Entrevues Var-Matin, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 24 février 2001.

Renaud : « Je prépare enfin, un nouvel album »

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Var-Matin du 18 février 2001

Article Original

Renaud : « Je prépare enfin, un nouvel album »

Une Victoire d'honneur, hier soir, lors des Victoires de la musique, en direct sur France 2, et derrière son silence médiatique de trois ans, bien des douleurs. Il en parle, avec dignité. Notre interview du dimanche

Renaud termine sa tournée triomphe le 9 mars, à Chaville, près de Paris. 202 concerts, en 18 mois, dont un à Six-Fours, dans le Var. Il lui arrive, entre deux, d'aller à la pêche à la ligne, comme dans la chanson, avec Buccolo, son guitariste, qui en a écrit la musique.

A la Closerie des Lilas, à Paris, bar mythique où se sont abreuvés Hemingway, et tant d'autres, Renaud attend. Plus qu'une interview, la rencontre des copains d'abord.

« On peut s'étonner que tu acceptes une Victoire d'honneur...

- J'aurais préféré la gagner (1). Pour une fois que le métier me rend hommage, je n'allais pas cracher dessus. J'ai déjà la reconnaissance du public.

 

- Un public qui se dit que tu l'oublies...

- J'en suis à 250 000 spectateurs en dix-huit mois. On est trois sur scène, avec Buccolo à la guitare et Lanty au piano. Partout, ils sont là à nous attendre. Je ne suis plus tributaire des modes, des tubes, des hits parades. Je suis devenu une institution, comme Barbara et Reggiani qui remplissaient des salles sans promo. C'est le privilège de l'âge ! Quarante-neuf ans, le 11 mai.

 

- Le prochain album, c'est pour quand ?

- Promis, juré, d'ici la fin de l'année. J'enregistre avant l'été. L'inspiration n'est plus morte. J'ai la banane. Encore trois chansons. J'ai en neuf, sept totalement inédites (deux rigolotes, cinq tristes), et deux que je chante, déjà, sur scène, Elle a vu le loup et Boucan d'enfer.

 

- C'est quoi, ce boucan ?

- Il vient de mes problèmes conjugaux. La séparation d'avec ma femme depuis deux ans, après plus de vingt ans. Tout sauf une rupture. On s'aime toujours. C'est la femme de ma vie. Je suis l'homme de sa vie. Seulement, on ne cohabite plus.

 

- Une autre femme ?

- Pas l'ombre d'une. Dominique est une femme intelligente. Elle ne m'aurait pas quitté, pour de minables problèmes d'adultère. Elle est heureuse. Je suis malheureux. Désespéré. La mésentente vient de là.

 

- Un jour, cela a été votre constat ?

- C'est venu petit à petit. ça a craqué. C'est dur de vivre avec un homme désespéré. Bizarrement, l'harmonie est revenue depuis qu'on est plus ensemble.

 

-Vous vous voyez toujours ?

- L'été dernier, pour les vacances, on a loué une maison au Cap Ferret. Demain, c'est son anniversaire. On dîne ensemble.

 

- Un cadeau ?

- Un petit pull en cachemire, rapporté du Québec.

 

- Dans votre maison, près d'ici, où elle habite toujours, il y a tes collections de BD, de disques de Brassens...

- Le décor me manque un peu. J'y vais souvent. J'y retournerai un jour.

 

- Tes collections ne te manquent pas ?

- J'ai moins de passions qu'avant, car je suis moins heureux. Quand j'étais heureux, les malheurs du monde me bouleversaient. Je m'interroge moins sur la misère des autres.

 

- Que devient votre fille Lolita ?

- Elle a 20 ans. Elle fait une école de cinéma, pour devenir metteur en scène.

 

- Son avis, sur tout ça ?

- On parle beaucoup. Elle a un caractère à la Renaud. Très pudique, très indépendante, sévère, pas nunuche. Je suis comme un petit bébé devant elle. Elle observe ça de l'extérieur, parfois avec des larmes, parfois avec du fatalisme. Elle m'aime tellement, qu'elle veut pas me voir me détruire.

 

- Il y a autre chose encore. On peut en parler ?

- Je suis un peu tombé dans l'alcool. Pastis ou bière. Je ne culpabilise pas trop. Je ne suis jamais bourré. Je ne perds jamais le contrôle de moi-même.

 

- Et avant ?

- Je buvais très peu.

 

- Tu ne cherches pas à guérir ?

- J'ai passé deux fois quinze jours dans une clinique de désintoxication. Cure de repos, à boire de l'eau. C'est dur d'arrêter. J'ai envie, pour mes kilos en trop. J'étais à 67. Je suis à 79. J'ai pas envie qu'on dise : « Il a grossi, il est bouffi ». Les gens parlent sans savoir.

 

- Et tu reçois dans un bar...

- Ici, c'est mon bar, ma salle à manger, mon resto, quand je suis à Paris. J'habite une chambre, au dessus. Le hasard.

 

- Tu sembles en forme, pourtant...

- J'étais malheureux comme les pierres. Je m'étiolais. Des potes m'ont dit : « Tu veux de l'amour. Pars en tournée ». Tu peux pas savoir la somme d'amour qu'on reçoit sur scène. L'autre jour, trois générations sont venues en coulisses. La gamine de 10 ans, la mère de 30 et la grand-mère de 50. Celle-ci en avait 25, quand j'ai écrit Hexagone.

 

- Et les psys, ils ne peuvent pas te guérir ?

- J'en ai vu six. J'ai voulu les changer, pour retourner le problème. Ils n'ont pas voulu ! Je trouve plus de réconfort auprès d'amis, comme mes musiciens, qu'auprès des psys, et ils ne me prennent pas 800 F la demi-heure.

 

- Le plus important, c'est l'amour ou l'amitié ?

- L'amitié est plus durable, sans doute. La différence, c'est le lit qu'on ne partage pas. Quoi que, des fois, je dormirais bien dans le même lit qu'un copain, pour la présence physique. Si t'écris ça, on va dire que je suis devenu pédé !

 

- Ce mal de vivre, il a bien une raison.

- La vie, l'âge. Et puis, le succès m'a plus perturbé que je ne l'imaginais. Cette pression des gens qui m'aiment ou de ceux qui me détestent. Mon proverbe préféré est : « Pour vivre heureux, vivons caché ». Pas facile, pour un homme public.

 

- Pourtant tu aimes la vie, malgré tout...

- Je suis vivant. ça me donne la banane. Je voudrais vivre jusqu'à 100 ans. Pourtant, quand je suis seul, pendant des heures, je gamberge. Je me dis que le pire serait de vieillir et de mourir tout seul.

 

- Pourquoi ce silence médiatique de trois ans ?

- Je n'ai rien à dire. J'ai toujours eu plus d'humilité, que de prétention.

 

 

Renaud bis passe, nous tape sur l'épaule. Thierry Séchan, son frère ainé, qu'on a connu chanteur, écrivain, polémiste.

 

Curieusement, je suis plus proche de lui que de David, mon jumeau. On habite ensemble. Je suis soutien de famille !

 

- Et ton père, qui t'a fait découvrir Brassens ?

- Toujours là, à 90 ans. Je vais le voir, le dimanche après-midi. Il a été un écrivain fabuleux. J'aimerais qu'on le redécouvre (2). Ma mère est là aussi. ça fait chaud au cœur.

 

- Es-tu toujours Mitterrandolâtre ?

- Je ne me renie pas. Malgré l'inventaire, malgré la trahison de ses amis et le fiel de ses ennemis, il reste un grand mec politique que j'ai rencontré et que j'aime. Il avait l'intelligence, l'humour et même, le machiavélisme. C'était le plus fort. Quand j'ai chanté à Cognac, il y a un an, j'ai fait les quinze bornes, jusqu'à sa tombe, à Jarnac. J'ai déposé une petite rose.

 

- Sentimental...

- Qui peut le remplacer ? Qui peut inspirer une telle impulsion ? Ni Jospin ni les autres socialistes ni quelqu'un de droite, bien sur.

 

- Tu votes toujours ?

- J'ai honte de l'avouer, vu que je suis libertaire.

 

- Toujours de gauche ?

- Quand je vois ce qui arrive à Jean-Christophe Mitterrand et Roland Dumas, je n'ai plus envie de voter à gauche. Comme je ne veux pas tomber dans le discours, « Tous pourris », j'y vais quand même.

 

- Tes nouvelles chansons sont-elles engagées ?

- Moins qu'avant. Avec l'âge, on se désintéresse de la politique, de la vie du monde. J'ai plus de chansons personnelles qu'universelles. Je parle des petites gens.

 

- Tu chantes toujours Putain de camion ?

- Coluche me manque. L' ami, le frère mais aussi le personnage social et politique. On aurait bien besoin de son grain de sel dans le débat.

 

- C'était le parrain de ta fille...

- Au sens originel du mot. Il n'arrêtait pas de nous dire qu'il s'occuperait d'elle, serait son tuteur, si nous disparaissions. C'est tout juste, s'il ne voulait pas qu'on lui signe un papier. Et puis, putain de camion.

 

- Tu as perdu pas mal de potes...

- Je leur porte malheur ! Desproges, Boudard, Dard, mon autre père, Doisneau, amour de petit bonhomme, à qui j'ai dédié Rouge-gorge, et Gainsbourg. Lui m'appelait à trois heures du matin : « Prends un taxi, gamin. Bambou m'a quitté ». J'allais lui tenir la main, jusqu'au petit jour.

 

- Pas très gai, tout ça...

- La vie, c'est du beau et du moche. J'ai une nièce qui est morte, il y a six mois, d'une rupture d'anévrisme, à 27 ans. Tu crois que c'est juste ?

 

- Après Germinal, est-ce qu'on te reverra au cinéma ?

- J'ai un projet avec, comme réalisateur, Brad Mirman, scénariste de Highlander III. Johnny a signé. Kiefer Sutherland est prévu. C'est l'histoire de petits braqueurs français qui vont faire un coup à Chicago.

 

- La Chance aux chansons assassinée ?

- Le mépris des petites gens. C'était un peu kitsch, jamais vulgaire. J'aimais y chanter. C'est une cabale contre Sevran. De l'accordéon à quatre heures de l'après-midi n'est pas la tasse de thé des « Inrockuptibles » !

 

- Quelle est la chanson de toi que tu préfères ?

- Mistral gagnant, que j'ai choisie pour les Victoires.

 

- Pour l'éternelle enfance ?

- Je parle à l'enfance, à mon enfance. Je parle à un enfant, à tous les enfants. Les enfants, ce qui me touche le plus.

 

- Tu voulais appeler un futur fils, Pierrot...

- J'aurais aimé l'avoir avec la femme de ma vie. C'est un peu tard. Avec une autre, jamais.

 

- Tu a écris : « La femme est l'avenir des cons »...

- A l'époque, c'était juste pour emmerder Aragon et les communistes ! »

 

 

1. Après neuf nominations, Renaud n'a obtenu qu'une Victoire, pour l'album de reprises de chansons de Brassens.

 

2. Olivier Séchan, prix des Deux Magots, prix Cazes, grand prix du roman d'aventure.

Par Alain LAVILLE

Dimanche 18 Fevrier 2001

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