AgoraVox, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 14 décembre 2009.

Renaud, ou la déchéance écologique

Il était outrageusement beau, impertinent, irrévérencieux, hors des sentiers battus dès son premier album, celui d'Hexagone en 1976 qui fustigeait une France de beaufs digne des dessins de Cabu. Une France qui avait plus collaboré que résisté, les Français criaient, vive Pétain, y avait pas beaucoup de Jean Moulin qui avait aussi raté Mai 68 et que l'auteur compositeur voulait voir crever étouffée de dinde aux marrons. Il chantait Paris, amoureux de Paname, du béton et du macadam. Un Paris qui avait failli disparaître au profit des lubies modernistes de Pompidou qui eut le bon goût de disparaître avant d'avoir totalement détruit la capitale. Le gaz carbonique était son hygiène et le bitume son paysage. Mais sous les pavés, ce n'est plus la plage pour lui et il désespère ceux qui l'ont adoré. Tout cela, c'était bien avant Ingrid Betancourt, l'écologie minable, le militantisme anti-tabac. Le rebelle est devenu un bobo consensuel sur des valeurs de gauche de salon. Celui qui gueulait à Longwy comme à Saint Lazare plus de slogan face aux flicards, mais des fusils, des pavés, des grenades a mis de l'eau dans sa bière. Mais l'alcool et le reste n'expliquent pas tout. Renaud Séchan a 57 ans et il a donné son nom a une école, c'est tout dire.

Renaud à la fin des années 70 et jusqu'au milieu des 80 était à la fois Gavroche, Poulbot, Manda, l'amant de Casque d'Or et le James Dean gringalet d'une fureur de vivre parisienne. Car il était le chanteur de l'urbain parisien populaire, des banlieues pourries quand elles avaient encore quelque chose d'humain. Tout ou presque s'est arrêté après Miss Maggie et la Socialiste, Renaud, l'anarchiste gentil, le parigot séparatiste du 14ième arrondissement, celui qui se marrait doucement avec Gainsbourg et le Professeur Choron lors de la mémorable émission en direct sur le plateau de Michel Pollack, ce Renaud n'existe plus. Il est devenu un clown pitoyable, incapable d'émettre un concept de révolte. Bob Dylan avait peut-être raison, il ne faut jamais croire quelqu'un au dessus de trente ans. Renaud n'a pas eu la chance de Rimbaud qui arrêta d'écrire pour allez trafiquer sous les tropiques, il est resté, hélas pour lui, dans le show-business. Et si l'anarchie, désormais, c'est Tokio Hotel, alors Renaud a bien raison d'avoir passé son tour et Léo Ferré n'a qu'à se retourner dans sa tombe.

Renaud a perdu la spontanéité de la jeunesse. Ses chansons qui se voulaient des caresses ou bien des coups de poing dans la gueule se sont transformées en une soupe insipide, faite pour des biens pensants de gauche. Lui qui ne voulait plus de slogans face aux flicards, mais des fusils, des pavés de grenades s'est muté en chantre mou de la défense de la planète. L'ironie que l'on retrouve dans le blême HLM l'amertume du braquage qui a foiré rue Pierre Charon, la lucidité du petit nase qui fréquente une fille de bourge et les loukoums qu'il piétine chez elle avec ses bottes d'Adieu Minette, toute cette fraîcheur, cette invention a définitivement disparu. Le Rimbaud des barrières, l'héritier de la Commune et de ses barricades, le Petit Prince des loubards n'est plus. Celui qui s'adressait aux aminches, aux enfants de sa ville et leur disait non Paris n'est pas si moche passe des week-ends à la campagne, en particulier à l'Isle-sur-Sorgues au milieu des branchés, ou à faire du bateau, comme ceux qu'il critiquait jadis. Il ira bientôt traire des chèvres sur le Larzac.

Il en serait même tombé féministe, alors qu'il entonnait jadis la femme est l'avenir des cons et l'homme est l'avenir de rien. Car il y avait du désespoir teinté d'humour dans la plupart de ses chansons. Il se tordait le cou pour mieux s'entendre rire selon les mots de Brel. Et l'on retrouvait Bruant, Bobby Lapointe, les Frères Jacques, Francis Blanche poindre sous ses textes avec l'apport complémentaire de l'irrévérence de la jeunesse post 68.

Rien à voir avec notre Johnny national qui n'a chanté que des daubes tout au long de sa surprenante carrière, en dehors de « Toute la musique que j'aime » qui est un véritable blues. L'un des derniers mérites de Renaud est de n'avoir pas rejoint la cohorte des « amis » de Sarkozy, même s'il a repris une fois Hexagone en duo avec Doc Gynéco. Certes, les textes récents de Renaud ont plus de consistance que du Barbelivien, mais est-ce vraiment une référence ?

Le début de la fin a été la participation plus qu'active au comité de soutien à Ingrid Betancourt en compagnie de la fille de la colombienne dont le mot d'ordre était Il faut libérer Maman. Piètre message politique, pour une piètre politique qui n'a jamais intéressé plus de 5% des colombiens. D'ailleurs, il y avait déjà de quoi se méfier quand elle se faisait filmer en voiture avec une petite bouteille d'eau minérale, de fins observateurs auraient pu commencer à douter de ses qualités politiques. Renaud s'est fourvoyé dans cette affaire comme le pourtant drôle, sympa et talentueux Thomas Dutronc dans le pitoyable feuilleton Hadopi. Et Renaud n'a même pas été invité à partager un sandwich avec l'héroïne en compagnie de Dominique de Villepin.

Quel avenir pour Renaud ? Refaire avec Jean-Jacques Goldman « Les enfoirés pour la Planète » en compagnie de Nicolas Hulot et toute la pléiade d'arrivistes de l'écologie. Il ne lui reste qu'à bêler avec Cabrel en déifiant Al Gore, Arthus-Bertrand et les autres escrocs du réchauffement climatique et à fustiger les industriels du tabac pour son addiction à la cigarette. Gainsbourg, pourtant plus âgé et aussi tombé à cause des Gitanes et de l'alcool n'est jamais arrivé aussi bas. Déjà, quand il chantait sa fille, c'était un peu gnangnan, mais on ne peut reprocher à un père d'aimer sa fille. Mais quand il fait la promotion de sa nouvelle compagne, Romane Serda, chanteuse qui aurait mieux fait de ne pas l'ouvrir, il atteint le sommet du ridicule.

Renaud est maintenant mûr pour passer chez Drucker, qui lui léchera les santiags et le fera passer pour un avatar de Patrick Bruel. Et il plaira aux quinquas et plus qui auront la nostalgie de l'écouter ne plus rien dire. Alors il nous reste les vieux vinyles, et les reprises en DVD des anciens titres pour rêver. Mais, il « n'a pas voulu poser ses rames sur le rivage, c'est une image » et il persiste à vivoter. Alors, surtout si on l'a beaucoup aimé, on a envie de dire à Renaud, à celui que l'on appréciait pour sa poésie, sa tendresse et ses coups de gueule salutaires : ressaisis-toi ou alors « laisse béton ! » et « marche à l'ombre ! ».

article original

Aucun commentaire

Soyez le premier à commenter !


(ne sera pas publié)