Entrevues L'Humanité, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 14 décembre 2000.

Renaud : honte à celui qui n'a d'avis sur rien, sa vie doit être triste

> L'Humanité14 Décembre 96 - CULTURE

Renaud: honte à celui qui n'a d'avis sur rien, sa vie doit être triste

Il est toujours aussi épais qu'un sandwich SNCF, quelques années en plus. Il chante toujours 'Hexagone', 'Loubard' ou 'Petite conne', en plus de quelques nouvelles chansons. Le public adore, en redemande. Certains arborent le béret du Che à ses concerts. On y croise des jeunes, des moins jeunes, des mômes... Ils connaissent tout par coeur. Il a accepté de nous recevoir quelques heures avant de monter sur scène. Rencontre peinarde dans les coulisses de l'Olympia. On retrouve un Renaud au mieux de sa forme, avenant, qui a la tchatche. Alors on parle de tout, de ses chansons, de ses engagements, de ses passions...

Parlons de cette grande tournée qui a démarré au printemps dernier à la Mutualité, a sillonné l'Hexagone et qui s'arrête à l'Olympia. Le bilan?.

Globalement positif! Cela faisait huit ans que je n'avais pas tourné en France, je ne fais quasiment pas de 'promo', du moins la seule qui, paraît-il, soit efficace, les émissions de télé. Malgré une longue absence des scènes et tout le reste, j'ai bourré les salles partout. Plutôt que de jouer soixante-dix concerts, j'en ai fait cent quarante en province. Le public est assez familial. La plupart des artistes se targuent d'avoir un public de sept à soixante-dix-sept ans, très populaire: je pense en être. Je me contente d'apprécier ce succès, l'analyser ce n'est pas facile.

Vous avez le sentiment d'être ce qu'on appelle 'un monument' de la chanson?

Non, je pense que vingt ans de chansons, ça commence à compter. Quand on a le sentiment de ne pas avoir dérivé, de ne pas avoir fait trop de concessions, d'être resté plus ou moins intègre et fidèle à ses convictions, qu'on essaie - je ne dis pas que j'y parviens -, de faire de la chanson de qualité, aussi bien dans les idées ou les sentiments que j'exprime, peut-être qu'au bout de vingt ans on n'est pas un monument, mais on ressent un véritable attachement du public, une fidélité de la part du plus ancien et d'un renouvellement. Et puis j'ai bossé pas mal de temps à 'Charlie Hebdo' : c'est un journal très lu dans les facs et qui - peut-être -, par le biais de mes chroniques, a draîné un nouveau public.

Comment expliquer que toutes vos chansons soient reprises en choeur et, pour les plus anciennes, qu'elles fonctionnent toujours autant? C'est comme si le temps n'était pas passé et, pourtant, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts...

Le premier réflexe, c'est le plaisir. D'une manière générale, je me contente d'apprécier ça. Pourquoi 'Hexagone' a traversé deux décennies, qu'elle est aujourd'hui encore réclamée à cor et à cri par des mômes de quinze ans qui n'étaient pas nés quand je l'ai composée? De tout temps, elle a été considérée comme mon hymne. Je ne suis pourtant pas persuadé qu'elle soit la meilleure chanson de mon répertoire, mais c'est peut-être la plus sauvage, la plus fédératrice de toutes les colères, de toutes les révoltes.

Vingt ans après, cette colère est intacte?

Certains couplets ont peut-être vieilli mais la colère est la même. Tous les travers de mes contemporains que je dénonce sont les mêmes: l'injustice, la répression du peuple basque et de tous les autres peuples opprimés, le conformisme petit-bourgeois, la religion. Je n'ai jamais analysé cette chanson, mais j'ose cette hypothèse. J'ai mis dans cette chanson toutes mes révoltes et mes indignations.

Vos chroniques publiées dans 'Charlie Hebdo' sont aussi bien des coups de gueule, des coups de coeur, des coups d'amour... Vos humeurs au fil des jours: on y retrouve cette même révolte.

Elle est la même. Je suis peut-être un peu plus désabusé qu'à vingt ans, plus serein d'un autre côté. Pourquoi ce qui m'empêche de dormir, ce qui me fait pleurer, m'indigne serait vrai il y a vingt ans, et plus aujourd'hui? Ça voudrait dire que je ne suis plus le même homme. Je ne vois pas en quoi le succès aurait pu me dissuader d'exprimer mes colères et mes indignations. Quitte à me faire traiter de gauchiste attardé, de revanchard ou de démago, je préfère continuer à exprimer mes idées plutôt que de les taire ou les cacher pour devenir le chanteur que certains voudraient que je sois. Ne plus écrire que des chansons d'amour ou me servir de ma plume pour vanter la beauté des choses. Ce que je fais par ailleurs, mais je pense que la fonction d'un artiste dans cette société c'est de déranger, de bousculer le conformisme, l'ordre établi, de toujours s'insurger tout comme vous à travers votre journal, votre parti: être du côté des plus faibles, de celui qui souffre et de celui qui lutte. Mes chansons ne sont pas que cela: à la longue, ça fatiguerait le public et moi, ça me boufferait la vie. Mais je tiens à ce que ces chansons figurent aussi dans mon répertoire.

La fonction de l'artiste dans cette société?

Elle est essentielle. Pas seulement celle de l'artiste. Celle de l'art, celle de la connaissance, de l'émerveillement, de la musique, de la peinture... Tout ce qui différencie l'homme de l'animal. L'art est la chose la plus futile qui soit et, pourtant, c'est ce qui provoque l'émotion. Je ne sais plus qui disait du violon qu'il était l'instrument qui consiste à éveiller l'âme en frottant des crins de cheval sur des boyaux de chat... L'homme est sensible à ça.

La place, le rôle de l'artiste sont singulièrement remis en cause. Il y a danger dans la demeure?

Le budget de la culture, les lieux de création inexistants ou menacés de disparition, les acquis des intermittents remis en cause... La droite a toujours voulu assassiner la connaissance, empêcher les artistes de s'exprimer. Tout ce qui a trait à l'éveil, à l'éducation, tout ce qui peut provoquer le sentiment de résistance dérange: alors on s'attaque aux artistes, aux intellectuels, à tous ceux qui dispensent le savoir.

Dans vos chroniques, on retrouve beaucoup de vos indignations mais aussi des coups de coeur comme celui pour les huîtres du bassin d'Arcachon...

Je ne voulais pas, tout comme au niveau de la chanson, m'épuiser à pousser chaque semaine un coup de gueulante. Et pourtant il ne manque pas de sujets d'indignation! Je voulais un peu de fantaisie, alors je raconte mes histoires de famille, mes vacances, je parle de mon chien, de mes amours avec une femelle homard au restaurant!

Vous disiez plus haut que vous étiez désabusé...

Plus qu'à vingt ans, je suis plus écoeuré, j'ai pris des claques et j'ai été trahi par des amis proches, mais on est trahi que par eux. J'ai parfois le sentiment que rien ne changera jamais, que ce monde va à vau-l'eau et qu'il y a toujours un petit quart de la planète qui vit sur le dos des trois autres quarts.

Qu'est-ce qui vous donne encore envie de poursuivre de chanter, d'écrire des chansons?

Ne pas baisser les bras, c'est ce qui donne un sens à ma vie. Gueuler, m'indigner, résister. Je trouve la force en moi... A une époque de ma vie, j'ai vécu sur un bateau, loin de la télé, des autres, loin de tout. Je pensais que ça me ferait un bien fou, mais ça m'a rendu fou. Au bout de deux mois, j'avais le sentiment d'être en vacances depuis trop longtemps, au bout de trois mois je ne supportais plus d'être coupé du monde. Pour certains, être en mer sur un bateau, c'est le bonheur absolu. Ne pas vivre avec les autres, pour les autres, être détaché des souffrances et des luttes des hommes, ne pas essayer de changer le cours des rivières, très peu pour moi!

Vous êtes des Amis de l'Humanité, pourquoi?

Pour une raison évidente, le pluralisme de la presse. Parce qu'il faut des contre-pouvoirs aux discours consensuels et conformistes des grands médias. Parce que je trouve que 'l'Humanité' et les communistes sont essentiels pour résister à l'oppression, défendre les pauvres, les plus faibles, malgré des points de divergence avec eux qui ont duré soixante-dix ans, en l'occurrence sur leur conception de la liberté du peuple comme c'était le cas dans les pays de l'Est, point de divergence majeur. J'allais dire les travailleurs, mais cela ne se dit plus qu'avec un sourire narquois. Et puis on dit plus souvent chômeurs. Travailleurs, ça ne se dit plus, on fait maintenant référence au travail précaire... Pourtant, quel beau terme, travailleur! il n'y a pas à rougir de ce mot!

Vous évoquez les communistes, leur rôle dans la société. Les rapports de Renaud avec les communistes n'ont jamais été linéaires. Ils préparent actuellement leur congrès. Vous les voyez comment?

Depuis la chute du mur de Berlin, ils font partie des gens en qui j'espère... Comme le Parti socialiste n'est plus crédible comme vraie force de gauche, n'a plus de programme, pas de projet, pas d'utopie, pas de rêves mais un discours triste, centriste, social-dém'... J'ai l'impression que les communistes sont la seule vraie force de gauche en France. J'espère qu'ils vont retrouver la place qu'ils n'auraient jamais dû - au niveau électoral - perdre.

Comment expliquez-vous vos rapports avec les communistes?

J'ai toujours eu le sentiment d'appartenir à une famille de gauche dans laquelle se retrouvent des anars, des trotskistes, des communistes, des socialistes. Je me suis engueulé avec des membres de cette famille, mais comme on s'engueule avec son père, sans jamais se fâcher définitivement. Mes rapports avec les communistes sont faits de coups de gueule et d'amour. Souvent, il m'arrive de signer des pétitions, mon nom côtoie celui de dirigeants ou de militants communistes: je sais qu'on se rejoint sur des combats essentiels.

A vos yeux, les communistes sont la seule force de gauche, même si électoralement...

Si on ajoute toutes les voix de l'extrême gauche, ça fait 15%, plus les déçus des socialistes, qui ne vont pas forcément voter à droite, avec un bon candidat, je dis pas que Robert Hue n'est pas un bon candidat, ça peut monter... à 20%. Disons qu'un môme qui aujourd'hui adhère au PC ne va plus me citer les pays de l'Est en exemple, je pense qu'il pensera à un projet de société inédit, nouveau, sans modèle.

Cela fait vingt ans que vous chantez. Vous étiez Renaud le chanteur énervé et énervant. Vous revendiquez toujours cette appellation?

Je ne sais pas ce que je suis pour les gens, je sais à peine qui je suis moi-même... On a toujours tendance à vouloir mettre des étiquettes. Chanteur énervant, ça m'avait bien plu, et j'ai joué avec. Mais j'aime encore énerver, et mon public et ceux qui ne m'aiment pas. Enervé, je le suis encore, pour un bon bout de temps: y'a de quoi, non? Je fais du music-hall, comme Sylvie Vartan. Un métier de saltimbanque. Elle est plutôt branchée chansons d'amour. Moi aussi, mais j'ai par ailleurs des chansons... on disait 'engagées' autrefois! Ce mot a tellement été galvaudé que certains en ont honte. Moi, j'assume d'être un chanteur engagé. C'est comme le mot militant. Il m'inspire de l'admiration. Quand j'en croise un de militant, qui distribue des tracts, vend des journaux, je lui voue une admiration sans borne. S'il y en avait plus comme lui... En 68 la jeunesse était plus militante. Bon, ne parlons pas de 68, ça fait vieux con!

Dans une chronique, un lecteur vous demande: 'Comment faites-vous pour avoir un avis sur tout alors que moi, je n'ai d'avis sur rien?' On a souvent le sentiment que vous réagissez surtout avec votre coeur...

Oui! Je n'ai vraiment pas un discours langue de bois, et je n'ai pas réponse à tout. Je ne suis pas féru de dialectique ni d'économie, alors souvent je pars dans tous les sens et cela semble dérisoire, un peu sauvage, décousu... Je m'en veux après de dire les choses si mal! Mais contrairement à ce que disait ce jeune homme, sous prétexte que des fois je me mêle de choses qui ne me concerneraient pas, il me fait passer pour un chanteur qui la ramène tout le temps. J'ai jamais prétendu avoir un avis sur tout; j'aimerais bien. Il est des choses qui m'indignent, je ne sais pas comment l'exprimer. Et dès qu'un artiste ouvre sa gueule, au même titre que n'importe quel autre citoyen, il est taxé de donneur de leçons, ou d'être manipulé. Moi, je ne suis manipulé que par mes idées. Si je suis d'accord avec un édito de 'l'Huma' ou de Charlie, et qu'il m'enrichit de ses idées, de ses convictions, je m'en servirai comme argument. Honte à celui qui n'a d'avis sur rien: comme sa vie doit être triste.

Qu'allez-vous faire après l'Olympia?

Je vais tenter l'aventure musicale dans d'autres pays non francophones. En Allemagne, en Irlande. J'irais bien chanter à Cuba. Comme je ne suis pas un grand bourlingueur, voyager pour chanter, c'est joindre l'utile à l'agréable. J'ai un ami algérien, chanteur, Baaziz, qui chante 'Hexagone' en algérien. Il me tanne pour que j'y aille avec des conditions de sécurité, mais sur ce coup-là, j'hésite: on n'est pas à l'abri d'un fou de Dieu déguisé pour la ciconstance en ninja. Mais si on fait rien... Est-ce que des chansonnettes? Parfois je me dis que deux heures de chansons, comme quand je vais chanter en prison ou en Bosnie, ça ne change pas le cours de la guerre, mais c'est peut-être deux heures de bonheur.

Propos recueillis par ZOE LIN

'Paris-Province', double album live (Virgin). 'Envoyé spécial chez moi', éd. Ramsay.

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