Sortie de nouvel album AgoraVox, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 4 septembre 2006.

Sarko facho, Renaud coco !

Je devine déjà la teneur des premiers commentaires qui suivront cette note. On me reprochera de "faire" dans le dérisoire, de m'intéresser à la variété et de consacrer trop de temps à Renaud. On jugera très superficiel le problème que je vais aborder et qui concerne les limites de la liberté d'expression. Peut-être, pour peu que mon texte soit publié par AgoraVox, serai-je même invectivé parce qu'à nouveau je serai amené moins à défendre Nicolas Sarkozy, qui n'a pas besoin de moi, qu'à m'indigner de la nature des attaques déversées contre lui. Nul doute que je serai catalogué par certains et privé de toute légitimité !

Comme je souhaiterais savoir me réfugier dans l'indifférence, pour ne pas réagir au quart de tour chaque fois qu'une information me stimule pour le meilleur et pour le pire ! Toutefois, à nouveau, j'ai succombé en parcourant Le Parisien qui consacre un article dans l'ensemble élogieux au nouvel album de Renaud. J'ai beaucoup aimé Renaud à sa grande époque, les tranches de vie, les fragments de société qu'avec une brutalité souvent tendre il savait offrir. Ce n'était pas de la politique partisane, c'était l'anarchisme d'un esprit libre.

Au contraire, dans son nouvel album il y a une chanson dont le titre, "Elle est facho", renvoie au portrait évidemment chargé d'une extrémiste et permet surtout une rime facile avec "Sarko". Le chanteur complète son oeuvre, si j'ose dire, en précisant qu'il avait modifié sa "chute" pour y intégrer Sarko, "le petit caporal de Neuilly, avec ses idées de haine et d'exclusion et ses provocs imbéciles". Fermez le ban et admirez le courage !

Non, la chanson n'est pas un art anodin. On aurait tort de ne pas la prendre au sérieux lorsqu'elle prétend éveiller la conscience politique de ses auditeurs. Si elle veut s'aventurer non plus sur le terrain du divertissement mais sur celui de la polémique brutale et partisane, elle pourra moins que jamais être perçue comme un plaisir flattant l'oreille. Aragon avait déjà dit à juste titre que la chanson était devenue la poésie du 20e siècle. C'est d'autant plus vrai aujourd'hui où les moyens classiques d'information et de dénonciation sont délaissés au profit d'un genre qualifié de mineur mais qui, à cause de sa facilité même et de l'adjonction d'une musique parfois entêtante, devient dominant et majeur. Aussi, comme on n'a pas le droit d'écrire n'importe quoi, on n'a plus le droit, par rectitude personnelle, de chanter n'importe quoi.

Ce qui devrait imposer un usage responsable du langage qui n'est pas mis à notre disposition pour, dans une gratuité absolue, nous servir de jouet et, éventuellement, de bombe contre autrui. La meilleure preuve de cet arbitraire est le changement de" la chute" pour y mettre un mot provocant qu'on sait inadéquat, à la place d'un autre sans doute plus conforme à la vérité du portrait, mais moins sulfureux. Cette assimilation intellectuellement absurde, politiquement offensante, de "facho" à Sarko serait du même acabit que celle qui pourrait nous conduire, en raison de ses positions systématiquement contestataires, à taxer Renaud de "coco" - réduction qu'il trouverait certainement choquante et qui porte son lourd poids de tragédies.

Ce langage délibérément erratique a pour conséquence plus dangereuse d'aggraver, dans l'esprit populaire, une confusion politique, un embrouillamini civique qui, faisant de Sarko le " facho " qu'il n'est pas, bouleversera les repères et nous habituera à penser et à parler faux. Le mot, comme dans les épopées d'Homère, n'aura plus qu'une fonction d'étiquette infamante parfaitement injustifiée mais peu importe. L'insulte et l'invective auront été lancées. A l'évidence, le langage n'est plus le moyen civilisé pour comprendre, dialoguer, éventuellement combattre les idées par les idées mais il est devenu le combat lui-même. Sarko, facho, la sonorité fait plaisir et comme elle fait mal et qu'elle est fausse, on peut compter sur Renaud pour en être satisfait et sur certains médias pour tresser des couronnes au chanteur.

Pourtant, il n'y faut plus aucun courage. Dans la quotidienneté, il est clair que, sur le plan de la bonne conscience et pour assouvir le besoin de se payer, sans risque, de mots insultants, Sarkozy a pris la place de Le Pen. Plus commodément, on prétend qu'il a pris sa place, de sorte qu'on fait d'une attaque deux cibles. D'autres, parfois, ont paru risquer les mêmes assauts scandaleux mais de manière plus ponctuelle, jamais sur ce registre lancinant et lassant. Si tel ou tel s'était trouvé confronté aux mêmes agressions que Nicolas Sarkozy - et je n'oublie pas les paroles de certains rappeurs -, qui sont d'ailleurs moins inquiétantes pour lui que lamentables pour la démocratie, je vous assure que j'aurais réagi de la même manière. Je déteste le langage qui s'octroie des facilités et se désigne des boucs émissaires quand la réflexion pousserait au moins à du scrupule et à de l'hésitation.

Enfin, que dire de Renaud lui-même qui a connu des drames intimes, des dépendances difficiles à maîtriser et qui aujourd'hui a la chance d'être "très amoureux de sa nouvelle femme" ? Lui qui aurait pu subir les effets d'une médiatisation dévoyée et les méfaits d'un langage inadapté et vindicatif, comment ne perçoit-il pas ce qu'il y a d'outrancier, d'injuste et de bêtement partisan dans cette chanson au fil d'une inspiration qui a rencontré des thèmes meilleurs ?

Tout cela pour ne pas évoquer "ses idées de haine et d'exclusion et ses provocs imbéciles".

Bien sûr, personne n'aura le ridicule de donner une importance judiciaire à ces débordements qu'on n'ose qualifier d'artistiques. Sarko, facho, c'est presque rien. Même pas un petit scandale. Une note dans un blog, un article. Un courage confortable. Un artiste ou prétendu tel est toujours protégé, paradoxalement, par ce qui devrait lui être reproché.

Renaud coco, Renaud soûlo ? Non, surtout pas.

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