le 1er octobre. Je ne vais pas devenir moine non plus et boire de l'eau toute ma vie! D'ici là, je vais tenir. Je n'ai aucun manque, contrairement au tabac. Mais je compte arrêter ça rapidement aussi. Il me reste quatre paquets de cigarettes à finir avant de passer au vapotage.
Avez-vous l'impression de rattraper le temps perdu?
Oui. En écrivant des chansons, dans Charlie et Causette, je rattrape dix années foutues en l'air à cause de la bibine.
Suiviez-vous la marche du monde pendant votre période d'errance?
Je ne regardais que des séries: Mafiosa, Homeland, Breaking Bad, Walking Dead... Et, vaguement, les infos. J'ai bien sûr été bouleversé par les attentats parisiens. À Charlie Hebdo, où j'ai perdu tant d'amis, l'Hyper Cacher, le Bataclan, Le Petit Cambodge, La Belle Équipe. J'étais anéanti par cette barbarie due à une minorité infime de l'islam.
Ces événements vous ont inspiré J'ai embrassé un flic et Hyper Cacher. Avez-vous écrit ces chansons rapidement?
Oui. À chaud. Comme Miss Maggie, que j'avais écrite en 1985 dans la nuit suivant le drame du Heysel. En voyant le comportement de ces cinglés de hooligans, j'ai voulu rendre un hommage aux femmes du monde, avec un croche-pied à Margaret Thatcher.
Que vous inspire la France d'aujourd'hui?
Je suis profondément désabusé par la politique, notamment celle dite de gauche de ce gouvernement pourri qui vote des lois que même la droite n'aurait pas osé voter, sur la réforme du Code du travail ou la déchéance de nationalité. Une gauche qui remet des médailles à l'Arabie saoudite qui mène une guerre infâme au Yémen. Plus jamais je ne donnerai ma voix aux socialistes. Par contre, il y a des individus que j'aime bien. Même à droite, certains ont le visage de parfaits honnêtes hommes, comme François Fillon, ou Alain Juppé dans une moindre mesure. Je voterai peut-être pour lui s'il est face à Marine, ce qui est probable. Sarkozy, non. Un type qui condamne un prisonnier politique corse (Yvan Colonna) avant même son jugement en le traitant d'assassin, avec des juges à sa botte qui confirment cette sentence... Je ne l'aime pas beaucoup. Je regrette que Nicolas Hulot ne se soit pas présenté à la dernière présidentielle. J'aurais voté pour lui les yeux fermés.
La plupart des musiques de votre album sont signées Michaël Ohayon. Pourquoi?
J'ai un peu la flemme de composer moi-même: je suis un piètre guitariste, j'arrive à m'accompagner sur scène mais les accords barrés, les neuvièmes, les sixièmes diminués, j'ai du mal. Je me suis dit: «Je vais être auteur avant tout.»
Le son est majoritairement acoustique...
Je suis parti à l'aventure en confiant mes chansons à Michaël Ohayon, qui était considéré par mon orchestre - en particulier par Bucolo (le compositeur historique de Renaud, NDLR) - comme un second couteau et qui s'est avéré une lame bien affûtée. Il m'a fait de putains de belles compositions, une putain de belle réalisation et de putains de beaux arrangements. Pardon pour les gros mots.
La chanson Mulholland Drive est assez surprenante, de votre part...
J'ai plutôt fait des road-movies qui se passaient entre Argenteuil et La Courneuve qu'à Los Angeles, c'est vrai. Mais j'avais envie de raconter la dérive de cette jeune fille américaine qui décide de partir sur les routes. C'est une ville que j'aime, où j'avais enregistré les albums Morgane de toi et Mistral gagnant et où je suis retourné il y a dix-quinze ans.
Vos enfants continuent-ils de vous inspirer?
Il y a Lolita, ma fille de 35 ans, qui m'a rendu grand-père d'une petite Héloïse de 4 ans et demi, à qui je consacre une chanson de l'album. Et mon fils Malone, 10 ans. Il écrit des paroles de chansons depuis deux ans, joue de la batterie, du piano et je l'ai inscrit à la Sacem, où il est peut-être le plus jeune auteur.
Vous avez foi en la jeunesse?
L'enfance, oui. La jeunesse... Les adolescents, pourris par leurs iPhone, iPad, les jeux vidéo hyperviolents, la télévision et ses radiocrochets à la con avec leurs mises à mort, me désespèrent un petit peu. Mais bon, en les voyant défiler récemment contre la réforme du droit du travail, je me suis dit qu'il y avait encore des ados rebelles. Ça m'a fait chaud au cœur, même si j'ai eu tendance à applaudir les flics qui les escortaient, bizarrement.
J'ai embrassé un flic est une chanson qui a de quoi déstabiliser ceux qui aiment votre chanson Hexagone, de 1975...
Oui! «Quel retournement de veste», ils diraient. Mais non. Entre ces deux titres, il y a quarante ans d'expérience, de vécu.
Quel regard portez-vous sur vos quarante années de carrière?
Celui de l'étonnement. Je n'avais aucune ambition, je voulais chanter pour que les filles tombent amoureuses de moi avec mes chansons d'amour et faire marrer mes copains. Mon rêve était d'être comédien. Après les films Germinal et Wanted, j'ai un projet avec deux mecs que j'idolâtre, Benoît Delépine et Gustave Kervern. Ils sont en train de m'écrire un scénario. J'ai hâte de le lire et de jouer avec eux.
Vous conservez sur le disque une certaine mélancolie, d'où vient-elle?
Cioran, que j'aime bien, écrivait: «Dans un monde sans mélancolie, les rossignols se mettraient à roter.» C'est joli, cet aphorisme. Mon enfance envolée est la source de ma mélancolie. Elle était douce comme le miel, entouré de mes chers parents et de mes cinq frères et sœurs.
L'image que le public a de vous correspond-elle à la réalité?
Je ne sais pas. Les gens parlent de moi avec amour et fraternité, mais ils ignorent ma peur de la maladie, de la mort, de la vie. Même si celle-ci est merveilleuse depuis six mois. Je fais des rencontres extraordinaires. Je me couchais à minuit, titubant, fracassé. Je me réveillais à midi, plus fatigué que la veille. Maintenant je me couche à deux heures du matin et je dévore les livres. Je viens de finir le dernier Sorj Chalandon, un joyau qui m'a fait pleurer, j'ai lu Victor Hugo vient de mourir de Judith Perrignon, et là je termine un John Grisham sur la justice américaine. Je lis beaucoup de Michael Connelly aussi. Ensuite, je me réveille à 6 heures, en pleine forme. Hier, entre 7 heures et midi, j'ai écrit quatre chansons pour enfants. Je n'ai pas envie que mon prochain disque sorte dans dix ans.
Dans son nouvel album éponyme, le chanteur fait preuve d'une grande mélancolie et d'une belle douceur.
On avait laissé Renaud sur les rives de la Liffey, avec Molly Malone, un recueil de standards irlandais qu'il avait «chantés comme un goret», comme il l'avoue lui-même aujourd'hui. C'était en 2009. Depuis lors, le chanteur était aux abonnés absents. Annoncé par Toujours debout, finalement très peu représentative du reste, le nouvel album éponyme de Renaud, son premier avec des chansons originales depuis Rouge Sang (2006) ne ressemble à aucun autre dans sa discographie. Sept des titres ont été composés par Michaël Ohayon, trois sont dus à Renan Luce, son «gendre adoré», et un seul à Jean-Pierre Bucolo, collaborateur historique (Miss Maggie ou Manhattan-Kaboul) tombé en disgrâce. Dylan, déjà enregistré par Romane Serda, est quant à elle d'Alain Lanty.
L'album a le bon goût d'abriter des arrangements acoustiques, à mille lieues du rock vulgaire de Boucan d'enfer. Un son qui rehausse encore la dimension introspective de l'écriture. Inspirées par l'actualité, J'ai embrassé un flic et Hyper Cacher sont d'une grande tendresse et dénuées de pathos. Renaud touche en plein cœur en abordant la vieillesse, sur Mon Anniv et La vie est moche et c'est trop court.
Très intimes, Héloïse, Petit Bonhomme et Ta batterie sont consacrées à sa descendance et poursuivent le registre familial amorcé avec En cloque et Morgane de toi dans les années 1980. La voix est abîmée, le débit plus lent, l'humour plus rare sur ce disque d'une grande mélancolie et d'une belle douceur. Véritable autoportrait en creux, Les Mots constitue le sommet du disque. Renaud y cite ses héros Hugo et Nougaro, rendant hommage à l'écriture qui «rend la vie moins dégueulasse».
Renaud, de Renaud (Parlophone, Warner), sortie le 8 avril. En tournée, Phénix Tour, à partir du 1er octobre à Évry.
Couverture du Causette numéro 66 d'avril 2016.
L'article :
Début de l'article au format texte :
« J’ai l’impression que le destin a fait “plouf, plouf, ce sera toi qui seras célèbre, toi qui auras du succès et de l’argent”. Ça me fait culpabiliser en permanence. J’ai l’impression d’avoir fait si peu de choses. » Ce peu de choses, c’est plus de vingt millions d’albums vendus en quarante ans de carrière. Des générations successives se sont aimées ou ont manifesté sur ses chansons. Aussi résistantes que lui. On l’a cru fini, enseveli dans l’alcool depuis dix ans, et le revoilà ! Il pérore : « Toujours debout ! » Pour preuve, Renaud nous a invitées à le suivre de Paris à L ’ Isle-sur-la-Sorgue.
« Tu sais faire ça, toi ? Comment je fais pour transférer ce lien ? » Renaud me tend son téléphone. On est dans l’espace fumeurs de la brasserie La Closerie des lilas, à Paris. Il est assez tôt, mais la verrière laisse le soleil envahir l’espace. Renaud ferme les yeux et renverse son visage vers les premiers rayons. Les smartphones, il ne maîtrise pas tout à fait. Ou il ne se souvient plus. Ou c’est le débit de la vie qui arrive trop fort. Il s’emmêle les pinceaux entre les sonneries incessantes (et volume à fond !), les clics des textos et les e-mails qu’il essaie de lire sur l’écran... Se souvenir que l’homme a rouvert les yeux doucement après dix ans de déprime, d’alcoolisme et de retrait de toute activité artistique. Il est de retour, « toujours vivant ». Prêt à foncer. Un nouvel album dans sa sacoche, une tournée internationale à partir d’octobre. Ce n’est plus le poulbot parigot des débuts, pas même le loubard ou la teigne, ce n’est plus Renard, même pas Renaud. Son message sur répondeur – qu’il a quand même réussi à enregistrer – l’affirme, aujourd’hui, c’est Phénix. Passé à deux doigts de la mort, il renaît de ses cendres. Alors oui, le terme Phénix est approprié. Mais, si je peux me permettre, un Phénix qui serait bâti comme un moineau. La silhouette est amaigrie, les mains tremblent encore un peu, le visage est marqué, inquiet, fébrile. Ses yeux ont conservé intact leur bleu magnifique, et dans ce bleu passent des ombres et beaucoup d’eau.
Nous retournons avec lui sur les lieux de sa retraite au monde, L’Isle-sur-la-Sorgue, dans le Vaucluse. On se retrouve sur le quai Jean-Jaurès. Renaud nous offre la visite. D’abord les bistrots : L’Isle de Beauté, Le Bouchon. Puis d’autres que j’ai oubliés. « Là, c’est mon tatoueur, là, mon coiffeur… » Il raconte l’histoire de la Sorgue, les barges sur l’eau, la pêche… Il est fier et amoureux de « [son] pays ». Puis direction La Pétouze, à quelques kilomètres de là. « Petit roitelet », pétouze en provençal, c’est ainsi que se nomme la grande maison familiale aux murs cuivre où il vivait retiré depuis plusieurs années. Il raconte l’histoire de cette ancienne bergerie qui appartenait à sa tante Laurette décédée il y a peu, à l’âge de 100 ans, et de son oncle médecin de campagne, « médecin des pauvres qui se levait à 1 heure du mat pour soigner des angines et se faisait payer avec un lapin ou un poulet. »
Article publié dans les éditions locales des quotidiens belges du groupe Sudpresse, à savoir La Meuse, La Nouvelle Gazette,
La Province, Nord Eclair et La Capitale.
L'article :
"Je me suis rendu à l'hôpital pour rencontrer les victimes des attentats mais l'accès m'a été refusé: je suis parti en pleurs...", raconte Renaud
Dix ans après "Rouge Sang", son dernier album studio, Renaud effectue son grand retour. Alors que son dernier single, « Toujours debout », tourne en ce moment sur les radios, son nouvel album, sobrement baptisé « Renaud », est annoncé pour le 8 avril. « Toujours vivant, rassurez-vous. Toujours la banane, toujours debout », y clame le chanteur de 63 ans. Et nous avons pu le constater. De passage à Bruxelles, samedi soir, le chanteur de "Mistral gagnant" a accordé une interview exclusive à notre journaliste.
Invité d’honneur, samedi soir, au Cirque royal, de Bruxelles, du concert de ses amis du groupe corse I Muvrini - qui ont créé, il y a douze ans, la fondation Umani, qui milite pour la non-violence -, Renaud n’a pas annulé sa venue, tenant à exprimer sa solidarité avec le peuple belge. La ville tient une place particulière dans le cœur du chanteur, il y a notamment enregistré son dernier opus. En toute simplicité, Renaud nous a reçus dans sa loge. Vêtu d’un jeans, d’un simple tee-shirt, laissant apparaître des tatouages, et de belles bottes beiges, le chanteur de « Laisse béton » nous accueille chaleureusement avec le sourire. Pour la première fois depuis les attentats qui ont frappé Bruxelles, Renaud ouvre son cœur et laisse éclater sa colère. Rencontre exclusive.
Pourquoi était-ce important pour vous d’être sur scène à Bruxelles ce week-end ?
"D’abord, par politesse. Jean-François Bernardini (le chanteur d’I Muvrini, ndlr) m’a invité. Et je n’ai pas pu décliner. C’est un très grand bonheur pour moi de participer à un spectacle, ne serait-ce que pour deux chansons. En plus de « La ballade nord irlandaise », un hymne à la non-violence, à la paix, je chante « Mistral gagnant ». Ce sont des amis que je connais depuis vingt ans. Cet été, au mois d’août, je vais les suivre dans les festivals et les grands événements populaires qui auront lieu en Corse. J’ai déjà fait plusieurs dates avec eux, en France, en Suisse… Je les suis en Belgique. Je suis à Bruxelles et ça me touche beaucoup, suite à ces attentats barbares du 22 mars. Mes amis d’I Muvrini prônent un discours de non-violence magnifique, un message pour la paix, la fraternité, l’amitié entre les peuples. Les armes ne doivent pas être une réponse aux armes, la violence ne doit pas être une réponse à la violence… Qu’on réponde par des mots et de la musique ! "
Vous avez une histoire forte avec Bruxelles !
" Oh oui ! Et avant même que je ne sois chanteur, j’ai passé plusieurs années à Bruxelles. En 1973, je venais voir des amis que j’avais rencontrés en Grèce, sur une île fabuleuse, Patmos, qui est devenue une île pourrie, comme tant d’autres, par le tourisme. C’était une île sainte, où le monastère et les popes interdisaient les bars trop bruyants et les discothèques, c’était un paradis sur terre, et c’est devenu un deuxième Mykonos. J’y ai connu une famille de Belges qui m’a fait découvrir la Belgique, le club de football d’Anderlecht, le marché aux puces de la Place du Jeu de Balle, l’Atomium, et tous les trésors de Bruxelles. Et j’ai aimé la Belgique, j’ai tout de suite aimé les Belges. Et quand j’ai commencé à chanter, en 1975, avec mon premier album, bizarrement, j’ai eu plus de succès en Belgique qu’en France. À Lyon ou Marseille, je chantais devant 300 personnes, alors qu’il y en avait 600 à Charleroi et 800 à Liège. Les Belges sont mon public de cœur, ce sont mes chéris. Je les aime infiniment ! "
Plus récemment, pour préparer et enregistrer votre nouvel album, au studio ICP, vous avez séjourné plusieurs mois dans la capitale. Que ressentez-vous lorsque vous revenez à Bruxelles et retrouvez la Belgique en deuil ?
" Je ressens une grande émotion, une grande colère et une grande amertume, devant cette barbarie universelle qui frappe le cœur de l’Europe, Bruxelles, mais qui a aussi touché le Bataclan, « Le Petit Cambodge », « La belle équipe », « La bonne bière », le magasin hyper cacher, ou mes amis de « Charlie Hebdo ». On vit dans une époque de fous, de barbares, de gens qui n’ont pas de culture, pas d’amour, pas de fraternité entre eux, qui n’aiment pas les femmes, pas la musique, pas la danse… Ils n’aiment rien, rien d’autre que la mort. Je suis venu à Bruxelles pour témoigner ma solidarité. Cet après-midi, je me suis rendu à l’Hôpital militaire de Neder-over-Hembeek. Je voulais rencontrer des rescapés des attentats, des blessés, des adolescents, des enfants… Malheureusement, l’accès m’a été refusé par des militaires. « Vous n’êtes pas de la famille ! » J’ai répondu : « Mais je suis de la famille ! Les p’tits Belges, c’est ma famille, c’est mes frères ! » (Une larme perle au coin de l’œil.) « Vous n’êtes pas de la famille, vous ne pouvez pas rentrer », m’a dit le militaire. J’aurais aimé rencontrer ces gamins, les réconforter, les consoler, les rassurer, leur apporter toute ma fraternité, ma tendresse, mon empathie, ma compassion, pour eux et leur famille. Donc, je suis parti de l’hôpital en pleurs ".
Votre nouvel album paraîtra le 8 avril. Le premier single s’intitule "Toujours debout"…
"Et les Belges doivent rester debout, malgré le chagrin, la perte d’un être cher… Rester debout, résister, lutter… Je leur fais confiance pour ça ! "
Couverture du Matin du 21/03/2016.
L'article
«Je suis sobre depuis six mois!» Renaud —
Malgré une bronchite, il est monté sur?scène avec I?Muvrini ce week-end en Suisse. Confidences en coulisses samedi soir à Montreux.
Sa frange blonde a légèrement cédé la place au gris, ses poches sous les yeux trahissent des années de lutte contre ses démons, son pas est parfois hésitant, mais Renaud, 63?ans, est «toujours debout», du nom de son tout nouveau single, et l’a encore prouvé samedi soir à Montreux. Invité sur scène par ses amis du groupe I?Muvrini pour deux chansons, Renaud a hypnotisé la salle. L’aura de la légende n’a pas faibli d’un iota. Ni son humilité. De ses yeux azur, face à l’audience debout, il semble dire: «Je ne mérite pas tout ça.» Et pourtant: son duo avec les frères Bernardini sur «La ballade nord-irlandaise» met le public en transe. Ils enchaînent avec un «Mistral gagnant» à donner la chair de poule. L’émotion est à son comble. On s’assoirait bien «cinq minutes sur un banc» avec lui, pour «parler du bon temps» à venir: son album «Renaud», le 8 avril, et sa tournée «Phénix», qui s’arrêtera notamment le 26 janvier 2017 à Genève.
Il s’est mis au sport
La nouvelle de la venue de Renaud à Montreux avait été divulguée par la star elle-même sur Facebook quelques heures avant le concert. Il avait déjà chanté avec I?Muvrini le 7 mars à Lyon et devait aussi se produire avec eux hier soir à Yverdon. Pourtant, lorsqu’il s’avance sur la scène du Stravinski plein à craquer, la surprise est de taille pour beaucoup. Car Jean-François Bernardini avait plaisanté peu avant: «Renaud devait être là, mais une bronchite l’en a empêché.» Derrière le rideau, durant le concert, on l’avait aperçu, assis, cigarette à la bouche. «Et pas qu’une!» nous confiera Renaud, après le concert exceptionnel d’I?Muvrini de plus de deux heures trente. «J’en fume quarante par jour, hélas. J’avais réduit à quinze mais je suis vite remonté. Je suis toujours esclave, victime, de l’industrie du tabac», soupire-t-il.
Tant pis, il a une autre grande raison de se réjouir: «Le 21 mars, cela fait exactement six?mois que je suis sobre. Six mois sans une goutte d’alcool! Rien!» Monsieur Renard est bien parti, laissant sa place à Renaud le Phénix. Dans le livre d’or du Stravinski, il écrit pour son ami Jean-François Bernardini: «Merci fratellu caru! Amitiés, Renaud.» Avec le sigle de l’anarchie en guise d’A majuscule. On ne le change pas. Et c’est tant mieux. Il a vendu plus de 20 millions de disques, mais ce qui frappe d’abord chez Renaud, c’est la gentillesse avec laquelle il nous accueille. Et sa simplicité: «Pourquoi j’ai un T-shirt avec le drapeau américain? Je ne suis pas un homme-sandwich, je l’ai choisi au hasard aux Galeries Lafayette. J’aimais bien les couleurs.» Comment se prépare-t-il à la sortie imminente de son album? «Avec la crainte des interviews, de la promotion, des télés, des radios, de la presse…» Il nous sourit. «Je me prépare en chauffant ma voix, pour monter d’un demi-ton. En faisant un peu de gym, du vélo d’appartement. Enfin, Jean-François m’a offert un vélo d’appartement, mais je ne l’ai pas encore utilisé. Il est à Paris. Il m’attend.»
Cette relation avec les Bernardini est de ces amitiés solides qu’aime le Parisien: «C’est un lien d’amour, un lien très fort qui nous unit. L’amour de la Corse, du peuple corse, l’amour de cette langue qui est en train de disparaître, de s’éteindre.» Une langue dont il ne connaît que «quelques mots», mais qui le transperce à chaque fois au cœur, lorsqu’il entend ses amis chanter. «On s’est rencontrés après un de leurs concerts il y a quinze ans. J’étais sous le charme. Depuis on reste en contact régulièrement, on s’écrit des mails, des textos. Ils m’ont invité à venir chanter avec eux en Suisse, et j’ai accepté malgré cette bronchite qui m’a terrassé pendant quinze?jours. Alors j’avais des oreillettes pour caler ma voix. On ne remarquait rien?» Rien! «C’était un moment magique pour moi.» Et admiratif: «C’est le plus grand groupe de rock du monde! Je comprends qu’ils aient fait un duo avec Sting.»
«Une sincerité désarmante»
Jean-François Bernardini, fondateur avec son frère Alain du groupe au sein duquel chante aussi Stéphane Mangiantini, nous détaille leur amitié: «Entre ses textes et notre parcours, il y a un dénominateur commun énorme», explique celui qui s’engage pour la non-violence en donnant des conférences. Lundi, il sera dans ce but à Peseux, puis à Moutier. Le Corse poursuit: «Renaud n’est pas un amuseur public. C’est un chanteur qui a des tripes, qui n’a jamais sa conscience au repos. Il est d’une sincérité désarmante. Pour monter sur scène avec une bronchite, il faut avoir du cœur. Il accompagne aussi la Fondation Umani. Sa simplicité, c’est rare. Ce n’est pas showbiz.»
Avant de prendre congé, Renaud nous demande: «Je trouverai «Le Matin» lundi à Yverdon pour voir votre article?» Quant à nous, on se réjouit de le voir le 10 avril sur le plateau de «Vivement dimanche» puis dans «30 millions d’amis». Il explique: «J’ai un chien et un chat. L’espèce animale, qu’on maltraite, me touche infiniment.»
Encart
Renaud renaît de ses cendres tel le Phénix et sort le 8 avril, avant son «Phénix Tour», son nouvel opus, simplement baptisé «Renaud», dont est extrait le single «Toujours debout». «Un album merveilleux, promet Jean-François Bernardini d’I Muvrini. Il a une capacité de renouvellement extraordinaire. 2015 a été une année de chaos et il a trouvé les mots, la manière de traduire ça, de le sublimer. C’est du Renaud!»
Couverture du Télérama numéro 3453 du 16/03/2016.
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Interview de Renaud au sujet de la vente d'une partie de sa collection de BD chez la maison de ventes aux
enchères Artcurial le 30
avril 2016 à Paris
Extrait de la page 25 :
L'interview par Béatrice de Rochebouët
INTERVIEW - De Bastia, le chanteur commente ses quarante-cinq ans de passion pour la BD.
Renaud: « Je rêve de posséder une planche originale du “Lotus bleu” »
LE FIGARO. - Pourquoi cette vente?
RENAUD. -J'ai plus de 4000 albums. Je ne me sépare que d'une centaine, pour beaucoup des doubles dont je conserve un exemplaire à l'état neuf. Un jour, je donnerai tout à ma fille ou au Musée d'Angoulême. S'il est passionnant de constituer une collection, à la recherche de la pièce rare, il est désespérant de constater qu'une fois achetées et lues, mes BD s'accumulent, prennent la poussière, se meurent doucement. J'ai un peu l'impression de vivre entouré de cadavres…
«La collectionnite m'a pris, m'a rendu fou. J'allais régulièrement à Bruxelles et rentrais à Paris le coffre plein de dizaines de cartons bourrés. Accumuler les livres, c'est une façon de conjurer la mort en imaginant qu'on aura sur nos vieux jours l'occasion de les lire…»
Comment avez-vous commencé?
J'ai d'abord acheté quelques albums «modernes» genre Floch, Manara, Walter Minus, Denis Sire, etc. Puis j'ai découvert chez un libraire belge des albums anciens, des Dupuis, Lombard, Casterman, Dargaud, et j'ai eu un sérieux coup de blues à revoir des BD de mon enfance… J'ai alors commencé une «collec» dont je pensais qu'elle se limiterait à une trentaine d'albums, les cultes de ma jeunesse: Alix, Jerry Spring, Blake et Mortimer, Lucky Luke, Buck Danny, Bob de Moor et, bien sûr, quelques Tintin et Spirou… Et puis la collectionnite m'a pris, m'a rendu fou. Je suis devenu accro à toute la BD belge. Avec un amour particulier pour Spirou, Rob-Vel d'abord, puis Jijé et enfin Franquin. J'étais un néophyte, j'achetais tout et n'importe quoi, dans n'importe quel état et à n'importe quel prix. En premières éditions quand même. J'ai vu les prix grimper d'année en année (et mes droits d'auteurs diminuer d'autant). J'allais régulièrement à Bruxelles et rentrais à Paris le coffre plein de dizaines de cartons bourrés. Accumuler les livres, c'est une façon de conjurer la mort en imaginant qu'on aura sur nos vieux jours l'occasion de les lire…
Quel est votre personnage préféré?
Gaston Lagaffe pour son côté bohème et flemmardos, prêt à tout mais bon à rien. Et puis Enak, le compagnon d'Alix l'intrépide, jeune et bel esclave qui me faisait rêver enfant par son côté timide et révolté à la fois. J'ai une tendresse particulière pour les planches d'Hergé, de Jijé, de Le Rallic et de Calvo et, pour citer les plus modernes, j'aime infiniment les planches de Manara, d'Enki Bilal, de Walter Minus ou d'Yves Chaland. Mon rêve serait de posséder une planche de Tintin, issue du Lotus bleu ou de Tintin au Tibet.
Quelles sont vos planches fétiches?
La double planche du Sceptre que la veuve de Le Rallic me céda à l'époque pour 100.000 francs. C'était là ma plus importante dépense, mais je ne regrette rien puisque aujourd'hui elle en vaut pas loin de cinq fois plus. Je ne la vends pas pour spéculer, ni pour l'appât du gain, mais pour aider ma fille. J'adore aussi Quick et Flupke. C'est la poésie de la rue, l'enfance et les «chaussettes à clous». J'y vois un peu du Robert Doisneau, du Albert Lamorisse en bulles, des «petites canailles» sorties du feuilleton de notre enfance.
Quelle est votre plus belle anecdote?
Une vente à Drouot où j'ai payé une fortune un album cartonné de Tif et Tondu pendant qu'un «escroc» faisait monter les enchères systématiquement après moi, accro devant cet album introuvable. Moi, je le voulais à n'importe quel prix. C'est à ce prix-là que je l'ai eu.
INFO LE FIGARO - Le chanteur, dont le nouvel album doit sortir le 8 avril, vend une partie de sa collection de BD le 30 avril, chez Artcurial. Hergé en est la vedette. Posséder une planche originale d'Hergé est le rêve de tout amoureux de bande dessinée. Avec son âme d'éternel enfant, Renaud, 63 ans, fait partie de ces quelques chanceux. Tintin a croisé son chemin à la fin des années 1980 avec Le Sceptre d'Ottokar publié en 1939 aux Éditions Casterman. À l'époque, une planche à l'encre de Chine valait moins de 100.000 francs, déjà un bon prix pour cette figure de la BD dont la cote d'amour a toujours été très à part. Le chanteur eut la chance d'acheter à la veuve d'un autre collectionneur et dessinateur la double page de «Fin», inscrit en lettres capitales dans le coin droit, de ce huitième album mythique découvert par le public dansLe Petit Vingtième. Celle-ci marque aussi la fin d'une histoire pour l'auteur-compositeur, qui se sépare d'une partie de sa collection, environ 200 pièces, le 30 avril chez Artcurial, trois semaines après son retour tant attendu à la chanson. Est-ce le clin d'œil génial du Petit Reporter prenant à témoin le lecteur qui a séduit Renaud? Nul doute, car on ne peut s'empêcher de sourire en prévision de la mésaventure que vont connaître nos célèbres Dupont(d) en franchissant la porte de l'hydravion. À «Mon Dieu !… Que se passe-t-il ?… Nous tombons à la mer !!…», Tintin leur répond : «Nous amerrissons.» Mais la catastrophe est inévitable. Leur chute met fin aux incroyables aventures du héros d'Hergé jusqu'en Syldavie pour déjouer le complot visant à renverser le roi Muskar XII et lui voler son fameux sceptre d'Ottokar. Spécialement recherchée, cette planche risque de se vendre une nouvelle fois à prix d'or, tant cet album est devenu mythique par son histoire. On y suit l'épopée de Tintin parvenant à empêcher une tentative d'annexion de la Syldavie par la Bordurie voisine, écho direct à l'Anschluss. Les premières planches du Sceptre d'Ottokar sont publiées dans la presse seulement cinq mois après l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne, le 12 mars 1938. Deux autres annexions similaires, celle de la région des Sudètes au IIIe Reich en septembre 1938 puis de l'Albanie à l'Italie en avril 1939, auront lieu avant qu'Hergé ne mette un point final à son histoire. À sa sortie, l'album où Hergé prend clairement position en faveur d'un règlement pacifique des conflits collait parfaitement à l'actualité. D'où son énorme succès.
«Un vrai connaisseur»
Que peut valoir cette double planche en noir et blanc parfaitement datée et signée? Le 24 octobre 2015, une autre double planche du même album, la 95 et 96e publiée dans Le Petit Vingtième le 6 juillet 1939, mettant en scène la tentative de fuite de Tintin à bord d'un avion de chasse, s'était envolée à 1,5 million d'euros, chez Sotheby's à Paris. Elle provenait de la célèbre collection de Jean-Arnold Schoofs. Celle d'Artcurial est estimée 600.000 à 800.000 euros et porte aussi un pedigree, peut-être plus médiatique encore, car Renaud est connu des amateurs de BD pour être un collectionneur de la vieille école, préférant souvent les albums aux planches seules pour en faire des pans de murs. «C'est parce qu'il a aimé les lire avec une âme de poète archisensible qu'il est venu à la collection, raconte son ami expert et lui aussi collectionneur, Éric Leroy. C'est un vrai connaisseur, passionné de la première heure, qui a dévoré tous les classiques des années 1930 à 1960, de Calvo à Le Rallic, en passant par Alix, Spirou, Chlorophylle, Tif et Tonduou Blake et Mortimer. Il est à l'inverse des acheteurs d'aujourd'hui, qui veulent des pièces iconiques, comme celles de Tintin, ou des planches spectaculaires, hautes en couleur, à l'image de celles d'Enki Bilal ou de Nicolas de Crécy, pour les accrocher sur leurs murs comme des tableaux.» En fait, Renaud possède tous les grands auteurs qui ont marqué l'histoire de la BD. «C'est un peu l'équivalent de la bibliothèque de Pierre Bergé pour la littérature», ajoute Éric Leroy.
«C'est parce que Renaud a aimé les lire avec une âme de poète archisensible qu'il est venu à la collection» Éric Leroy
Chez Renaud, les BD étaient dans sa bibliothèque, bourrée à craquer de volumes et de figurines en tout genre. Il montait sur une chaise pour sortir l'un de ces fameux Spirou dont il est fan. Aujourd'hui, il a décidé de ne se séparer que d'une petite partie de cette collection accumulée sur plus de quarante ans. «Celle-ci a déjà déménagé quatre fois avec moi, a-t-il expliqué à Éric Leroy. J'ai vécu avec elle merveilleusement pendant des années. Mais maintenant, je lis moins qu'avant. J'ai envie de tourner la page.»
Précieux carnet de croquis
Hergé disait que la BD, c'est raconter une histoire. Les pièces choisies par Renaud racontent aussi la sienne. À l'image de cette aquarelle, mettant en scène un Gavroche chantant, assis de dos, au sommet de la butte Montmartre, une guitare à la main. C'est son ami Max Cabanes qui a réalisé cette couverture pour Le Temps des noyaux, clin d'œil au Temps des cerises, recueil de ses chansons. Plus emblématique : Quick et Flupke, ces deux enfants des rues de Bruxelles causant toutes sortes d'accidents avec des engins aussi inutiles que dangereux. Renaud, le trublion de Paris, se reconnaît sûrement dans les gamins de Marolles, dont les folles aventures leur valent toutes sortes d'ennuis. À l'encre de Chine, la planche 78 de l'album publié en 1937 aux Éditions Casterman pourrait dépasser son estimation de 80.000 à 120.000 euros. Quelques lots plus loin, on découvre un précieux carnet de croquis à la mine de plomb et à l'encre de Chine datant de 1933, sorte de boîte à idées d'Hergé qui barrait d'un trait rouge la page quand il l'avait déjà exploitée (estimation 10.000 à 15.000 euros). On y retrouve sa fameuse ligne claire, celle qui swingue et fait plus que jamais vibrer les foules de collectionneurs.
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(Affichez l'image dans un nouvel onglet pour qu'elle soit plus lisible)
Couverture du Causette numéro 66 d'avril 2016.
L'article :
Début de la chronique à Renaud en format texte :
Je sais pas ce qui m’arrive, depuis plus d’un an, j’arrête pas de pleurer. D’abord à cause des attentats de Charlie, puis de ceux du Bataclan, du Petit Cambodge, etc. J’ai versé des larmes de sang. Puis pour le comportement des flics, pompiers et civils découvrant les morts ou secourant les blessés en pleurant comme moi, pleuré chez Charlie pour des amis proches, au Bataclan pour des ami(e)s de ma fille, larmes mêlées aux siennes. Pleuré encore en songeant aux orphelins de toutes ces victimes, de toute cette barbarie.
J’ai pleuré aussi à la lecture de toutes les lettres, mails, textos ou autres posts envoyés sur mes différents sites de fans, j’ai eu les larmes aux yeux à l’écoute de tous ces témoignages écoutés avec attention en ma cantine de la Closerie des lilas, cantine squattée, vampirisée par ces centaines de fidèles venus de France, Suisse ou Belgique pour m’arracher un sourire, une poignée de main, un autographe ou, pire, un selfie… Tout ça grâce à mon « retour » attendu, semble-t-il, par des centaines de milliers d’acharnés de moi, de mes chansonnettes, de mes idées à la con, idées et comportements qui, selon eux, les font vivre et tenir debout.
L'article en mode texte
La renaissance de Renaud
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Renaud, cet automne, aux studios ICP à Bruxelles, où le «?chanteur énervant?» a enregistré pendant quatre mois.
Huit ans après son dernier concert à la Cigale, Renaud va sortir un album. La résurrection qu’attendait son public.
Clope au bec, attablé à la terrasse de La Closerie des lilas, Renaud regarde son verre plutôt que Dominique, sa première épouse et mère de Lolita, le médecin addictologue qui a fait spécialement le déplacement, ou encore moi-même. Ce 2?septembre?2015, nous tentons une nouvelle fois de le convaincre de partir se mettre au vert, au moins pendant quelques jours, avant d’entrer en studio pour démarrer la production de son nouvel album. Voilà trois mois qu’il s’est enfin décidé à écrire, après le silence de huit ans qui a suivi son dernier concert de six heures à la Cigale, offert à ses fans le 29?septembre 2007.
Se soigner, il s’y est résolu mollement, reculant toujours devant l’obstacle. Cette fois, il se dit prêt et donne rendez-vous au médecin le lendemain, à 11?heures, à son domicile parisien, pour organiser la prise en charge. Mais, le lendemain, à l’heure prévue, sa porte est close. Par un bref SMS, il justifie son absence?: «?Je suis parti à Bruxelles, au studio.?» La santé peut bien attendre, certainement pas la création…
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Une partie de fipper pour passer le temps : dans le hall des studios ICP, Renaud patiente entre deux prises de son. © David Séchan
Nous sommes le 24?novembre?2015, soit onze jours après les dramatiques attaques terroristes de Paris. Je débarque gare de Bruxelles-Midi, pour le rejoindre. La capitale belge est en état d’urgence, les chars sont dans la rue. L’avenue Louise, sorte de tristes Champs-Elysées locaux, est déserte. Renaud se trouve à quelques encablures de là, à Ixelles, tranquille quartier résidentiel où sont nichés les mythiques studios ICP, parmi les plus célèbres d’Europe. Lady Gaga, Pharrell Williams, Johnny, Vanessa Paradis, Goldman et bien d’autres ont séjourné dans ce havre de paix, planqué au fond d’une allée derrière de hauts murs de brique typiques du Nord. Ce cher Nord pour lequel Renaud éprouve une affection particulière, liée aux origines de notre mère. A 13?ans, son père, Oscar, poussait les chariots au fond de la mine à Douai. Il ne se privait pas de nous le rappeler lorsque, jeunes adultes, nos vies de bohème de post-soixante-huitards l’excédaient. Quel contraste avec notre grand-père paternel, éminent mandarin helléniste et professeur de poésie grecque à la Sorbonne?! Le prolétariat d’un côté, la petite bourgeoisie intellectuelle de l’autre… Une belle dichotomie qui a assurément influencé Renaud.
Il reçoit au studio les visites de sa famille et de Renan Luce, qui a écrit pour lui
Chez ICP, on est comme en famille. On y travaille, on y mange, on y dort. Le très sympathique John Hastry, propriétaire et manageur des lieux, à l’allure toujours rock avec cheveux longs sur blouson de cuir, est aux petits soins pour ses artistes de clients. Depuis près de trois mois, il s’est donné pour mission la remise en forme et la reconstruction de Renaud. Ces deux-là se connaissent bien. C’est ici, en effet, que Renaud a enregistré ses deux précédents albums, «?Boucan d’enfer?» et «?Rouge Sang?», en sortant déjà de longues périodes de claustration. John sait donc comment gérer la présence de l’oiseau au studio. Il faut dire que Renaud est arrivé épuisé à Bruxelles. Une hygiène de vie déplorable conjuguée à une déprime coriace, identique à celles qu’il connaît périodiquement depuis le mitan des années 1980, l’ont beaucoup diminué. La prescription du maître de céans est rude?: plus une goutte d’alcool, pas de sorties nocturnes, séjour de deux semaines dans une clinique bruxelloise pour un check-up complet suivi d’une prise en charge médicale, régime alimentaire strict à base de crudités et de légumes, le tout copieusement arrosé d’eau minérale belge… De quoi rebuter au premier abord Renaud, depuis toujours amateur incurable de la pasta italienne et d’une célèbre boisson anisée marseillaise…
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Crayon dans une main et guitare dans l’autre, pendant l’enregistrement d’une chanson, à Bruxelles : il ajuste et affine ses textes jusqu’au dernier moment.
Mais mon jumeau en a vu d’autres. Au cours de sa carrière, il est revenu d’états bien plus désespérés, notamment avant l’enregistrement de «?Boucan d’enfer?», en 2002. Il se plie docilement à cette discipline un peu spartiate et, petit à petit, remonte la pente. Cloîtré dans son studio, il résiste vaillamment aux sirènes éthyliques et à l’attraction de la nuit. Lors de ses rares sorties, il est accompagné d’un membre de l’équipe, pour éviter que les vieux démons ne resurgissent. C’est que les bistros belges sont sacrément accueillants… Ce ne sont, au bout du compte, que précautions inutiles tant Renaud a la volonté de tirer un trait définitif sur ces années passées à broyer du noir sous le ciel bleu de Provence, dans son joli mas situé sur les hauteurs de L’Isle-sur-la-Sorgue. C’est là que, durant nos années de jeunesse, nous nous retrouvions chaque été avec nos cousins du cru. Au décès du propriétaire, notre oncle Milo, médecin humaniste et généreux qui courait souvent la campagne pour soigner gracieusement les plus démunis, Renaud a acquis ce domaine chargé de tant de souvenirs heureux, auprès de notre chère tante Laurette, pour en faire une propriété ouverte à sa famille et à ses amis.
Renaud n’a maintenant plus qu’une idée en tête?: terminer son disque et remonter sur scène. Il compte les jours. Non de la date qui le sépare de la sortie de son album, mais du temps passé depuis son arrêt de l’alcool. A chacune de mes visites, il m’accueille en égrenant fièrement le nombre de jours d’abstinence «?63?!?», «?82?!?», «?90 jours?!?»… Et j’y perçois tout le bonheur d’être enfin sorti de cet engrenage destructeur, de s’en éloigner chaque heure un peu plus.
Les attentats contre «?Charlie Hebdo?», auxquels se sont ajoutées les tueries du 13?novembre, l’ont terriblement ébranlé. Un électrochoc qui l’a sorti de son abattement et de son atonie. Impossible pour lui de rester muet face à cette barbarie obscurantiste qui s’en prend à la jeunesse, à la culture, et lui a enlevé nombre d’amis. Ceux de «?Charlie?», bien sûr, son cher journal, qu’il a aidé à remonter en 1992 et pour lequel il a écrit, entre?1992 et?1996, des chroniques mordantes et drolatiques, «?Renaud bille en tête?» et «?Envoyé spécial chez moi?». «?Charlie?» et toute sa bande d’iconoclastes, Cabu, Tignous, Wolinski, Honoré et les autres, tous aujourd’hui disparus et avec qui Renaud a partagé tant de rigolades, de ferveur et d’amitié… Alors, le stylo est ressorti d’une poche longtemps oubliée et les mots ont pris corps pour dire l’innommable dans la chanson «?Hyper Cacher?» ou témoigner, à la manière de Brassens, de l’immense solidarité de la nation dans «?J’ai embrassé un flic?».
Au fur et à mesure de mes visites, je le vois s’animer, sortir progressivement du mutisme bougon dans lequel il végétait depuis tant de mois. Avec l’humour reviennent les bons mots, les anecdotes savoureuses et, surtout, l’envie. Envie de vivre, de créer, de retrouver le public qui le soutient fidèlement depuis ces années de désespérance, notamment à travers les réseaux sociaux?: Facebook rassemble une communauté de dizaines de milliers de fans. Sa propre page compte plus de 1?million de «?likes?»?! Alors que le monde à l’extérieur vit des jours de terreur, Renaud renaît lentement de ses cendres, tel le Phénix de la légende antique.
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Devant le billard américain des studios ICP, un modèle qu’on retrouve dans les bars. Mais ici on se désaltère uniquement à l’eau. © David Séchan
Dans un studio annexe, Michel Polnareff enregistre depuis de nombreux mois. Les deux hommes s’étaient rencontrés en 1983, à Los Angeles, alors que Renaud enregistrait «?Morgane de toi?». Autant dire qu’ils ne se connaissent pas. Un voisinage aimable et respectueux s’est rapidement installé entre ces deux poids lourds de la chanson française. Ils se saluent quand ils se croisent, mais ne se parlent guère. Les deux sont dans leur bulle. Chacun chez soi… et les moutons seront bien gardés. L’un, de retour au bercail, prépare son retour à Bercy, quand l’autre, de retour des abîmes, se prépare au retour vers les cimes.
Qui connaît la vie de studio sait que celle-ci est souvent longue et fastidieuse. Des heures entières, voire des jours, sont nécessaires pour parfaire une orchestration, un arrangement, régler et enregistrer une voix. Tandis que réalisateur et techniciens s’affairent, l’artiste patiente généralement dans une antichambre aux allures de salon, tentant avec difficulté de tuer le temps. Renaud n’est pas d’une placidité exemplaire durant ces longues périodes d’inaction. Je le surprends souvent passant la tête par la porte capitonnée de la cabine pour lancer quelques anathèmes bien sentis au réalisateur de l’album, beaucoup trop lent à son goût. Mais Michaël Ohayon, un brun bouclé à la cinquantaine rieuse, a le dos large et prend ces avanies répétées avec la philosophie des vieux sages de studio.
Quand j’écoute ses nouvelles chansons, je retrouve sa poésie, son humanité
Les journées passent ainsi. Entre les prises de voix et les repas où toute la petite équipe se retrouve, Renaud reste pendu au téléphone, appelant sa famille, ses amis, son agent, sa maison de disques, pour organiser méticuleusement la conception et la production de son album. Il a reçu, durant ces trois mois, de nombreuses visites?: sa fille, Lolita, Dominique, Romane et Malone, Renan Luce, qui a composé plusieurs chansons de l’album, Vincent Lindon, l’écrivain Henri Lœvenbruck, Grand Corps malade, Manu Katché, Jean-Louis Aubert, Philippe Val, Gilbert Rozon, son avocat et ami Stéphane Loisy, son agent, des représentants de sa maison de disques… Certains passent quelques heures, quand d’autres restent plusieurs jours. Renaud est heureux de les voir, même s’il ne se montre pas vraiment bavard avec eux. Depuis toujours, la présence des autres à ses côtés lui est indispensable. Tant pis s’il n’assure, le plus souvent, que le service minimum question conversation. Tout ce beau monde l’a encouragé, soutenu, houspillé parfois, afin que la métamorphose physique et artistique puisse une nouvelle fois se réaliser.
Généralement, en début d’après-midi, Renaud se lève, range son téléphone et annonce à la cantonade?: «?J’vais au cinoche?!?» Et il part, les bras chargés de DVD, dans sa chambre équipée d’un écran plat dernier cri. De la série?B à foison, du navet en veux-tu en voilà, et, parfois, un vrai chef-d’œuvre kitsch… Il les regarde allongé sur son lit, en fumant comme un sapeur. C’est sa détente, son évasion, sa catharsis. Immanquablement, nous le voyons revenir au bout de quelques heures, les bras toujours encombrés de ses vidéos, en nous déclarant d’un ton faussement indigné?: «?Quelles merdes, ces films?!?» John, le patron, se marre et part chercher dans ses remises une nouvelle caisse, remplie de nanars. Renaud la fouille à la recherche de pépites inclassables. Le dernier mois de son séjour, et sur les conseils de son fidèle assistant Bloodi, il visionne en continu quelques séries cultes dont «?Breaking Bad?», «?Walking Dead?» ou «?Life on Mars?». Une vraie boulimie de fictions et d’aventures pour une imagination restée sans doute trop longtemps en sommeil.
L’accouchement est dur, il est vrai, tant la voix maltraitée par ces années d’abus doit être travaillée. Les prises succèdent aux prises, et Renaud traîne des pieds pour retourner chanter. Je lui rappelle, pour le distraire, et en les adaptant, ces vers bien connus de Boileau?: «?Hâte-toi lentement, et sans perdre courage/Vingt fois sur le métier, remets ton ouvrage,/ Polis-le sans cesse et le repolis,/Ajoute quelquefois, et souvent efface.?» Il me regarde avec l’air navré du mec qui se désole que je ne comprenne pas l’urgence qu’il y a à terminer ce disque. Sans doute s’interroge-t-il alors sur la réalité de notre gémellité?! Ce que je comprends, moi, de son impatience, c’est que le temps presse vraiment pour celui qui a perdu autant d’années à le regarder passer…
Et puis, lors de ma visite à la mi-décembre, Michaël Ohayon me demande si je souhaite écouter les premiers premix de l’album. Evidemment, je le souhaite?! Renaud à ma suite, nous montons dans le studio de mixage. Comment dire l’émotion extrême qui m’envahit à l’écoute de ces nouvelles chansons?? Une sorte d’excitation fiévreuse et de saisissement de celui qui croyait ne plus jamais entendre cette voix et cette prose si particulières, qui ont accompagné ma vie depuis près de quarante ans. Je retrouve enfin mon frère, sa poésie, son impertinence, sa sincérité, son humanité?! Moi qui me désespérais, depuis tant d’années, de cette lente descente aux enfers, qui nous privait de toute communication intime en dehors des marmonnements lapidaires qu’il m’adressait après mes questionnements anxieux sur sa santé, je voyais nos liens se retisser avec une émotion ravageuse à la mesure de notre proximité génétique?!
Tandis que je livre mes impressions enthousiastes, Renaud, installé dans le fauteuil de l’ingénieur, ne pipe mot. Il se lève, quitte la pièce. En passant devant moi, il lâche ce commentaire laconique?: «?Mouais… c’est peut-être mon meilleur album depuis “Mistral Gagnant”.?» Ainsi, Mister Renard s’est éloigné… Renaud jure que c’est pour longtemps. Sinon pour toujours.
David Séchan (éditeur et producteur indépendant et administrateur de la Sacem).
Première page :
Article :
Renaud, retour d'enfer
Renaud sur scène aux côtés d'I Muvrini (ci-dessus,le 17 mars à Saint-Étienne)...
Alors que ses fans désespéraient de le revoir, le chanteur et son entourage organisent depuis dix mois ses retrouvailles avec son public et la scène. C'est devenu un rituel. Depuis février, Renaud rejoint régulièrement sur scène ses amis corses d'I Muvrini, Alain et Jean-François Bernardini. Lundi, la joyeuse bande était attendue dans le canton de Vaud, en Suisse, au bord du lac de Neuchâtel. Devant La Marive, petite salle de concert de la station thermale d'Yverdon-les-Bains, c'était la foule des grands jours : «935 spectateurs », précise son directeur. À la fin, sur les premières notes de La Ballade nord-irlandaise, les faisceaux blancs ont balayé la foule qui scandait «Renaud ! Renaud !» «Une bronchite l'a empêché de venir », a fait croire Alain Bernardini. Pendant cinquante-trois secondes, il y a eu un flottement dans l'air. Une voix gouailleuse reconnaissable entre mille a entonné : «J'ai voulu planter un oranger…» Tee-shirt blanc roulé sur les épaules pour mieux dévoiler ses tatouages, jean gris, santiags beiges, le chanteur poète a déboulé sur scène sous un tonnerre d'applaudissements. «Dans une forme vocale, physique et psychologique inimaginables il y a encore quelques mois », commente son plus vieil ami, l'ingénieur du son Mourad Malki, codirigeant de Potar Hurlant, société qui sonorise les concerts d'un grand nombre de chanteurs français. Un phénix. Heureux, ému d'être là, presque gêné devant tant d'amour, Renaud a fini les bras levés, son regard bleu délavé perdu vers le ciel, après une reprise magistrale de Mistral gagnant. «Un lien avec la réalité»
Pour sa tournée qui débutera en octobre à Évry, au sud de Paris, il est attendu comme le messie. «Son public a toujours été très large. De droite comme de gauche, souligne Franck Chevalier, webmaster de HLM, le site de ses fans, basé dans l'Ardèche. Aujourd'hui, les plus jeunes le découvrent grâce à Louane, qui reprend ses chansons sur scène.» Même sa fidèle productrice, Rose Léandri, n'en revient pas. Ouverte le 15 mars, la billetterie est prise d'assaut. «On pouvait imaginer des ventes importantes mais là, je vends des monceaux de places, confie-t-elle. J'avais prévu 55 dates mais il y en aura bien plus. J'ai déjà ajouté des concerts à Bruxelles, à Rennes et à Lille.» Stéphane Loisy, son avocat, l'avait pressenti : «Renaud témoigne d'une véritable intégrité tant dans son analyse de vie et de ses contemporains que dans ses prises de position fortes et toujours sincères. C'est le dernier grand artiste qui garde un lien non tronqué avec une certaine réalité sociale en y apportant poésie, humanité et humour.»
Ce retour sur scène, comme le nouvel album, attendu le 8 avril, les fans ne l'espéraient plus. Depuis huit ans, rongé par la mélancolie, il avait cessé d'écrire. Déconnecté du monde réel, il passait ses journées à siffler du pastis, du vin, de la bière. Le soir, ses amis pleuraient en le raccompagnant. Ils craignaient pour sa vie. «D'un seul coup, en mai dernier, le miracle. L'inspiration lui est revenue », témoigne son agent historique, Bertrand de Labbey. Ce déclic, personne ne l'explique.
" Une fois décidé, il a tout fait comme il faut?" Bertrand de Labbey, son agent
L'animal est trop complexe. «C'est probablement dû à un ensemble de choses», estime Mourad Malki. L'indignation face à l'assassinat de Cabu, Wolinski et Tignous, ses copains de Charlie Hebdo. La peine qu'il infligeait à ses proches. L'orgueil face à ceux qui le disaient fini. La fatigue d'être mal en point. Qui sait? Cela devait bouillonner en lui. «Une fois décidé, il a tout fait comme il faut», souligne Bertrand de Labbey. Début mai, le chanteur écrit Ta batterieavec Grand Corps Malade. Fin mai, deux autres chansons sont prêtes. Début juin, il a huit titres, puis quatorze. Il veut enregistrer au plus vite. C'est d'autant plus facile qu'il finance ses albums. Sa maison de disques Warner ne s'occupe que de la distribution des CD. Encore fallait-il bien s'entourer.
Quand on part d'aussi loin, le retour est forcément difficile. Renaud avait besoin de quelqu'un qui ait de la patience et de la gentillesse. Qui le connaisse bien, aussi. Ce sera son guitariste et compositeur Michaël Ohayon. Début septembre, à La Closerie des Lilas, son QG parisien, Renaud est promu devant Nicola Sirkis, d'Indochine, et la ministre Najat Vallaud-Belkacem chevalier de l'Ordre de la Pléiade. Photos interdites: l'auteur de Morgane de toiest encore l'ombre de lui-même. Il doit entrer en clinique à Paris pour se guérir de l'alcool. Son ex-épouse Dominique et son frère David l'y attendent en vain. «Il était parti dans la nuit pour la Belgique», raconte David Séchan. Renaud s'installe avec ses musiciens à Bruxelles chez ICP, l'un des meilleurs studios européens. «Piscine, restaurant, billard, une collection de guitares… Tout est fait pour que les artistes puissent travailler en toute sérénité», témoigne le producteur Thomas Davidson Noton, qui veille sur son ami et prend soin de sa propriété à L'Isle-sur-la-Sorgue.
Communication maîtrisée
Au bout d'une semaine, Renaud se rend compte qu'il n'arrive à rien. Il est incapable de chanter. «John Hastry, le directeur d'ICP, connaissait une clinique près des studios. En quinze jours, mon frère était sevré», témoigne David Séchan. Dès lors, la communication est vissée car les enjeux financiers sont importants. Avec cet album, Warner a des chances de faire le «coup» de l'année. Renaud, lui, n'a pas besoin de revenir pour des raisons financières.
Entre son hommage aux victimes des attentats, place de la République, début janvier, et lundi dernier en Suisse, sa voix a fait de nets progrès.
Auteur, compositeur, éditeur et producteur, il a vendu 20 millions d'albums en quarante ans. Outre les 300.000 euros que lui verserait la Sacem par an, Warner lui doit 30 % de royalties par album vendu. En décembre, l'album est terminé. Rose Léandri rejoint les garçons à Bruxelles : «Alors, la scène ?» Renaud: «OK. On y va.» Pas de chichis: six musiciens, pas de chœur ni de back-up vocal et Michaël Ohayon en directeur musical. Rose Léandri n'a plus qu'à réserver les Zénith.
Du jour au lendemain, son agenda ressemble à celui d'un ministre. Il réintègre son appartement près de Montparnasse. Lui qui a si longtemps vécu au-dessus de La Closerie des Lilas redevient un habitué du quartier. Il gère lui-même les visuels qui orneront son album et l'affiche de ses concerts. L'univers poétique du photographe Yann Orhan et du graphiste Jérôme Witz lui correspond. Rendez-vous est pris pour une séance de dix minutes chez lui, dans son salon. «Ses tatouages liés à l'univers de l'enfance comme Le Petit Prince et le prénom de son fils Malone m'ont marqué», raconte Yann Orhan. De fil en aiguille, le photographe a l'idée de le faire poser torse nu. Avec les mains croisées pour apporter de la douceur. À presque 64 ans, Renaud est touché de se voir si beau.
Électrisé par l'énergie du public
Fin janvier, Toujours debout, sa première chanson inédite depuis dix ans déclenche un million de vues sur YouTube en vingt-quatre heures. La machine marketing se met en marche. Le 7 février, il chante pour la première fois aux côtés d'I Muvrini au Zénith de Rouen. L'énergie du public l'électrise. «Il sort de scène excité comme un pou », s'amuse Mourad Malki. Le 2 mars, il reprend la plume pour Charlie Hebdo. Et raconte avec humour qu'il a «pris une branlée au Scrabble » par son petit Malone. Ce week-end, il chante à Bruxelles et à Liège avec I Muvrini. Fin mai, il présidera le rassemblement Harley Davidson à Gérardmer. «Renaud parrainera notre Bikeshow, un concours de beauté pour les motos », confie son ami biker et romancier, Henri Lœvenbruck.
Après, il lui restera à se remettre au sport, à travailler sa voix avec un professeur de chant. Et à se calmer sur la cigarette. Entre son hommage aux victimes des attentats, place de la République, début janvier, et lundi dernier en Suisse, sa voix a fait de nets progrès. Ce qui n'était pas difficile. «C'est un muscle, rappelle Rose Léandri. D'ici octobre, il l'aura consolidé.»
La galaxie Renaud par Léna Lutaud.
Découverte des proches du chanteur qui l'ont accompagné dans son retour sur le devant de la scène.
Stéphane Loisy, l'avocat
Ami et accessoirement avocat, ce Parisien veille de près sur son ami depuis dix-sept ans. À la pointe de la guerre contre les paparazzis qui traquent Renaud, il s'occupe également de ses contrats. À ses heures perdues, Stéphane Loisy est aussi écrivain. Il a cosigné plusieurs livres consacrés à des chanteurs, dont Michel Delpech et Leonard Cohen.
David séchan, le frère
Au-delà d'être le jumeau de Renaud, David Séchan le conseille souvent pour chaque décision importante. Artiste et photographe de talent (les pochettes de Morgane de toi et de Laisse béton, c'est lui), David Séchan est également un gestionnaire. Il dirige la librairie musicale Encore Merci, qui fournit des illustrations sonores pour des publicités, des documentaires… Très influent dans le monde de la musique, il est l'un des 20 membres du conseil d'administration de la Sacem. Il défend notamment le droit d'auteur à Bruxelles et à Matignon
Thomas Davidson Noton, le conseiller
Héritier du clan écossais Davidson, dont la lignée remonte au XIVe siècle, ce rocker en kilt dans les grandes occasions s'est installé en France au début des années 1960. Vedette du groupe Fantômes dont on peut admirer le jeu de jambes sur YouTube, il a longtemps été le guitariste d'Eddy Mitchell avant de passer de l'autre côté de la vitre des studios. Après avoir mixé le live à l'Olympia de Renaud en 1982, il a produit plusieurs de ses albums dont Morgane de toi. Installé lui aussi à L'Isle-sur-la-Sorgue dans le Vaucluse, il veille sur son ami et s'occupe de sa propriété.
Michaël Ohayon, le directeur musical
Guitariste et compositeur, il travaille depuis trente ans avec les plus grands, dont Francis Cabrel, Julien Clerc, Zazie, les Innocents ou encore Murray Head. Il a intégré l'équipe de Renaud en 1995 à l'occasion de la tournée de l'album À la belle de mai. Il joue un rôle essentiel dans la résurrection du chanteur. Après avoir composé plusieurs mélodies de l'album qui sortira le 8 avril, il en a dirigé l'enregistrement et sera le directeur musical de la tournée qui démarre en octobre
Rose Léandri, la productrice
Outre la gestion de Couci Couça, la société d'éditions musicales de Renaud, Rose Léandri s'occupe de toutes ses tournées. Aussi fidèle l'un que l'autre, ils travaillent main dans la main depuis plus de trente ans. À la tête des sociétés VMA et Backline Productions, cette femme d'une discrétion infinie veille aussi sur les carrières de Jacques Dutronc, Alain Souchon, Maxime Le Forestier et Jean-Louis Aubert.
Bertrand de Labbey, l'agent historique «Bébert, le roi des gangsters», voilà comment Renaud se moque affectueusement de son agent, accessoirement l'un des hommes les plus puissants du septième art et de la musique française. Entre eux, la séduction et l'admiration sont réciproques. En 1978, après le succès de Laisse béton, Renaud cherche un manager, mais arrive avec une bonne heure de retard. Avec son charme et son humour légendaire, il raconte qu'il vient de rencontrer l'amour de sa vie, une certaine Dominique (la future mère de sa fille Lola). De là naît une amitié indéfectible. En 1985, lors du transfert de Renaud de Polydor à Virgin, Bertrand de Labbey lui négocie le «contrat du siècle»: 18 millions de francs d'avance et 30 % de royalties.