Entrevues Le Matin, le par ch.
Mis en ligne dans le kiosque le 9 juin 2002.

« Je crois à l'amour »

> Le Matin du 28 mai 2002

Renaud   Avec "Boucan d'enfer", le poète du bitume nous chante ses côtés noirs, ses désillusions. Mais n'est pas pour autant désespéré, même si, avant, c'était galère.

"Je crois à l'amour"

Paris
Serge Bressan

Pour mieux chanter sa Morgane à lui ou le goût unique du "Mistral gagnant", il a marché à l'ombre. Mais une amitié trop prenante et destructrice avec le jaune, cette boisson anisée qui fait des dégâts bien avant le troisième verre, nous l'avait fait perdre de vue. A 50 ans (depuis le 11 mai dernier), Renaud revient avec un nouvel album. Et ça fait un "Boucan d'enfer". Quatorze titres bercés par la solitude et l'impudeur, par la parano et le cafard, par "Docteur Renaud et Mister Renard". Rencontre avec un poète du bitume qui s'est sorti d'un processus d'autodestruction.

- Avec ce "Boucan d'enfer", à qui parle-t-on ? Au Dr Renaud ? A Mr Renard ?

- Allez savoir. Comme le tout le monde, je suis complexe, double. Moi aussi, j'ai mes fêlures, mes angoisses, mes côtés noirs pas toujours avouables. Ce nouvel album studio sort sept ans après "A la Belle de Mai". Moi, pendant ce temps, je n'ai pas chômé. Après cette "Belle de Mai", j'ai enregistré un album hommage à l'un de mes maîtres, Georges Brassens, fait une longue tournée acoustique. Mais après cette tournée, la vie m'a foutu une sacrée claque... Mon amour s'est fait la belle.

- On a dit tout et son contraire à votre sujet, durant de septennat version Renaud...

- On a même annoncé ma mort ! Quand je me suis retrouvé seul, j'ai replongé dans la dépression. Je suis allé dans mon bistrot, avec des potes. J'y ai trouvé une nouvelle amie, la boisson jaune. Mais je dois aussi avouer que ces rumeurs comme un dandy, je les ai entretenues. Je me montrais dans un bistrot mondain de Montparnasse, à Paris, alors que rien ne m'y obligeait.

- Dans une de vos nouvelles chansons, vous évoquez un "coeur à prendre, pas à vendre"...

- Aujourd'hui, si je crois toujours à l'amour, je ne me fais plus aucune illusion sur le couple.

- Ce "Boucan d'enfer" est sacrément impudique. C'est un vrai déshabillage en mots en public...

- A quoi ça m'aurait avancé à jouer la carte de l'impudeur ? A rien. Cet album, ce n'est pas de l'impudeur, il est empli de sincérité.

- Pendant ces mois d'errance, vous avez songé à arrêter d'écrire, de chanter ?

- La question ne se posait même pas : j'étais incapable de songer à quoi que ce soit. Incapable d'aligner trois mots sur le papier... Un soir, au bistrot, un pote homosexuel me lance : "Ecris-moi une chanson pour raconter ma vie ordinaire d'homo ordinaire. Si tu arrives, je t'autorise une cuite géante. Mais, attention, ce sera la dernière". J'ai essayé, aligné quelques mots, j'ai ramé puis sont venues les premières lignes de "Petit pédé". On s'est offert une tournée de jaune ! La dernière, comme prévu. Le lendemain, je terminais la chanson. J'ai enchaîné avec "Docteur Renaud, Mister Renard".

- Pour cette renaissance, d'autres personnes ont-elles été déterminantes ?

- Ma petite fille de 21 ans. Au début, elle tentait de me sermonner, de me raisonner. En vain. Un jour, elle m'a dit qu'elle ne voulait plus me voir.

- Dix ans après "Germinal", de Claude Berri, le cinéma vient aussi de vous appeler...

- Je viens de passer un mois à Toronto pour tourner Crime Spree" ("La spirale du crime"), de Brad Mirman, avec Gérard Depardieu. On était ensemble dans "Germinal", Richard Bohringer, Johnny Hallyday, Stéphane Freiss et Harvey Keitel. J'y ai un petit mais joli rôle. Mais, très franchement, le cinéma pour moi, c'est seulement de l'amusement.

- Avec ce disque, vous paraissez moins mordant que dans le passé, non ?

- Peut-être qu'à 50 ans, après vingt-sept ans de carrière, on vit avec la désillusion. Mais cet album, il a été accouché dans la difficulté. Aujourd'hui, je suis content de ce que j'ai fait. Content, jamais fier. Les gens, le public me manquaient, même si ça fait démago de le dire.

Autoportrait en dérision

Pour un retour en quatorze titres mais en musique par Jean-Pierre Buccolo, Renaud fait un "Boucan d'enfer" : joli titre pour un nouvel album attendu. Certes, le chanteur a été sacrément cabossé par la vie qui va, mais aujourd'hui il ne reste que le souvenir d'un bistrot où régnait en maître une boisson anisée. D'entrée, il nous propose un autoportrait tout en dérision, tout en tendresse avec "Docteur Renaud, Mister Renard", une chanson aux accents évidents de futur classique. Puis, avec cette "désabusion" si chère au regretté Nino Ferre, l'ancien chanteur énervé mais pas énervant nous a concocté quelques magnifiques autres moments. "Je vis caché", "Coeur perdu" (magnifique), "Tout arrêter", "Mal barrés", "Boucan d'enfer".

Evidemment, même s'il paraît moins incisif que dans le passé, Renaud lance aussi une attaque violente contre B.H.L. ("L'entarté"), évoque un chien présidentiel ("Baltique") et la Corse ("Corsic'armes"). Enfin, pour boucler ce "Boucan d'enfer", il ne peut s'empêcher de rendre hommage à ses potes rêvés dans "Mon bistrot préféré", là ou il fréquenterait Brassens, Fallet, Desproges et même François Villon. Et puis impossible de passer à côté de "Manhattan-Kaboul", un duo inspiré par le drame du 11 septembre 2001 et interprété avec Axelle Red...

S.B.

Renaud, "Boucan d'enfer", Virgin, sortie aujourd'hui.

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